Luxe, rhum et gros bras : la fin de règne de Gaston Flosse, le "vieux lion" de Polynésie
A 83 ans, le président de la Polynésie française attend son jugement dans une énième affaire. Mais depuis sa condamnation définitive dans un autre dossier, ses jours à la tête de la collectivité ultramarine semblent comptés.
L'"insubmersible" va-t-il finir par couler dans les eaux turquoise de son cher Pacifique ? Mardi 2 septembre, Gaston Flosse attend son jugement. Le président de la Polynésie française encourt deux ans de prison ferme, 84 000 euros d'amende et surtout cinq ans d'inéligibilité pour complicité par instruction et détournement de fonds dans une affaire d'atoll acquis par la collectivité ultramarine à un prix surévalué.
Et il a encore rendez-vous avec la justice dans deux jours, jeudi. Il saura si la Cour d'appel de Papeete accepte, dans une autre affaire, de l'épargner, lui et ses mandats. Car "papa Flosse" est en sursis. Il a été condamné à quatre ans d'emprisonnement avec sursis, 125 000 euros d'amende, et trois ans d'inéligibilité dans une affaire d'emplois fictifs. Il a également déposé une demande de grâce présidentielle, et un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. Au cas où.
L'homme fort de Polynésie s'est, juqu'à présent, toujours remis des batailles, politiques et judiciaires, qu'il a perdues. A 83 ans, et après un demi-siècle de règne sans partage, le sénateur dont l'immunité a été levée par ses pairs apparaît dans près d'une dizaine d'affaires, jugées ou en cours, ce qui fait de lui l'un des hommes politiques les plus poursuivis par la justice de la Ve République.
Un homme à femmes, amateur de luxe et de clinquant
L'ascension politique de ce fils d'un Lorrain venu exploiter la perle noire et d'une Polynésienne, baigné de catholicisme, est fulgurante. D'abord instituteur, puis assureur, il devient maire et ensuite député. En 1984, le voilà premier président de la Polynésie française autonome. Le début d'un règne quasi-ininterrompu de vingt ans. Quand, en 2004, son ennemi de trente ans, l'indépendantiste Oscar Temaru, le renverse de son trône, "papa Flosse" entame une traversée du désert de neuf ans, émaillée de brefs retours au pouvoir à la faveur d'alliances politiques avec tous ses autres adversaires successifs. Jusqu'en 2013, et son retour à la tête de la Polynésie.
Cette carrière, ce père de neuf enfants, marié deux fois, la doit à ses qualités de stratège et à ses talents de tribun - il manie le tahitien aussi bien que le français. A son humour, qui fait mouche pendant les campagnes. A sa mémoire - on dit de lui qu'il connaît par leurs noms presque tous ses électeurs. A son énergie, lui qui se lève chaque jour avant l'aube pour faire sa gymnastique et qui épuise ses conseillers jusque tard le soir. Mais ses adversaires brossent un portrait bien plus sombre. Celui d'un homme à femmes, élégant et charmeur mais aussi autoritaire et impatient, comme le relate Le Monde. D'un amateur de luxe et de clinquant, et surtout d'un politicien affairiste, qui a mis en place un système clientéliste pour asseoir son autorité.
L'ami intime de Chirac et le roi des cocktails
Ce pouvoir, Gaston Flosse n'aurait pu l'exercer sans l'appui de Paris, expliquent les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans leur livre L'Homme qui voulut être roi. "Papa Flosse" s'est toujours présenté comme le rempart à l'indépendance : celui qui permet le maintien de la France dans le Pacifique et le contrôle de cette immense zone économique maritime.
L'autre atout de "papa Flosse", c'est son amitié avec Jacques Chirac. Cofondateur du RPR, il a été son secrétaire d'Etat chargé des problèmes du Pacifique-Sud. L'ex-président de la République est même le parrain de l'un de ses fils, prénommé comme lui Jacques. Le "vieux lion" de Polynésie a aussi soutenu la reprise des essais nucléaires voulue par le président Chirac en 1995. En échange, il a obtenu des transferts financiers importants de l'Etat vers la collectivité. Une amitié scellée à grand renfort de fêtes, comme celle offerte lors de la visite du président Chirac en juillet 2003, et de "killer", un cocktail costaud à base de rhum et de citron vert dont il a le secret. Jacques en raffolait, Bernadette s'en méfiait...
