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C'est dans ma tête. Le poids des absents au procès des attentats de janvier 2015

Le procès des attentats de janvier 2015 a commencé le 2 septembre, et il se déroule, on le sait, en l’absence de leurs auteurs. Quelles conséquences pour les proches des victimes mais aussi pour nous ? Le décryptage de la psychanalyste Claude Halmos. 

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Ali Riza Polat, lors de son interrogatoire au procès des attentats de janvier 2015, le 4 septembre 2020. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Le procès des attentats de janvier 2015 qui a commencé le 2 septembre, se déroule, on le sait, en l’absence de leurs auteurs. C’est-à-dire sans que l’on ait la possibilité de savoir qui ils étaient, et ce qui les a conduits à commettre ces attentats.  

franceinfo : Quelles sont les conséquences que peut avoir cette absence, sur les proches des victimes bien sûr, mais aussi sur nous tous ?    

Claude Halmos : La présence des auteurs de ces attentats aurait certainement été très importante. Face à des évènements de cet ordre, on dit en général "qu’il n’y a pas de mots" pour en parler, parce qu’ils dépassent en horreur, ce que les mots peuvent exprimer. Et, en même temps, quand on écoute ce qui s’en dit, on se rend compte que deux notions reviennent régulièrement : celle de "cauchemar" (on parle de scènes de cauchemar). Et celle de "monstres", pour qualifier les responsables de ces cauchemars. Et ces deux termes traduisent ce dans quoi nous sommes pris.

Pourquoi sommes-nous pris entre ces deux termes, "cauchemar" et "monstres" ?

Les cauchemars ont pour caractéristique de nous plonger dans l’horreur et la terreur. À cause de ce qu’ils mettent en scène. Mais aussi, et surtout parce que, comme ils obéissent à une logique particulière, qui nous échappe, nous ne parvenons pas à en comprendre le sens. Cette incompréhension accroît notre terreur parce qu’elle nous fait nous sentir si impuissants, et sans repères, que nous finissons par nous perdre nous-mêmes.

Et nous ne pouvons sortir de cet état, qu’en sortant de cette incompréhension et de cette impuissance. Parce que c’est seulement en en sortant, que nous pouvons revenir à nous-mêmes. C’est ce qui se passe en analyse : quand on arrive à trouver le sens d’un cauchemar, on n’efface ni l’atrocité de ce qu’il raconte, ni celle des faits de notre histoire auxquels il peut renvoyer, mais la terreur tombe parce que l’on a retrouvé le monde réel. Par rapport aux attentats, la présence des auteurs aurait peut-être pu permettre une démarche de ce type.  

De quelle façon ?  

Nous avons, aujourd’hui, des explications par rapport à ces attentats. Nous savons que les tueurs de Charlie Hebdo voulaient tuer la liberté de penser ; et au nom de quoi ils voulaient la tuer. Mais nous ne savons pas, faute qu’ils soient là, qui ils étaient, et ce qui s’était passé dans leur histoire pour qu’ils en arrivent à commettre de telles atrocités. Il nous manque la dimension humaine, c’est-à-dire ce qui nous permettrait, étant face à des humains, de comprendre comment des humains ont pu faire des choses aussi inhumaines.

Et nous en sommes donc réduits à l’idée de "monstres" qui évidemment n’est pas juste. Mais qui, de plus, nous laisse, comme les cauchemars, dans l’irréel, le magique, et donc l’impuissance et la terreur. Comprendre pourquoi quelqu’un a commis un acte, c’est comprendre aussi comment il aurait pu ne pas le commettre. Et donc ramener les choses, pour monstrueuses qu’elles soient, dans le registre de l’humain. C’est-à-dire de ce qui n’est pas inéluctable, et que l’on peut empêcher.

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