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La mosquée de Saint-Etienne, vitrine d'un "islam de France" exemplaire

Inaugurée en 2012, cette mosquée spectaculaire est l'une des plus grandes de France, et l'une des plus abouties esthétiquement. Reportage dans ce lieu de prière, symbole d'un islam intégré dans la République.

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des fidèles prient dans la Grande mosquée de Saint-Etienne (Loire), le 3 février 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Sur les panneaux de signalisation qui mènent à l'édifice, l'inscription "Grande Mosquée" de Saint-Etienne porte tantôt deux majuscules, tantôt aucune. Une petite étourderie de la mairie qui prête à sourire, trois ans après l'inauguration de cette ravissante bâtisse de 1 400m², située entre la gare de Saint-Etienne-Châteaucreux et le stade Geoffroy-Guichard, dans le nord de la ville.

La Grande mosquée Mohammed VI - son nom officiel - est l'une des plus grandes de France, et l'une des plus abouties esthétiquement. Avec ses vitraux colorés, ses fins moucharabiehs et son enveloppe jaune soleil, elle n'a rien à envier à ses cousines marocaines. A l'heure où le gouvernement assure que "l'islam a toute sa place en France", cette mosquée fait office de bonne élève de la République. Voire de première de la classe. 

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Une architecture raffinée en pleine zone industrielle

Dans une agglomération qui compterait près de 50 000 musulmans (environ 10% de la population), selon des associations locales, l'ancienne mosquée vétuste et les salles de prière ne suffisaient plus à accueillir les fidèles, notamment le vendredi et lors des jours de fête. La bâtisse actuelle, un écrin dominé par un lustre de 700 kg, réchauffe le décor de cette zone industrielle lugubre. Tous les jours, pour chacune des cinq prières, au moins 200 hommes viennent fouler le tapis rouge et chatoyant de la pièce principale. Les femmes, moins nombreuses, se regroupent derrière une palissade, et possèdent leur propre entrée. Grâce au chauffage au sol, on peut facilement rester pieds nus après avoir fait ses ablutions, malgré une température extérieure négative. Au total, plus de 2 000 personnes peuvent s'y rassembler. 

A la Grande mosquée de Saint-Etienne, Mohamed* se sent comme chez lui. Ce Franco-Marocain en djellaba chocolat brodée d'argent, tourneur-fraiseur à la retraite, fait le déplacement une fois par jour. "L'islam, c'est ma religion. Je l'aime ! Et j'aime cette mosquée. Si je peux mourir ici, ça me va", se réjouit-il, en dessinant de grands gestes enthousiastes avec les bras. Il se déplace parfois avec quelques-uns de ses huit enfants, mais tous ne se sentent pas concernés. "Certains viennent, certains ont arrêté de venir, certains ne sont jamais venus."

Niveau assiduité, Wassim* est, lui, indétrônable. Sans emploi, il fait le trajet cinq fois par jour en voiture depuis trois ans. "Le bâtiment ? Il est neuf, c'est le plus important. Le reste, tout ce qui est décor, je n'y suis pas très attaché. Ce qui m'importe, c'est le travail intérieur pendant la prière." Trois militaires montent la garde à l'entrée depuis les attentats. Un quinquagénaire en pantacourt, Crocs et chapka sur la tête, court les saluer avant l'office : "J'ai fait l'armée ! Je veux leur faire coucou." 

Vue extérieure de la Grande mosquée de Saint-Etienne, le 3 février 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

A 13 heures, le muezzin se glisse dans le mihrab, renfoncement étroit dédié aux imams, où un micro est dressé. Dos aux croyants, il lance l'appel à la prière de Dohr, la deuxième de la journée. Dans les pays musulmans, cette mélodie est directement clamée depuis le minaret ; en France, un tel appel public est interdit. La tradition a donc été conservée à la Grande mosquée, mais sous une forme compatible avec la loi, entre les murs. 

Quelques minutes plus tard, l'imam fait son entrée. Il récite quelques versets du Coran - le prêche étant réservé au vendredi midi. Les fidèles connaissent les postures d'accompagnement par cœur : se tenir debout, s'agenouiller, embrasser le sol, se redresser, se courber de nouveau... Les hommes sont en majorité habillés à l'occidentale. L'un d'entre eux ne prend pas la peine d'enlever sa casquette orange, un autre tourne ses mains vers le ciel dans un coupe-vent à carreaux kaki. Depuis le coin des femmes s'élève un cri de nourrisson, suivi par une sonnerie de téléphone à l'autre bout de la pièce. 

Propriété du royaume du Maroc

Financer une mosquée cinq étoiles dans une région durement touchée par la crise, cela n'a rien d'évident. Les dons des fidèles ne suffisant pas, l'association qui gère le lieu s'est tournée vers le Maroc, qui a fourni cinq des huit millions d'euros nécessaires à sa construction, le reste provenant de donateurs privés. La Grande mosquée est désormais la propriété du royaume, qui l'administre via son ministère des Affaires islamiques. Une subvention annuelle de 600 000 euros permet de rémunérer la dizaine de salariés de l'équipe (dont trois imams et une prédicatrice) et d'entretenir le bâtiment. Un audit est effectué tous les ans pour s'assurer de sa bonne gestion.