Mais, avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de l'Etat, les déboires judiciaires commencent. Car Flosse a eu le tort de s'en faire un ennemi, écrivent Davet et Lhomme : "Il aime raconter comment, un jour, il a emmené le couple Sarkozy donner à manger aux requins, à Bora-Bora. Cécilia s'est jetée à l'eau, sans crainte. Pas Nicolas, qui n'a pas osé, se moque-t-il." Les deux journalistes du Monde révèlent un autre contentieux entre les deux hommes : "Sarkozy n'a jamais digéré les arbitrages budgétaires systématiquement rendus en faveur de la Polynésie, alors même qu'il était ministre du Budget, entre 1993 et 1995." En 2009, installé à l'Elysée, Nicolas Sarkozy dépêche le procureur José Thorel à la tête du parquet de Papeete. "Je suis payé pour leur rentrer dans le chou", confie le magistrat après sa nomination. Et il ne s'en prive pas.
L'affaire des sushis et le système Flosse
Le long feuilleton judiciaire qui met au jour le "système Flosse" commence cependant un peu plus tôt, en 2001, avec une accusation de faux et usage de faux sur une déclaration de patrimoine. Il est relaxé. Mais cinq ans plus tard, la première condamnation tombe : 3 mois avec sursis pour prise illégale d'intérêts. En 2000, Gaston Flosse a tenté de faire acheter par le gouvernement polynésien l’hôtel Tahara’a, exploité par son fils Réginald pour 16 millions d’euros. Problème : l'établissement était fermé depuis deux ans et ne valait donc plus cette somme-là. Vient ensuite l'affaire des sushis. En 2004, Gaston Flosse dépense 24 000 euros d'argent public en frais de réception pour fêter sa victoire aux élections territoriales, avant même l'annonce des résultats. "Papa Flosse" est battu. En 2009, il écope d'un an de prison avec sursis et d'un an d'inégilibilité. En 2011, la cour d'appel annule l'inégilibilité.
L'affaire Haddad-Flosse a failli lui coûter bien plus cher. En janvier 2013, Gaston Flosse est condamné à 5 ans de prison ferme, 83 800 euros d'amende et 5 ans d'inéligibilité pour trafic d'influence passif. Il est reconnu coupable d'avoir touché 1,6 millions d'euros en liquide de la part de l'homme d'affaires Hubert Haddad, entre 1993 et 2006. Contre ces enveloppes de billets remises mensuellement, les sociétés de Haddad auraient décroché les contrats des régies publicitaires de l'Office des postes et des télécommunications de Polynésie, de la compagnie aérienne Air Tahiti Nui et de la chaîne Tahiti Nui Télévision, comme le rappelle Le Figaro. Devant les juges, "papa Flosse" reconnaît avoir perçu de l'argent. Il confie même que cela lui a servi à payer des pensions alimentaires.
Coup de théâtre en juin : la Cour d'Appel de Papeete annule le jugement prononcé en première instance. "Merci Seigneur", s'écrie en joignant les mains le "vieux lion", cité par Libération. Ses avocats et sa famille se réjouissent de ce "beau cadeau d’anniversaire". Le sénateur fête ce jour-là ses 83 ans. L'affaire comportait un autre volet dans lequel Gaston Flosse avait été condamné en première instance pour corruption active. Il était accusé d'avoir monnayé le vote d'un élu. Une voix décisive dans le renversement du gouvernement d'Oscar Temaru en 2004.
Le "vieux lion" est aussi suspecté d'avoir rendu service à un autre ami fortuné. En 2002, la collectivité polynésienne rachète à Robert Wan l'atoll d'Anuanuraro, pour 7,1 millions d'euros, alors qu'il est estimé à 1,2 million d'euros. La justice soupçonne Gaston Flosse et une partie de son gouvernement de l'époque d'avoir acquis au prix fort l'atoll pour rendre service au magnat de la perle et donateur régulier du parti de Gaston Flosse, le Tahoeraa Huiraatira. Le parquet a requis deux ans de prison ferme, 84 000 euros d'amende et surtout cinq ans d'inéligibilité pour complicité par instruction et détournement de fonds. C'est le verdict de cette affaire qui doit être rendu mardi 2 septembre.
