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Au procès des attentats de janvier 2015, Miguel Martinez déconstruit son image de trafiquant d'armes et de "barbu" du dossier

Cet homme de 38 ans, ancien associé d'Abdelaziz Abbad dans un garage à Charleville-Mézières, a reconnu avoir joué un rôle d'intermédiaire pour transporter des armes mais nie toute implication dans le dossier terroriste. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Miguel Martinez lors de son interrogatoire au procès des attentats de janvier 2015, devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 22 octobre 2020. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Miguel Martinez attend son tour depuis "longtemps". Il est le dixième – et avant-dernier – accusé à être interrogé au procès des attentats de janvier 2015, jeudi 22 octobre. Il est déjà debout, prêt à répondre aux questions de la cour d'assises spéciale de Paris, lorsque les débats commencent. Du haut de ses "deux mètres", comme il aime à le rappeler, cet homme de 38 ans au crâne rasé et au pull couleur rouille est aussi clair dans son propos qu'Abdelaziz Abbad était confus dans le sien, mercredi. Les deux, côte à côte dans le box, sont indissociables dans le dossier : non seulement ils ont géré un garage ensemble à Charleville-Mézières, dans les Ardennes, mais ils sont les deux seuls accusés à avoir spontanément évoqué Saïd Kouachi lors de leurs premières auditions en garde à vue. 

Miguel Martinez, interpellé au printemps 2017 dans le volet armes du dossier, se souvient ainsi de l'avoir aperçu dans son garage trois ans plus tôt, en compagnie d'un homme qu'il identifie sur une planche photos comme son beau-frère, Tarek Bouarfa. Ce devait être en septembre 2014 car "ils avaient des vestes, il faisait froid". "Dans les Ardennes, il n'y a pas d'été indien", glisse l'accusé, qui se plaît à faire des apartés sur "le milieu" d'où il vient. L'objet de cette visite ? "Un changement de pneus." Miguel Martinez fait dans l'occasion, avec "des prix défiant toute concurrence". Pourquoi s'en souvenir ? "Saïd Kouachi avait un visage assez marquant, avec un teint mat, des yeux clairs et une bouche épatée." Surtout, pourquoi en parler lors de cette première audition, deux ans après les attentats ?  

J'ai pensé que ça (parler de Saïd Kouachi) pouvait être utile à l'enquête. Moi je suis contre ce qui s'est passé, je suis contre le terrorisme, donc si je peux aider.

Miguel Martinez

devant la cour d'assises spéciale

Les deux hommes ont-ils échangé ? "Il était là en accompagnateur, il n'a pas un dit un mot, juste 'merci' en partant", assure Miguel Martinez. Ce premier élément à charge évoqué, vient le deuxième : les armes. Au même titre qu'Abdelaziz Abbad, Metin Karasular et Michel Catino, il est soupçonné d'avoir cherché et fourni des armes aux frères Kouachi et à Amédy Coulibaly, via un quatrième accusé, Ali Riza Polat. Après avoir nié en bloc pendant l'instruction, Miguel Martinez "veut en finir" et se dit prêt à prendre "sa part de responsabilité". Qui se résume, selon lui, à un rôle d'intermédiaire joué par amitié pour son associé Abdelaziz Abbad. 

Des "évolutions sensibles" dans sa version

Au printemps 2014, ce dernier est mis en cause dans une affaire d'homicide sur fond de règlements de compte – pour laquelle il a été condamné en appel à 25 ans, en novembre 2018. A peine ouvert, le garage et tout ce qui va avec, "l'argent de la sueur", le droit chemin, tombent à l'eau. Abdelaziz Abbad, plus ou moins "en cavale", a "besoin  de refaire du business". Comprendre : "de l'argent sale". Il missionne Miguel Martinez, qui doit lui rembourser ses parts dans le garage, pour aller voir du côté de chez Metin Karasular, à Charleroi. Le Belge conseille d'investir dans des armes et donne le contact d'Ali Riza Polat. Miguel Martinez "chapeaute" l'autre Belge du dossier, Michel Catino, 68 ans, chargé de remonter le sac depuis la région parisienne. 

Miguel Martinez reconnaît avoir récupéré la marchandise, donné 500 euros au transporteur et mis le sac dans un camion. Toujours à la demande de celui qu'il nomme "monsieur Abbad", il trouve une planque dans le quartier d'Orzy, à Revin, où il a grandi. Il reconnaît aussi avoir vu deux armes longues au garage de Metin Karasular, "présentées en compensation" de la piètre qualité, selon lui, du premier lot. C'était "un vieux fusil de chasse et un genre de carabine bizarre, qui avait l'air d'être modifiée. Monsieur Abbad décide de ne pas les prendre."

