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"Phénomène de fascination", polémiques... Huit choses à savoir sur Tariq Ramadan, mis en examen pour viol

Le théologien musulman a été mis en examen pour viol vendredi, après deux jours de garde à vue.

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Lison Verriez
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
L'islamologue suisse Tariq Ramadan, le 6 avril 2015 au Bourget (Seine-Saint-Denis).  (LOIC VENANCE / AFP)

Tariq Ramadan face à la justice française. L'islamologue suisse, visé par deux plaintes pour viol en France, a été mis en examen, vendredi 2 février, pour "viol et viol sur personne vulnérable". Dans le cadre de cette affaire, Tariq Ramadan avait déjà été mis en congé de la prestigieuse université britannique d'Oxford, au sein de laquelle il enseignait depuis 2009, en particulier pour le master d'études islamiques contemporaines.

Qui est ce théologien controversé, invité au Qatar, au Japon ou au Maroc, ce "déstabilisant homme double, de cultures et de registres", comme le qualifiait Libération en 2016 ? Franceinfo vous détaille huit choses à savoir sur Tariq Ramadan. 

Son grand-père est le fondateur des Frères musulmans 

Tariq Ramadan est né le 26 août 1962 à Genève (Suisse), mais ses origines sont égyptiennes. Il n'est autre que le petit-fils du fondateur des Frères musulmans, Hassan El-Banna. Saïd Ramadan, le père de Tariq, s'est réfugié en Suisse au milieu des années 1950, après avoir échappé aux rafles du président égyptien Nasser sur la confrérie, relève Libération

Tariq Ramadan, qui a grandi en Suisse, y obtient un baccalauréat français, suivi d'une maîtrise en littérature et en philosophie françaises, avant d'effectuer un doctorat en islamologie, rappelle BFMTV. Il réalise alors une thèse sur l'œuvre de son grand-père. Le jeune théologien commence sa carrière d'universitaire à Genève, entre 1982 et 1990. 

L'année suivante, il part suivre une formation en études islamiques dans son pays d'origine, l'Egypte. Il vivra avec sa famille au Caire pendant deux ans, précise Libération

Il a rassemblé des milliers de personnes lors de ses conférences dans toute l'Europe 

A l'issue de cette formation théologique, Tariq Ramadan revient en Europe avec sa famille. Il arrive notamment à Lyon, où il rencontre les fondateurs de l'Union des jeunes musulmans (UJM). "C'était un coup de foudre", se souvient Abdelaziz Chaambi, l'un de ses fondateurs, contacté par franceinfo. Avec eux, Tariq Ramadan sillonne les banlieues et découvre leur histoire, notamment aux Minguettes de Vénissieux (Rhône). "Nous cherchions un porte-voix. Et lui cherchait une terre", expliquait Abdelaziz Chaambi au Nouvel Observateur en 2004. 

Après Lyon, Tariq Ramadan multiplie les conférences dans toute la France. L'islamologue, qui publie son premier livre, Les Musulmans dans la laïcité, en 1994, devient un orateur hors pair : il prêche, argumente et convainc. "Durant ces années 1990, la France devient une terre d’accueil et de diffusion de première importance pour les idées de 'Ramadan'", explique Slate. Le théologien poursuit ses exposés sur l'islam en Europe, de l'Allemagne au Royaume-Uni. 

Les conférences de Tariq Ramadan, dans le courant des années 1990 et 2000, attirent les foules. Le sociologue et politologue Vincent Geisser, qui a animé des assemblées avec lui jusqu'en 2005, se souvient de "grandes messes avec plusieurs milliers de personnes dans la salle". "Il y avait des musulmans, des non-musulmans, des pratiquants et des non-pratiquants, des femmes, des hommes et surtout des jeunes entre 18 et 30 ans", explique-t-il à franceinfo. 

Il y a eu un vrai phénomène de fascination (...) Le côté culte de la personnalité a beaucoup joué (...) C'est un pouvoir personnalisé et un peu autoritaire.

Vincent Geisser, sociologue et politologue

à franceinfo

A l'issue des conférences de Tariq Ramadan, les cassettes de ses discours étaient échangées, et "il y avait toujours vingt ou trente personnes pour venir lui poser des questions", se remémore Ian Hamel, auteur de la biographie La Vérité sur Tariq RamadanAbdelaziz Chaambi, qui s'est éloigné de l'islamologue suisse, partage ce constat : "Tariq Ramadan est sacralisé par certains. Il est devenu un symbole, quelque chose que les gens s'approprient et, parfois, ça relève de l'irrationnel, voire du fanatisme."

Il a longtemps écumé les plateaux de télé

C'est peut-être à travers le petit écran que les Français ont fait connaissance avec Tariq Ramadan. Sur les recommandations du spécialiste de l'islam Gilles Kepel, le journaliste Jean-Marie Cavada invite le théologien dans son émission "La Marche du siècle", en 1994. A à peine 32 ans, Tariq Ramadan fait ses premiers pas à la télévision. "Il crève l'écran", relate Le Monde dans un récent portrait. "Il nous a tous volé la vedette", confie Gilles Kepel, cité par le journal. 

Ce sera la première intervention télévisée d'une longue série. De Laurent Ruquier à Thierry Ardisson, en passant par Serge Moati, Franz-Olivier Giesbert et Frédéric Taddéï, Tariq Ramadan est de toutes les émissions. Franz-Olivier Giesbert, par exemple, a commencé à l'inviter au début des années 2000. "J'ai tout de suite découvert un personnage brillant avec beaucoup de charme, très intelligent", raconte-t-il à franceinfo. "Tariq Ramadan a joué un rôle important dans la vie intellectuelle ces dix dernières années", renchérit Frédéric Taddéï. Ce dernier a notamment animé un vif débat entre l'islamologue et Caroline Fourest, auteure de Frère Tariq. Un échange extrêmement tendu, qui marquera les esprits.  

