Naufrage mortel sur la Seine : "Un procès pour faire le deuil de mon père"
Le 13 septembre 2008, une petite embarcation était coulée après avoir percuté un bateau-mouche. Un père de famille et un enfant de six ans sont morts noyés.
C'est un drame rarissime que doit juger, à partir de lundi 2 mars, le tribunal correctionnel de Paris. Dans la salle d'audience de la 10e chambre s'ouvre le procès d'un naufrage survenu six ans et demi plus tôt, à 300 mètres de là. Le samedi 13 septembre 2008, sous le pont de l'Archevêché situé au pied de Notre-Dame de Paris, La Besogne, un bateau de passagers de la compagnie des Bateaux-Mouches, percutait une petite vedette, L'Alcyone, sur laquelle se trouvaient douze personnes qui participaient à une promenade privée. Christophe Hamilton, qui tenait la barre du bateau de plaisance, et Virgil T., dont on célébrait ce soir-là le sixième anniversaire, meurent noyés dans l'épave, au fond de la Seine.
Florent Bonnin, qui pilotait le bateau-mouche, comparaît pour "homicides et blessures involontaires", "navigation à une vitesse excessive" et "usage de stupéfiant". Il avait en effet été contrôlé positif au cannabis quelques heures après le drame. De quoi risquer cinq années de prison.
"Six ans après, nous n'avons pas fait notre deuil"
Au tribunal, la tension est palpable avant même l'ouverture de la salle d'audience. Marlène Hamilton, fille du capitaine de la vedette décédé, est bouleversée. "J'attends que certains ici reconnaissent leurs fautes, pour que nous puissions enfin faire le deuil de notre père. Six ans après, on ne l'a toujours pas fait."
Du côté de la défense, on écarte en bloc la responsabilité de Florent Bonnin. "Le capitaine de l'Alcyone a commis une accumulation de fautes : son bateau était vieux de 40 ans, transportait plus de passagers que la capacité autorisée, n'était pas assuré, et s'arrêtait et repartait, ce qui est formellement interdit sur cette portion de la Seine", explique Me Régine de la Morinerie, qui défend le prévenu. Selon elle, le naufrage de la vedette a été provoqué par la surcharge du navire, conjuguée aux forts courants et à une avarie. Quant à la présence de cannabis dans le sang de son client, elle s'explique par deux joints consommés la veille du drame, Florent Bonnin reconnaissant être un fumeur régulier.
Des maquettes pour mieux comprendre
Dans la salle, la présidente du tribunal prévient : "le dossier est extrêmement technique et pointu". Pour aider le procureur et les juges à appréhender les subtilités de la navigation sur fleuve, deux maquettes des bateaux ont été disposées sur un bureau. Celle de La Besogne, qui mesure 60 mètres de long en réalité, nécessite deux mains pour être manipulée. Celle de L'Alcyone tient entre deux doigts.
Gilles Renard, rescapé de la vedette et lui-même marin, évoque à la barre le sentiment "d'intimidation" qu'il a ressenti lorsqu'il a vu s'approcher le bateau-mouche. "On avait l’impression que le fleuve était à lui, et que nous n'avions rien à faire là. Christophe [Hamilton] a tenté d'alerter La Besogne de notre présence par radio à deux reprises, mais nous n'avons pas eu le temps de savoir s'il avait réussi”, raconte-t-il avant de reconstituer devant la présidente le choc à l’aide des miniatures.
"Je n'ai pas ressenti les effets du cannabis"
Les explications d'experts en navigation terminées, Florent Bonnin prend sa place. Costume ceintré et yeux cernés, il semble plus qu'intimidé par la situation. "Confirmez-vous que les bateaux-mouches ne sont pas équipés de compteur de vitesse, alors même que celle-ci est très précisément réglementée dans cette portion de la Seine ?", lance la présidente. "Oui", souffle le prévenu. "Vous naviguez donc au 'pifomètre' ?". "Un peu".
La juge ne le laisse pas reprendre son souffle. Elle poursuit en évoquant les traces de résine de cannabis retrouvées dans le sang de Bonnin. "Mauvaise appréciation du temps, des distances... Pensez-vous réellement qu'il soit possible de manœuvrer un des plus gros bateaux de Paris avec un cerveau sous dépendance de cette substance ?". "Je n'ai pas particulièrement ressenti ces effets ce jour-là", répond l'ancien capitaine pendant que le père de l'enfant noyé l'écoute en secouant la tête, la main posée sur le front. "C'est bien le problème !", réplique la présidente. "Avec une telle consommation, vous êtes la dernière personne à pouvoir donner un avis lucide sur la question".
Les deux mains du marin ne quittent pas la barre du tribunal. Il passe en revue ses différentes déclarations aux enquêteurs, revient sur leurs incohérences, avant d'admettre avoir manqué de vigilance et de regagner sa place pour écouter le témoignage de Marlène Hamilton, qui était elle-même sur le bateau au moment du drame.
"A ce moment-là, je me suis vue mourir"
"J'ai aperçu dans un premier temps le bateau-mouche au loin, sans m'inquiéter", raconte la jeune femme, aujourd'hui âgée de 20 ans. "Puis j'ai entendu le bruit du moteur, plein pots, avant de sentir le choc. J'ai croisé le regard de mon père au moment de l'impact, c'est la dernière image que je garderai de lui." Elle raconte ensuite la panique qui l'a envahie une fois plongée dans l'eau de la Seine, et l'angoisse de ne pas retrouver sa sœur Juliette, alors âgée de 9 ans.
"J'ai hurlé son nom avant de finalement réussir à l'attraper. Mais elle était complètement paniquée, et s'appuyait sur moi au point de commencer à me faire couler. A ce moment-là, je me suis vue mourir", continue Marlène Hamilton, la voix étranglée par les sanglots. "Je me suis débarrassée de tout ce qui m'encombrait, y compris le gilet de sauvetage, et j'ai réussi dans une dernière énergie à remonter à la surface. Les secours sont ensuite intervenus", termine la jeune femme avant de regagner le banc où se trouvent ses proches, qui tombent dans ses bras.
A la sortie de cette première journée d'audience, peu avant 20 heures, la fille du capitaine de la vedette semble fatiguée, mais soulagée. "Parler à la barre m'a fait beaucoup de bien. Je me sentais déjà mieux rien qu'en arrivant au tribunal. Je me suis dit qu'enfin, six ans et demi après, justice allait être rendue. Maintenant, je vais essayer de garder la tête haute jusqu'à la fin du procès, pour la mémoire de mon père".
Le procès doit se poursuivre mardi 4 mars. La décision, qui sera vraisemblablement mise en délibéré, n'est pas attendue avant plusieurs semaines.
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