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Procès des attentats de janvier 2015 : "Pourquoi cette haine du juif ?" demandent les parties civiles de l'Hyper Cacher

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Le pupitre du prétoire dans la salle d'audience dédiée au procès des attentats de janvier 2015, au tribunal judiciaire de Paris, le 27 août 2020. (MAXPPP)

La cour d'assises spéciale a entendu les familles des victimes et les rescapés de la prise d'otages mardi et mercredi. 

Ils ont perdu un proche ou fait face à Amedy Coulibaly. Ils ont en commun d'être juifs et profondément meurtris. La cour d'assises spéciale a entendu pendant deux jours, mardi 22 et mercredi 23 septembre, les parties civiles de l'Hyper Cacher au procès des attentats de janvier 2015. Comme les victimes de Charlie Hebdo et de Montrouge, ces familles et ces rescapés témoignent toutes d'un avant et d'un après ce 9 janvier 2015.

"On est des survivants, on n'arrivera plus à vivre normalement, c'est impossible. On nous a volé notre chair, ce ne sont pas que des mots", clame le premier le père de Yohan Cohen, tentant de contenir sa colère à la barre. Son fils de 20 ans, employé du magasin, a agonisé pendant une heure et demie après avoir reçu trois balles. L'annonce de sa mort est accueillie par "des pleurs, des hurlements". "Le pire a été le lendemain matin, on avait l'impression d'être des autres gens." La famille est partie vivre en Israël après l'attentat, "Yohan est enterré là-bas".

Ce n'est pas possible d'enlever la vie à un enfant de 20 ans, je ne pardonnerai jamais. Pourquoi cette méchanceté gratuite, cette haine du juif ? Je n'arrive toujours pas à l'expliquer.

Le père de Yohan Cohen

devant la cour d'assises spéciale

"A chaque anniversaire, chaque fête, c'est fini, ce ne seront plus jamais des joies à 100%." Dans la vie active depuis "l'âge de 15 ans", le père de Yohan Cohen a arrêté de travailler : "Je suis incapable de faire quoi que ce soit, je ne suis plus moi." "Ce n'est pas un enfant qui est mort, c'est toute une famille", confirme son beau-frère devant la cour.

"Ils savent qu'un méchant monsieur l'a tué"

Valérie est elle aussi "morte avec" son mari, ce jour-là. Philippe Braham a été exécuté de deux balles par Amedy Coulibaly, qui lui a demandé son nom juste avant. "Ça va faire six ans, ça paraît long, mais moi j'ai l'impression que c'était il y a deux jours", témoigne sa veuve. Le couple avait trois enfants, âgés de 8 mois, 2 ans et demi et 8 ans à l'époque. "Ils savent que leur papa est parti, que c'est un méchant monsieur qui l'a tué, mais ils ne comprennent pas pourquoi. Papa, c'est le plus gentil du monde." Dévastée par le chagrin, elle s'accroche à la barre : "Mon mari, c'était mon pilier dans ma vie. Il manque sur cette terre, c'était quelqu'un avec beaucoup de valeurs." Elle se remémore cette journée. Les courses faites la veille à l'Hyper Cacher, les produits qu'il avait oubliés. "Le pauvre, pour ne pas me contrarier, il y est retourné, peut-être que si je n'avais rien dit…" s'effondre-t-elle.

Ce sentiment de culpabilité transparaît aussi dans la lettre de la femme de François-Michel Saada, lue à l'audience par son avocat. Partie vivre en Israël après l'attentat, elle a renoncé à venir témoigner. "Trop douloureux". Son époux a été tué "en allant acheter les pains de shabbat". Il s'est faufilé dans le magasin in extremis et le terroriste l'a abattu alors qu'il faisait demi-tour. "Voilà plus de cinq ans que chaque vendredi, 297 exactement, je me repasse impuissante le film de notre vie", écrit-elle. Le couple s'était retrouvé à la pause déjeuner, non loin de la Porte de Vincennes. "Si je lui avais parlé un peu plus, l'avait retenu, il ne serait pas mort. La culpabilité me ronge et me détruit. C'est comme une mort lente."

Michel était la colonne vertébrale de notre famille. Je ne cherche pas la vengeance mais l'apaisement. Alors qu'au moins, justice soit rendue.

La veuve de François-Michel Saada

dans une lettre lue devant la cour d'assises spéciale

"Cet attentat a été une épreuve qui nous a détruits et fracassés en mille morceaux", appuie la sœur de François-Michel Saada, confiant à la cour que son frère lui avait déjà parlé de son intention de faire son alya, aller vivre en Israël. "Il m'avait dit : 'On ne peut plus rester en France, nous les juifs. Tu devrais faire pareil'. Cette phrase, elle revient sans cesse, j'y pense tout le temps."