Pointant "les évolutions sensibles" dans sa version des faits, les magistrats de la cour et du parquet s'interrogent : pourquoi Miguel Martinez a-t-il accepté d'aller voir Metin Karasular en lieu et place d'Abdelaziz Abbad ? L'accusé sort plusieurs arguments de sa manche. Sa "carrure", plus imposante que celle de son co-accusé. Ses talents de "commercial" – "vous l'avez vu, avec Metin Karasular, on va commencer à parler de chiffres et on va terminer sur le PKK, ça part dans tous les sens" – ; l'impossibilité pour son associé de se rendre en Belgique où il avait "une peine" à effectuer – il s'y est pourtant rendu par la suite – ; enfin, son sens de l'amitié, qui prime alors sur sa volonté de "changer de vie". "Moi, en dehors des tribunaux, je ne fréquente pas d'avocats, de juges. C'est une affaire de milieu, mes amis restent les mêmes", explique celui qui affiche 20 condamnations sur son casier judiciaire, pour des infractions routières, du trafic de stupéfiants et des outrages. 

J'ai pas participé au business, j'ai pas mis un euro, mais j'ai ma part de responsabilité pour avoir trouvé un endroit où mettre les armes. Je sais que c'est répréhensible mais ça n'a rien à voir avec les attentats.

Miguel Martinez

devant la cour d'assises spéciale

"Ces armes, je sais qu'elles se sont fait voler, je ne savais pas qu'elles avaient fini dans la Meuse", poursuit-il, en référence au témoignage d'une femme chez qui le sac a été caché et qui a affirmé mercredi à l'audience en avoir jeté certaines à la rivière par peur des représailles. Deux autres ont été vendues à un collectionneur. "Concernant les armes, voilà ce qu'il en est." On en vient au troisième élément à charge : la religion. 

Et le film "Bernie" surgit à l'audience

Miguel Martinez s'est converti à l'islam à l'âge de 9 ans, après le suicide de son père. "J'étais dans un quartier à grande population musulmane, il n'y avait pas d'église, pas de chapelle mais une mosquée", avait-il souligné lors de son interrogatoire de personnalité. Il complète, jeudi : "J'avais besoin de trouver une réponse. C'est difficile, quand on est gosse, de s'imaginer que son père est en train de pourrir dans une tombe, on a besoin de se rattacher à autre chose.". Il approfondit sa connaissance des textes à l'occasion de ses séjours en prison, effectue un pélerinage à La Mecque en 2012. Se laisse pousser la barbe. Porte parfois le khemi pour aller à la mosquée. Autant d'éléments, selon lui, qui attirent l'attention des services de renseignement : "Tous les voyants s'allument, je coche toutes les cases."

"Quand je suis arrivé dans le bureau de la juge, elle m'a dit 'Ça tombe bien, je n'avais pas de barbu dans mon dossier', Me Margot Pugliese (son avocate) pourra vous le confirmer", assure l'accusé, dont la barbe, courte, est cachée par le masque. Miguel Martinez s'attache à déconstruire cette image. Raconte de lui-même aux enquêteurs avoir rassuré son beau-père, qui s'inquiétait au sujet de ce pélerinage. "Je faisais 135 kilos à l'époque. Je lui ai dit 'Tu crois que je vais aller faire des galipettes avec Al Qaïda ?'" A l'audience, ce musulman pratiquant tient à parler de la religion et s'offusque quand l'avocate générale ne lui pose aucune question sur le sujet alors que cela fait quatre ans qu'il y a "beaucoup d'accusations" sur ce point. C'est son avocate qui s'en charge.

- "Quels sont les liens entre la religion et la République pour vous ?

- La République, c'est la loi et la religion, c'est de l'ordre de l'intime, pour moi, ça ne s'oppose pas. 

- Vous pensez qu'on peut tuer pour défendre le prophète ?

- Non, non, on ne peut pas tuer pour rien, on ne tue pas des mecs qui ont fait des dessins, ce sont des dessins, il faut laisser ça à sa place."  

Malgré tout, un élément pèse lourd depuis quatre ans dans la thèse de la radicalisation de Miguel Martinez. Ou plutôt un témoignage. Celui du père de sa compagne. Cet homme, qui ne digère toujours pas que sa fille soit tombée amoureuse d'un musulman et enchaîne les clichés racistes à la barre, confirme en pleurs avoir vu son gendre regarder une vidéo de décapitation, "mort de rire", avec des copains. Décapitation, ce n'est "peut-être pas le bon mot", admet-il aujourd'hui. "Il s'agissait de deux hommes qui sortaient d'une Renault Clio et qui mettaient un coup de pelle en pleine figure à une femme." Me Pugliese intervient : "Cette vidéo, je l'ai vue, il me semble qu'il s'agit du film Bernie d'Albert Dupontel." Emoi dans la salle. Des portables s'allument, la bande-annonce correspond. "Sachez, monsieur, que pendant toutes ces années de procédure, mon client a fait des demandes de remise en liberté, et à chaque fois, on lui a opposé cette vidéo de décapitation", précise l'avocate. "Si c'est une vidéo de Dupontel, ça n'est effectivement pas une vidéo jihadiste", concède le premier assesseur. Voilà pour la religion. Le dernier interrogatoire, celui d'Ali Riza Polat prévu à partir de lundi, devrait permettre d'assembler les derniers morceaux d'un puzzle décidément à trous.

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