Des histoires de gros sous et un cadavre
Plus trouble : l'affaire JPK. En 1997, le journaliste Jean-Pascal Couraud, surnommé JPK, disparaît dans de mystérieuses circonstances. Pourfendeur du "vieux lion", il enquêtait sur ses finances. Dans cette affaire, une organisation fait son apparition : le Groupement d'intervention de la Polynésie (GIP), un service d'ordre décrit par la Cour des comptes comme "le bras séculier" de Gaston Flosse, et "ne relevant que de lui". Une "cellule d’espionnage", ajoute le parquet de Papeete, repris par Libération. "Des centaines de gros bras dont une vingtaine sont affectés à la surveillance rapprochée de cibles désignées par le président", écrivent Davet et Lhomme.
D'anciens membres de cette milice privée ont parlé. Ils décrivent une opération d’intimidation qui aurait mal tourné. "On l’a accroché à une corde, on l’a mis dans la mer. On lui a ensuite demandé : 'C’est quoi ce dossier [sur lequel il travaillait] ?' Il ne nous a pas répondu. Il a commencé à avoir du mal à respirer. On a lâché la corde et il est parti dans le fond." L'ex-patron du GIP et deux de ses hommes de main ont été mis en examen en 2013 pour "enlèvement et séquestration" et "meurtre commis en bande organisée". Le GIP est désormais dissout. Gaston Flosse, lui, n'a jamais été inquiété et se défend dans Libération : "Je jure devant Dieu et devant tous les Polynésiens que jamais je n’ai provoqué, ni commandité, ni même souhaité la mort de quelqu’un."
"On veut la peau de Gaston Flosse par tous les moyens"
Fin juillet, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi dans une affaire d'emplois fictifs, rendant ainsi définitive sa condamnation prononcée en appel en février 2013 : quatre ans d'emprisonnement avec sursis, 125 000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité pour prise illégale d'intérêts et détournement de fonds publics. La justice lui reproche d'avoir recruté, pendant une dizaine d'années, à compter de 1995, pour le compte de l'assemblée de la Polynésie française et de sa présidence, une centaine de personnes qui étaient, en réalité, mises à la disposition de communes, de syndicats ou d'associations. Ces agents auraient été embauchés en raison de leur proximité avec le parti de Gaston Flosse ou dans le but de les inciter à rallier sa formation. C'est cette affaire qui pourrait bientôt lui faire perdre ses mandats.
Et fin août, Gaston Flosse a encore été mis en examen pour trafic d'influence, et placé sous contrôle judiciaire, dans une enquête sur le financement du principal hôpital tahitien cette fois. Il est soupçonné d'avoir fait attribuer en 2003 un contrat de 42 millions d'euros, sans appel d'offres, à un chef d'entreprise, Robert Bernut, en échange d'un hôtel vendu à un prix dérisoire à son fils, Réginald Flosse. Eux deux sont mis en examen pour corruption. "On veut la peau de Gaston Flosse par tous les moyens", clamait "le vieux lion" en juin lors de l'un de ses passages au tribunal, parlant de lui à la troisième personne.
Micros, écoutes et filatures
Gaston Flosse doit encore comparaître en correctionnelle pour l'affaire du SED. Ce Service d'études et de documentation était en fait une cellule de renseignements active sous la présidence de Gaston Flosse jusqu'en 2004. Ses agents étaient chargés de surveiller les adversaires politiques du président, à commencer par Oscar Temaru, mais aussi son ex-femme et ses maîtresses, ainsi qu'un juge d'instruction et au moins un journaliste. Ils étaient filés, écoutés, enregistrés, photographiés, filmés, décrit Le Figaro. Gaston Flosse, son ex-directeur de cabinet, les deux principaux cadres du SED et huit autres personnes sont mis en examen pour atteinte à la vie privée.
Mais "papa Flosse" avance prudemment, tel son animal fétiche, la tortue. Si ses recours sont repoussés et qu'il devient inéligible, il a tout prévu. Il a annoncé à plusieurs reprises que son ex-gendre, Edouard Fritch, le remplacerait à la présidence de la Polynésie française. Numéro deux de son parti, il devrait être élu sans difficulté par l'assemblée locale, qu'il préside déjà et où il dispose d'une large majorité. Quant au Sénat, "le vieux lion" y était de toute façon en fin de mandat, et son parti a désigné ses deux candidats aux prochaines élections. Dont l'avocat Vincent Dubois, son gendre.
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