Ce qui le caractérise, c'est son audience. Il a eu une influence indiscutable sur une partie de la population, notamment issue de l'immigration. A ce titre, il était pour moi incontournable dans le débat.

Frédéric Taddéï

à franceinfo

Il s'est retrouvé dans le viseur de Valls, Mélenchon et Sarkozy dès 2003

Les idées de Tariq Ramadan suscitent de vives réactions au cours de l'année 2003. Lui qui défend un islam réformiste tient des propos très controversés, qui choquent jusque dans les rangs politiques. Le 3 octobre, le théologien suisse signe une "Critique des (nouveaux) intellectuels communautaires" sur le site Oumma.com. Il y dresse une liste d'intellectuels juifs ou supposés l'être, qui seraient coupables de "prendre un positionnement politique qui répond à des logiques communautaires, en tant que juifs, ou nationalistes, ou défenseurs d’Israël".

Les réactions sont immédiates. Trois membres du Parti socialiste, Vincent Peillon, Manuel Valls et Jean-Luc Mélenchon, signent une tribune dans Le Nouvel Observateur. "En pointant des intellectuels désignés comme “juifs” et en les plaçant en dehors de la raison commune, Monsieur Ramadan s'est inscrit dans la tradition classique de l'extrême droite. Ce sont les fascistes qui pensent et parlent ainsi", dénoncent-ils. 

La controverse enfle. Moins d'un mois plus tard, Tariq Ramadan se retrouve face à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, sur le plateau de l'émission "100 minutes pour convaincre". Au cours d'une discussion très tendue, ce dernier demande au théologien sa position sur la lapidation des femmes. Tariq Ramadan se dit alors favorable à un "moratoire", provoquant une nouvelle polémique. 

Il a tenu un discours complotiste sur l'attentat de "Charlie Hebdo"

Après l'attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, Tariq Ramadan n'hésite pas à développer des arguments complotistes, suggérant qu’ils pourraient être le fait des services secrets français. "Nous devons condamner, mais nous ne devons pas être naïfs", écrit-il sur sa page Facebook. "Nous devons demander comment ils [les frères Kouachi] ont été en capacité de faire cela. (…) Nous devons demander quelles sont leurs connexions, quel est le rôle des services secrets dans toute cette affaire", poursuit le théologien. 

Il a été visé par plusieurs interdictions de séjour

Plusieurs des positions tenues par Tariq Ramadan lui ont valu plus que des critiques. L'islamologue a, au cours de sa carrière, fait l'objet de plusieurs interdictions de séjour, en France comme à l'étranger. Dès 1995, Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, lui interdit d'entrer sur le territoire français en raison de "menaces contre l'ordre public", rappelle Slate. L'homme politique s'inquiète de l'influence qu'il gagne à travers ses conférences, notamment auprès des jeunes. L'interdiction ne durera que quelques mois, le théologien bénéficiant du soutien de plusieurs associations. 

L'histoire se répète près de dix ans plus tard, cette fois outre-Atlantique. En 2004, les Etats-Unis annulent le visa de Tariq Ramadan, pourtant invité pour enseigner au sein d'une université américaine. Selon Le Monde, les autorités l'accusent d'avoir versé de l'argent à l'Association de secours palestinien (ASP), une organisation figurant sur une liste noire des Etats-Unis. Le théologien est soupçonné de soutenir et de contribuer au financement du terrorisme. L'interdiction ne sera levée que six ans plus tard, en janvier 2010. 

Il a demandé (sans succès) la nationalité française 

Le théologien suisse, marié à une Française convertie à l'islam, a annoncé vouloir devenir français en février 2016, en plein débat sur la déchéance de nationalité. "A l'heure où l'on parle, avec quelque désordre et fracas, de la déchéance de la nationalité, je pense qu'il est bon de donner un exemple concret et positif d'adhésion aux valeurs de la République", développe Tariq Ramadan dans un message publié sur Facebook. "Après des années de réflexion, j'ai pris la décision de prendre la nationalité française (ce qui est un droit, me dit-on, dans ma situation) (...) Suisse toujours, et français bientôt, je n'en poursuivrai que mieux mon engagement pour le vivre-ensemble", annonce l'islamologue. 

La réponse du Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, est cinglante. Le 22 mai, alors qu'il donne une interview à Radio J, le chef du gouvernement affirme qu'il n'y a "aucune raison pour que Tariq Ramadan obtienne la nationalité française". Il estime que le discours porté par le théologien est "contradictoire" avec les valeurs françaises. "Quand on aspire à être français, c’est qu’on aspire à partager des valeurs", tacle-t-il. 

Il a été conseiller de Tony Blair sur le terrorisme

Le professeur d'Oxford, récemment mis en congé à la suite des accusations de viols et de violences volontaires le visant, n'a pas eu qu'une carrière universitaire au Royaume-Uni. Comme le rappelle Le Monde, le gouvernement travailliste de Tony Blair l'a désigné conseiller en 2005, afin de travailler sur le terrorisme et la radicalisation religieuse de jeunes musulmans. Dans La Tribune de Genève, un éditorialiste estime alors que Tony "Blair démontre le bon usage qu’il convient de faire de Tariq Ramadan" : un juste milieu, entre "diabolisation et sanctification"

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