"Quatre heures de chuchotements"

Le père de Yoav Attab, ce jeune homme de 21 ans mort en voulant s'emparer de la kalachnikov du terroriste, raconte aussi le deuil impossible. "Depuis ce jour, notre vie a changé complètement. Les enfants, ça va pas. Ma femme, ça va pas. Cette affaire-là, elle a touché toute la famille." Les mêmes questions, obsédantes, reviennent à la barre : "Pourquoi la haine ? Qu'est-ce qu'il a fait mon fils ? Il va acheter une bouteille de vin et il paye de sa vie ? Juste parce qu'il est juif ?"

Ceux qui étaient à l'intérieur de l'Hyper Cacher se les posent aussi. "Quatre personnes ont été assassinées sauvagement seulement parce qu'elles étaient juives. J'essaie de trouver des réponses à mes questions depuis cinq ans mais je n'en ai toujours aucune", souligne Zarie Sibony, qui tenait la caisse ce jour-là. Cette jeune femme battante fait tout pour "aller mieux", mais elle lutte aujourd'hui contre la culpabilité du survivant : "Si Yohan n'avait pas été là en train de ranger un caddie, c'est sur moi que le terroriste aurait dû tirer. Monsieur Saada ne serait pas rentré si j'avais fermé le rideau plus tôt et Yoav Attab, c'est moi qui l'ai fait remonter."

"Cette survie [à l'attentat] interdit une vie normale", résume Patrick Klugman, avocat de plusieurs parties civiles, dont Noémie, restée cachée dans la chambre froide avec six autres personnes. "C'était quatre heures de chuchotement et de murmures", dans le noir. Après l'assaut, il faut sortir du magasin par le haut. "Les policiers nous ont dit de les suivre, de baisser la tête sans regarder, ce que j'ai fait. Mais je voyais très bien que mes pieds marchaient dans une mare de sang", raconte cette ancienne infirmière en soins intensifs, qui a dû renoncer à "sa passion, sa vocation". "La vue du sang devenait compliquée." La jeune femme, à qui les médecins ont diagnostiqué une "fibromyalgie liée au stress post-traumatique", n'a toujours pas repris le travail. "A l'hôpital, mon nom à consonance juive est écrit sur mon badge, j'ai peur que quelqu'un s'en prenne à moi."

"Celui n'était pas à l'intérieur ne peut pas comprendre"

Brigitte a elle aussi laissé une part d'elle-même sur le sol de l'Hyper Cacher, le 9 janvier 2015. Cachée dans la réserve avec son mari, elle est remontée avec d'autres otages.

Il y a une Brigitte qui en est sortie, mais une autre qui est restée, qui n'est plus la même.

Brigitte, ex-otage à l'Hyper Cacher

devant la cour d'assises spéciale

Pendant ces quatre heures, elle est persuadée qu'elle va mourir. Réfugiée sous une caisse au moment de l'assaut, elle sent une vive brûlure. "Je me dis : 'Ça y est, je suis morte'. Je dis à mon mari : 'Va-t'en, pars, va, je suis morte. Dis ce qu'il s'est passé, pour moi, pour tout le monde, parce qu'on est juifs." Elle suffoque à la barre. Si sa blessure était superficielle, son tourment est profond. "Pendant deux ans, je ne suis pas sortie, sauf pour aller consulter les médecins. J'ai été licenciée de mon travail de commerciale que j'aimais. Je ne souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi, de vivre ce qu'on a vécu dans l'Hyper Cacher. Celui qui n'était pas à l'intérieur ne peut pas comprendre."

Le dernier témoignage entendu par la cour ne dit pas autre chose. Sophie a préféré enregistrer sa déposition depuis l'étranger. Elle a quitté la France avec mari et enfants pour "s'en sortir", fuir les "cauchemars", "l'angoisse permanente" et "la tristesse, une grande tristesse". Devant la caméra de son ordinateur, elle raconte comment elle a fait remonter des otages à la demande du terroriste. "Je m'en suis voulue d'avoir fait remonter un enfant de 3 ans. On essayait avec son père de lui cacher l'insoutenable, les corps, les flaques de sang." "Si je témoigne aujourd'hui, poursuit-elle, c'est pour qu'on se souvienne de ces quatre victimes innocentes, pour que la cour d'assises juge et condamne les complices de cet attentat clairement antisémite, perpétré par des islamistes français." Avant d'éteindre l'écran, elle ajoute : "Je me souviendrai toujours de ce qu'a dit Amedy Coulibaly : 'Ça ne fait que commencer'. Effectivement, ça venait de commencer."

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