Opérations "place nette XXL" contre la drogue : une solution de court terme qui "pose quand même pas mal de problèmes", selon un magistrat

Pour le magistrat Guillaume Daïeff, invité jeudi sur franceinfo, estime que les opérations "place nette XXL" posent notamment des atteintes aux libertés publiques.
Article rédigé par franceinfo
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Une opération contre le trafic de stupéfiant en 2024. (FLORIAN SALESSE / MAXPPP)

Lors d'une audition devant la commission d'enquête du Sénat sur les moyens alloués à la lutte contre les stupéfiants, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a critiqué les investigations "extrêmement longues" menées par les juges d'instruction pour remonter les filières, préférant les opérations "place nette XXL" menées contre la drogue depuis plusieurs semaines, dont le but "est de couper les tentacules de la pieuvre". Un discours qui passe mal auprès des magistrats qui se mobilisaient justement lundi dans une tribune publiée par Le Monde, demandant un "investissement vital" de la part de l'État "pour la démocratie et l'État de droit".

Pour Guillaume Daïeff, magistrat qui coordonne la 13echambre du tribunal judiciaire de Paris et signataire de la tribune, invité de franceinfo jeudi 10 avril, les opérations voulues par Gérald Darmanin relèvent du court terme et "posent quand même pas mal de problèmes", notamment car "on va couper quelques petits bouts de tentacules et puis dans trois mois, elles auront repoussé".

Franceinfo : Comment réagissez-vous aux propos de Gérald Darmanin ?

Guillaume Daïeff : Ce qui m'intéresse dans cette intervention, c'est qu'elle porte sur un débat assez technique, qui se pose tous les jours entre, d'une part, les juges d'instruction et les procureurs, et de l'autre, leurs enquêteurs de la police judiciaire : quand doit-on intervenir et quand ne doit-on pas ? Je vais vous prendre l'exemple d'un camion dans lequel il y a la résine de cannabis. On sait qu'il circule. Alors est-ce qu'on l'arrête tout de suite ou est-ce qu'on ne l'arrête pas tout de suite ? Si on l'arrête tout de suite, on ne va pas savoir où il devait aller. Alors on va attendre qu'il aille dans le hangar. Et là, est-ce qu'on intervient ? Non, parce qu'on aimerait bien voir qui va venir chercher les pains de cannabis. Là, dans ce débat-là, qui est un débat quotidien, on a un ministre de l'Intérieur qui prend une position et qui dit que le camion, il faut l'arrêter tout de suite. Je suis étonné que la question donne lieu à une prise de position à un aussi haut niveau.

"Couper les tentacules de la pieuvre", c'est simpliste selon vous ?

Je me souviens que ma professeure de SVT nous avait expliqué que les tentacules de pieuvre, quand on les coupait, elles repoussaient. Donc, on va couper quelques petits bouts de tentacules et puis dans trois mois, elles auront repoussé. Ces opérations, c'est pas nouveau, on les appelle "place nette", mais avant elles s'appelaient des opérations coup de poing. Ça peut être utile, mais ça pose quand même pas mal de problèmes. Ce n'est pas souvent le plus efficace. Et puis ces opérations "place nette" posent aussi des questions d'atteinte aux libertés publiques. Dans ces opérations, il y a des contrôles d'identité de tout le monde, il y a des ouvertures de coffres et de voitures de tout le monde, il y a des visites de toutes les parties communes, sans même que les personnes concernées n'aient commis la moindre chose. C'est une sorte de mini-état de siège ou mini-état d'urgence, ce qui questionne à mon sens, au plan de la protection des libertés publiques.

Le ministre vous reproche de ne pas ouvrir systématiquement d'enquêtes pour blanchiment. Est-ce qu'il a raison ou est-ce qu'il vous provoque ?

On a été tous un peu surpris. Le procureur, quand il fait une enquête, évidemment qu'il cherche aussi à avoir un volet blanchiment. Sauf que pour faire le blanchiment, il faut des enquêteurs qui ont une autre casquette et d'autres types de compétences que ceux qui font vraiment du stup. Il faut des gens qui savent un peu compter, qui connaissent un peu les réseaux bancaires faciles. Ce qu'on dit dans notre tribune, c'est que les filières financières dans la police judiciaire, elles sont en déshérence. Pourtant, ça peut rapporter de l'argent au budget de l'État par le biais des saisies. Par exemple, une enquête, qui a duré beaucoup trop longtemps sans doute au goût de notre ministre de l'intérieur, contre une banque suisse [UBS] a donné lieu à des sanctions pécuniaires d'environ 4 milliards d'euros avec une caution de 1,1 milliard. On a mis un peu de temps, c'est vrai, mais ça rapporte. Et pour ça, il faut des enquêteurs.

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