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"Je me suis dit que c’était fini" : au procès des attentats de janvier 2015, le récit glaçant de l'homme qui a tenté de désarmer Coulibaly à Montrouge

La cour d'assises spéciale a abordé vendredi l'attentat commis par Amedy Coulibaly à Montrouge, qui a coûté la vie à la policière Clarissa Jean-Philippe. L'un des survivants s'est remémoré ces moments sombres où il s'en est sorti miraculeusement.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les magistrats de la cour d'assises spéciale, le 16 septembre 2020, au procès des attentats de janvier 2015.  (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Il fait froid et encore nuit, ce matin du 8 janvier 2015, à Montrouge (Hauts-de-Seine). L'attentat de la veille à Charlie Hebdo est dans toutes les têtes. Un peu avant 8 heures, Laurent J., chef d’équipe au service propreté de la ville, est appelé pour un accident de la circulation, avenue Pierre-Brossolette. Pendant qu'il discute avec ses collègues de la voirie, il sent quelqu'un derrière lui. "La manche gauche d'Amedy Coulibaly me touchait, il était juste là", raconte-t-il devant la cour d'assises spéciale, vendredi 18 septembre, au 13e jour du procès des attentats de janvier 2015.

Il poursuit d'une traite à la barre, sans hésitation, gestes à l'appui : "Je le vois faire un petit pas en arrière et sortir une arme de guerre. Il a tiré immédiatement. Pour moi, c’était une blague". Puis Laurent J. voit son collègue, Eric U., touché au visage*. Sans réfléchir, "dans un état de haine", il fonce sur le terroriste. "J’ai la main gauche accrochée au canon, la droite sur la crosse, le gars est balaise, je me retrouve à genoux avec la 'kalach' dans ma main, je me dis : 'Si tu lâches, t’es mort'. C’est là qu’il a prononcé une seule phrase : 'Tu veux jouer, tu vas crever'".

Laurent J. prend un coup sur la tête, lâche l'arme et voit son adversaire prendre un pistolet dans sa poche. "J’ai regardé le canon et après je l’ai regardé dans les yeux, je me suis dit que c’était fini." Mais l'arme du terroriste s'enraye. "Ça a duré une ou deux secondes, il a fait demi-tour et il est parti en courant. Là, j’ai vu Clarissa [Jean-Philippe]", la policière municipale de 26 ans tuée par Amedy Coulibaly.

L'école juive, cible initiale ?

"Je vous ai fait la version courte", souligne Laurent J., dont le face-à-face avec le terroriste lui a semblé durer une éternité. Dans la version longue, qu'il finit par livrer, il y a le visage du tireur "comme de la cire, sans aucune expression mais avec cette espèce de joie dans le regard", sa "voix sans haine, militaire".

Je ne me suis pas vu lui sauter dessus. Pendant quelques minutes, je suis devenu fou. Pour moi, ce n’est même pas de l’héroïsme, c’est probablement ça qui m’a sauvé.

Laurent J.

devant la cour d'assises spéciale

"C’était bien de l’héroïsme", précise son avocate, qui lui demande comment il va aujourd'hui. "Je n’ai plus vraiment de vie. Maintenant, dès que j’ai du temps libre je suis sur internet, je regarde des histoires de terrorisme, plus rien d’autre ne m’intéresse, je n’arrive plus à me sortir de ça, en plus de l’hypervigilance." Quand il va au restaurant, Laurent J. regarde si les couteaux sont assez pointus, pour anticiper. Il a quitté sa compagne de toujours car il est devenu, dit-il, comme "un caillou".

Pourtant, "j’avais encaissé l’attaque, assure-t-il. Le lundi suivant, à 6 heures du matin, j’étais à mon poste. Mais le 13 novembre [2015, au soir des attentats du Bataclan, des terrasses de Paris et du Stade de France], j’ai sombré psychologiquement. J’ai appris que le seul survivant du commando [Salah Abdeslam] s’était caché à 200 mètres de chez moi". "Puis j’apprends que la ceinture d’explosifs a été laissée à Montrouge. J'ai pensé que Daech avait un bureau dans la rue", ironise-t-il.

Laurent J. connaît bien le quartier. Pour lui, la cible initiale d'Amedy Coulibaly le 8 janvier était l'école juive à proximité. "L’horaire correspondait, la direction dans laquelle il descendait, aussi. On ne peut pas venir dans un quartier comme ça, surarmé, en se disant : 'Je verrai sur place'. Ce qu’il a fait le lendemain [l'attaque de l'Hyper Cacher], c’est une preuve de plus."

"On lui a enlevé la vie trop tôt"

Comme Mohamed Merah à Toulouse, Amedy Coulibaly est venu sur les lieux à moto. L'engin a été retrouvé garé non loin, un mois plus tard. Selon Laurent J., le terroriste est arrivé à l'avance, a vu qu'il n'y avait personne devant l'école. Ne pouvant rester statique au risque d'être repéré par la police, "il a fait un tour pour laisser passer 10-15 minutes et redescendre vers sa cible inititiale". En chemin, il est tombé sur l'accident de la circulation, et a fait feu sur Clarissa Jean-Philippe, qui devait recevoir son diplôme de policière municipale le lundi suivant.

Des photos de la jeune femme ont été projetées vendredi dans la salle d'audience, à la demande de sa mère. Ces images, où on la découvre écolière, adolescente, puis adulte, sont tout ce qui lui reste de sa fille. Elles occupent une pièce entière de sa maison en Martinique. Atteinte de deux cancers, Maria Louisa Jean-Philippe a parcouru 7 000 kilomètres depuis son île pour assister à l'audience. "On lui a enlevé la vie trop tôt et j’espère que les gens qui ont fait ça vont payer", déclare-t-elle à la barre, très éprouvée. "Celui qui a tué votre fille, c’est Amedy Coulibaly, qui est mort le lendemain", souligne le président de la cour. "Oui, mais il avait des complices, il y a quelqu’un d’autre qui lui a donné l’ordre. Pour moi, la personne qui a donné l’arme est la plus coupable", rétorque-t-elle.

Les dix accusés dans le box, dont certains sont jugés pour avoir fourni, transporté ou stocké les armes des terroristes, sont invités à réagir à ce qu'ils ont entendu tout au long de la journée. Si la majorité d'entre eux ne connaissaient pas les frères Kouachi, ils ne peuvent en dire autant d'Amedy Coulibaly. Mais tous soutiennent qu'ils ignoraient la radicalisation et les intentions du braqueur. "Bon, c'était un criminel, d'accord. Moi aussi je suis un criminel. Mais un terroriste et un assassin, je ne savais pas", soutient Ali Riza Polat, le seul à être renvoyé devant la justice pour complicité de crimes terroristes. Lundi, la cour d'assises spéciale abordera l'attentat de l'Hyper Cacher.

* Vivant, il n'a pas souhaité témoigner lors du procès.

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