Meurtres de Montigny-lès-Metz : quelles nouvelles investigations possibles ?
Après le renvoi du procès de Francis Heaulme et l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire contre Henri Leclaire, la justice va devoir, une énième fois, relancer l'enquête.
"Franchement, entre le procès de Lyon en 2002 et aujourd'hui, on se demande ce qui s'est passé." Ce commentaire de Serge Beckrich, le père de l'une des deux victimes du crime de Montigny-lès-Metz, résume bien l'état de sidération des parties civiles après le renvoi historique du procès de Francis Heaulme, mardi 1er avril.
La justice enquête depuis près de vingt-huit ans sur le meurtre à coups de pierres d'Alexandre et Cyril, 8 ans, le 28 septembre 1986. Mais il lui a d'abord fallu trois procès pour se rendre compte qu'elle faisait fausse route en accusant Patrick Dils, acquitté en 2002. Mardi, les derniers mots du président de la cour d'assises de la Moselle ont été pour lui : "Je tiens à dire combien a été immense l'erreur judiciaire."
La nouvelle instruction menée pendant neuf ans, entre 2004 et 2013, n'a malgré tout pas permis d'aller au bout des investigations. Henri Leclaire, le suspect qui a provoqué le renvoi du quatrième procès au bout de deux jours, a notamment bénéficié d'un non-lieu. Il devrait finalement être mis en examen dans les prochains jours. "Sans scellés, sans pièces à conviction, c'est une parodie de justice", a dénoncé son avocat, Thomas Hellenbrand. Les éléments matériels (pierres, vêtements des enfants...) ayant en effet été détruits ou égarés, la justice n'a d'autre choix que de se concentrer sur les nouveaux témoignages pour espérer faire enfin émerger la vérité.
Sur l'implication présumée d'Henri Leclaire
Cet ancien manutentionnaire de 65 ans a eu plusieurs fois maille à partir avec la justice dans ce dossier. Passé aux aveux trois mois après le double meurtre, il se rétracte puis est mis hors de cause. Mais en 2002, Francis Heaulme l'accuse. Placé sous le statut de témoin assisté, Henri Leclaire bénéficie d'un non-lieu en 2013.
Reste qu'à l'approche du quatrième procès, deux nouveaux témoins se manifestent. Un ex-conducteur de la SNCF affirme l'avoir vu courir sur les voies SNCF le jour des faits et non loin des lieux du crime, le tee-shirt ensanglanté. Une juriste rapporte de son côté avoir recueilli les confidences du retraité alors qu'il lui livrait des courses en 2002. Il lui aurait raconté avoir "attrapé" et "agrippé" les deux enfants qui "gênaient son travail et l'horripilaient". "Ils ont compris à qui ils avaient affaire mais ce n'est pas moi qui les ai tués", lui aurait-il lâché, "rouge de colère", revivant la scène.
Enquête sur les témoins, confrontation et reconstitution ? Le juge d'instruction qui va mener la nouvelle information judiciaire contre Henri Leclaire devra bien sûr vérifier la probité de ces deux nouveaux témoins. Mardi 1er avril, le président de la cour d'assises et le procureur général n'ont pas manqué de leur reprocher leur manifestation tardive. Pourquoi n'ont-ils jamais été entendus avant ? Le premier dit avoir eu peur de la pression médiatique et judiciaire exercée sur les témoins. De récents documentaires sur le sujet, faisant apparaître Henri Leclaire comme l'un des protagonistes du dossier, l'ont toutefois convaincu de parler. La seconde affirme avoir été dissuadée par son avocat de mari. "Il m'a dit : 'Ecoute, s'il t'a tout déballé, c'est que cela a dû être débattu dans la procédure." C'est également en lisant la presse, peu avant le début des audiences, que cette femme décide d'aller voir la justice.
Une confrontation pourrait être organisée entre elle et le suspect. Celle qui a eu lieu devant la cour, mardi, n'a guère été convaincante, Henri Leclaire assurant avoir "dit n'importe quoi". Dans Le Républicain lorrain, son avocat, Thomas Hellenbrand, émet "d'extrêmes réserves sur la recevabilité du témoignage [de la juriste] en matière de secret professionnel", son mari étant avocat.
Quant aux allégations du cheminot, Thomas Hellenbrand les juge "bien peu crédibles". Des vérifications ont d'ores et déjà été faites à la demande du président de la cour d'assises : ses déclarations sont impossibles à recouper avec les archives de la SNCF, conservées pendant seulement un an. L'ex-conducteur de train réclame ainsi une reconstitution pour situer exactement les lieux où il a vu cet homme. Le site, envahi par la végétation, a toutefois beaucoup changé.
Sur ses liens éventuels avec Francis Heaulme
Si le nom d'Henri Leclaire a refait surface peu avant le quatrième procès, c'est aussi parce que Pierre Gonzalez de Gaspard, l'avocat de Francis Heaulme - récusé à l'ouverture des débats -, a fait savoir que son client accusait de nouveau l'ancien manutentionnaire. Après l'acquittement de Patrick Dils, le tueur en série avait abandonné cette ligne de défense, affirmant même en 2006 avoir inventé ce nom. Il a visiblement changé d'avis et a de nouveau impliqué le sexagénaire, mardi, devant la cour d'assises. "Oui, j'ai vu monsieur Leclaire. J'ai vu un homme violent descendre du talus, il m'a fait peur, il avait bu. Je l'ai attrapé par le bras, il avait du sang sur le tee-shirt et le pantalon", a-t-il déclaré. Réaction laconique de l'intéressé : "Je n'étais pas là."
Les deux hommes ont toujours affirmé ne pas se connaître et s'être croisés pour la première fois au procès de Patrick Dils à Lyon, en 2002. Là encore, des témoignages qui n'avaient pas été exploités jusqu'à présent par la justice pourraient démontrer le contraire, accréditant la thèse d'une complicité entre Francis Heaulme et Henri Leclaire.
Des confrontations et une recherche de témoins ? La secrétaire de l'entreprise dans laquelle travaillait Francis Heaulme à l'époque du double meurtre, située à 400 mètres des lieux du crime, a déjà été entendue. Mais elle a récemment affirmé aux médias reconnaître sur une photo Henri Leclaire comme étant l'homme qui accompagnait le tueur en série quand celui-ci est venu récupérer son solde de tout compte, quelques jours après le meurtre des enfants. Francis Heaulme l'avait alors présenté comme son oncle. Une confrontation pourrait être organisée entre cette employée et Henri Leclaire.
Le journaliste Emmanuel Charlot, qui a mené une contre-enquête sur cette affaire, indique de son côté avoir retrouvé une jeune femme qui connaissait Henri Leclaire lorsqu'elle était enfant. Elle lui aurait confié "la peur que lui inspirait" cet homme trapu, qui a reconnu à plusieurs reprises faire des rondes pour chasser les gamins qui jouaient dans les bennes de son entreprise, située tout près de l'endroit où ont été tués Alexandre et Cyril. Gérante d'un bar à Montigny-lès-Metz, cette personne affirme, selon le journaliste, qu'un de ses clients a vu Francis Heaulme et Henri Leclaire "s'enivrer dans les bars ensemble et très souvent". Elle n'a pas souhaité communiquer l'identité de ce client à Emmanuel Charlot, qui ne l'a pas retrouvé. "Je n'ai pas les moyens de la justice", fait-il remarquer à francetv info. Le magistrat instructeur, lui, engagera peut-être des recherches pour faire auditionner ces deux nouveaux témoins.
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