Le recteur de la mosquée, Larbi Marchiche, assume complètement ce choix. Cet ancien cariste et délégué CGT avait déjà fait appel à des donateurs du Golfe dans les années 1980 pour aménager la précédente mosquée. "Les musulmans français n'ont pas assez d'argent. Ce n'est pas en donnant 20 ou 50 centimes pendant la quête qu'on arrive à construire quelque chose de digne." Sa plus grande joie, c'est d'avoir obtenu l'autorisation d'élever un minaret. Autour d'un couscous, il évoque les nombreuses réunions qu'il a eues dans les années 2000 au ministère de l'Intérieur. 

C'est grâce à Dieu, et un peu à Sarkozy, si les minarets sont acceptés en France.

Larbi Marchiche

Recteur de la Grande mosquée de Saint-Etienne

Troisième prière de la journée dans la Grande mosquée de Saint-Etienne, le 3 février 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Ambassadrice du Maroc et de ses savoir-faire, la Grande mosquée se visite aussi facilement que le souk de Marrakech, sur simple rendez-vous. Aux dernières Journées du patrimoine, elle a attiré plus de 2 500 curieux. "Au début, les fidèles étaient un peu réticents, mais maintenant ils sont habitués", explique Badr, jeune trésorier de l'association résidant en France depuis son regroupement familial. Et quand trois pompiers débarquent avec leurs bottes sur le tapis de la salle des femmes pour une intervention après un malaise, l'une d'entre elles leur demande instinctivement de retirer leurs chaussures. Aldo Oumouden, porte-parole de la mosquée, lui fait doucement remarquer qu'ils ne peuvent se déchausser, pour des raisons de sécurité : "Les chaussures, qu'importe ! Il faut sauver la vie d'abord, c'est ce qu'il y a de plus précieux." 

"Si certains n'aiment pas notre discours, c'est comme ça"

Quand il parle des rapports entre l'islam et la France, Larbi Marchiche déroule un discours très républicano-compatible, aspirant à plus de visibilité et d'encadrement des musulmans afin de promouvoir un islam "exemplaire". Après les attentats de janvier à Paris, il était au premier rang de la marche républicaine organisée à Saint-Etienne. Ses propos sur les terroristes sont d'une rare dureté. "Regardez ceux qui posent problème aujourd'hui, à chaque fois ce sont des musulmans ! Mohamed Merah, les frères Kouachi... Qu'on le veuille ou non, ils sont de chez nous !" 

Youssef Afif, un des deux imams de la mosquée, Marocain en attente d'une naturalisation, insiste comme lui sur la nécessité politique de mieux former les imams en France. "L'islam est très démocrate, car tout le monde peut devenir imam. Mais cette ouverture peut conduire à des situations dangereuses, car personne n'a de réel droit de regard." Lui-même titulaire d'un certificat obtenu à l'université de Lyon, fervent défenseur de l'ouverture d'aumôneries musulmanes dès le primaire, il enseigne l'arabe et l'instruction islamique à quelques centaines d'écoliers de la ville. Il revendique une responsabilité sociale, à l'heure où "des jeunes perdus cherchent à se venger de la société".

Sa chaire est aussi une tribune : "Lors du prêche, on s'adresse d'abord aux musulmans, mais on sait aussi que l'on touche les non-croyants, les médias, les politiques. Tout le monde nous écoute." Mohammed Bah, le muezzin de la mosquée, originaire de Guinée-Conakry, se félicite quant à lui d'être "un dernier recours" pour certains parents. "Les enfants prêtent attention à l'imam. On utilise cette image d'autorité pour leur parler gentiment et essayer de les éloigner des extrêmes : la drogue, la délinquance, la violence." 

Un homme prie dans la Grande mosquée de Saint-Etienne, le 3 février 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Face aux discours de haine qui se répandent, notamment sur internet, les responsables de la mosquée restent inflexibles. "On n'est pas là pour compter le nombre de gens qui fréquentent la mosquée. Si certains n'aiment pas notre discours, c'est comme ça", lâche Aldo Oumouden. Pour le porte-parole, la construction d'une telle mosquée présente une fonction vertueuse : "Au cours de sa vie, le musulman se construit une image d'exclusion, de sous-estimation de soi. Il n'est pas représenté dans la société. Or, on se construit aussi à travers ce qu'on voit autour de nous. Mieux vaut peu de mosquées, mais dignes, plutôt que beaucoup de mosquées sans âme." 

L'association ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Un projet de centre culturel, offrant salles d'exposition, cafétéria et médiathèque, est dans les tuyaux. Il doit être construit sur le même site que la Grande mosquée, au niveau de l'actuel parking, pour un coût de 6 millions d'euros. En page 5 du document de présentation, il est écrit : "A ce projet de montrer comment une longue tradition d'échanges entre le monde arabe et la culture occidentale se réalise aujourd'hui, comment elle se modernise, s'intègre et se donne à voir." Faute de financement, aucune date n'est encore avancée pour le début des travaux.

*Prénom modifié à la demande de l'intéressé

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