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Quatre idées reçues sur les condamnés à perpétuité

Alors que le Parlement a adopté un durcissement de la perpétuité pour les terroristes, retour sur quelques clichés qui entourent cette peine mal connue.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un détenu se tient dans sa cellule de la maison centrale de Clairvaux (Aube), le 4 août 2015. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Le Parlement serre la vis contre les terroristes. Le Sénat a définitivement approuvé, mercredi 25 mai, le projet de réforme pénale, qui prévoit notamment que les auteurs de crimes terroristes puissent être condamnés à la "perpétuité réelle", sans perspective de sortie avant trente ans de détention.

Qui sont aujourd'hui les condamnés à "perpète" ? Au 1er janvier 2015, ils étaient 475 à dormir en prison. Une proportion infime parmi la masse des détenus (0,6 %), mais des profils lourds de meurtriers et violeurs, qui alimentent de nombreux fantasmes autour d'un concept ambigu de "perpétuité". Francetv info lève quelques clichés sur ces détenus.

1 "Ils sont condamnés à la prison à vie"

Etre condamné à la réclusion criminelle à perpétuité ne signifie pas nécessairement croupir en prison jusqu'à ce que mort s'ensuive. En vertu d'obligations européennes, tout détenu a la possibilité d'être un jour libéré. "Il faut que les personnes aient cet espoir-là, sinon comment voulez-vous qu'ils se comportent avec respect ? Les surveillants se retrouveraient avec des gens prêts à tout, qui n'auraient rien à perdre", estime l'avocate Michèle Arnold.

Lors d'une condamnation à perpétuité, la peine est généralement assortie d'une période de sûreté, entre 18 et 22 ans, durant laquelle aucun aménagement de peine n'est possible. C'est au terme de cette période - voire un peu avant dans de rares cas - que les détenus peuvent déposer une demande de libération conditionnelle.

Dans des cas extrêmes (dont, désormais, les crimes terroristes), la cour d'assises peut, "par décision spéciale", ne fixer aucune période de sûreté. Même dans ce cas, une perspective de sortie reste possible : après 30 ans de détention, en cas d'avis favorable d'un collège d'experts se prononçant sur la dangerosité de la personne, un condamné peut prétendre à un aménagement de peine.

2 "Ils sont libérés dès la fin de la période de sûreté"

"Il faut tordre le cou à cette légende selon laquelle un 'perpète' qui a pris 20 ans de sûreté sortira au bout de 20 ans, c'est faux !", assène l'avocat Etienne Noël. "Ce n'est pas parce qu'une libération est possible qu'elle va avoir lieu", abonde l'ancien juge d'application des peines Philippe Laflaquière.

Avant de remettre les pieds dehors, un condamné doit déposer un dossier auprès de la justice. Le demandeur doit témoigner d'un bon comportement en détention, présenter des garanties de réinsertion (logement, promesse d'embauche ou de formation, etc.) et fournir des expertises prouvant une faible dangerosité. Certains devront déposer plusieurs demandes avant d'être libérés des années plus tard.

D'autres ne sortiront jamais. "Je me souviens d'un détenu mort en prison après y avoir passé 33 ans, dont toutes les expertises disaient qu'il était resté une brute, potentiellement dangereux", raconte Philippe Laflaquière. Des condamnés à perpétuité ne demandent pas à sortir, car ils craignent l'extérieur, n'ont plus toute leur tête ou n'ont pas connaissance des procédures. Incarcéré depuis 1965, Maurice Gateaux, 77 ans, s'est ainsi "résigné", selon un surveillant cité par Le Courrier Picard.

3"Leur sortie s'accompagne d'un fort risque de récidive"

On l'a compris, seuls les condamnés à perpétuité jugés peu dangereux peuvent bénéficier d'une libération. Selon une étude publiée en 2008 par l'administration pénitentiaire, les taux de retour en prison après ces sorties sont "relativement faibles". Sur 117 libérés entre 1995 et 2005, 17 ont reçu une nouvelle peine d'emprisonnement ferme (aucune perpétuité) dans un délai de trois à treize ans après la sortie. En comparaison, parmi l'ensemble des détenus libérés en 2012 sans distinction de peine, le taux de nouvelle peine de prison ferme dans les cinq ans était de 46%.

"En dix ans, j'ai signé plus de quarante libérations de condamnés à la perpétuité, raconte l'ex-juge Philippe Laflaquière. J'ai connu un cas de récidive criminelle parmi eux, pour un viol."

En revanche, les anciens condamnés à perpétuité, souvent cinquantenaires ou sexagénaires, sont ceux qui éprouvent le plus de difficultés à se réinsérer. "Plus ça dure et plus les gens sont désinsérés", déplore l'avocat Etienne Noël. Sa consœur Michèle Arnold se souvient de la sortie de son client Jean-Thierry Mathurin : "Au début, il était perdu, il ne savait pas prendre un billet de train, il ne connaissait pas ces machines." Un autre détenu, José, défendu par Delphine Boesel, a "failli vouloir rentrer" pendant sa première permission, "déboussolé par cette vie où tout allait plus vite"

4"Les victimes n'ont pas leur mot à dire sur les libérations"

A l'heure du verdict, à l'énoncé d'une perpétuité, les parties civiles peuvent s'imaginer que le condamné ne retrouvera jamais le monde libre. Des années plus tard, quand vient une éventuelle sortie, à défaut de pouvoir s'y opposer, elles sont invitées à donner un avis favorable ou défavorable auprès de la chambre d'application des peines.

Très fréquemment, l'avis est défavorable. La procédure "ravive des peurs et des douleurs", regrette Philippe Laflaquière. "Il est normal que les victimes donnent leur opinion, mais c'est la société qui a le dernier mot, tranche l'avocate Michèle Arnold. Est-il nécessaire de maintenir en détention quelqu'un qui a fait des efforts pendant plus de vingt ans ?"

Par ailleurs, pendant sa détention, le condamné est souvent redevable financièrement à l'égard des proches de sa ou ses victimes. "S'il travaille ou s'il dispose d'un capital, le fait pour lui d'indemniser l'entourage prouve une prise en compte de la situation et peut faciliter une sortie", note Etienne Noël. Le processus continue après la sortie. Libéré depuis 2007, le nationaliste basque Philippe Bidart, meurtrier de deux CRS et d'un gendarme, "continue à verser des sommes au fonds de garantie" et, "sauf à être centenaire, aura à le faire toute sa vie", selon son avocat, Philippe Aramendi.

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