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Procès de Francis Heaulme : le double meurtre de Montigny-lès-Metz peut-il enfin être résolu ?

Le "routard du crime", déjà condamné pour neuf meurtres, comparaît à partir de lundi 31 mars devant la cour d'assises de Metz, vingt-huit ans après le massacre à coups de pierres de Cyril Beining et Alexandre Beckrich. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Montage de photos non datées d'Alexandre Beckrich (à g.) et de Cyril Beining, réalisé le 21 septembre 2004. Les deux enfants de 8 ans ont été tués à Montigny-lès-Metz (Moselle) le 28 septembre 1986. (AFP)

Quatre semaines d'audience, plus de 80 témoins, vingt-huit ans d'enquête et de revirements, un tueur en série médiatique dans le box... Le quatrième procès du double meurtre de Montigny-lès-Metz (Moselle), qui s'ouvre lundi 31 mars à Metz, s'annonce long et difficile.

Francis Heaulme, 55 ans, est renvoyé devant les assises pour le massacre à coups de pierres de Cyril Beining et Alexandre Beckrich, tous deux âgés de 8 ans, le 28 septembre 1986. Avant lui, Patrick Dils a été condamné deux fois dans cette affaire, dont une à perpétuité, avant d'être définitivement acquitté en 2002. Un dossier judiciaire exceptionnel, caractérisé par ses loupés et ses rebondissements.

Sur quels éléments nouveaux la justice peut-elle s'appuyer pour faire émerger la vérité ? Que peut-on attendre des débats, au vu de la personnalité de l'accusé ? Francetv info dresse l'état des lieux.     

Les faits sont anciens et l'ADN ne parlera plus

Difficile de juger une affaire aussi lointaine. Les faits remontent au dimanche 28 septembre 1986 : Cyril Beining et Alexandre Beckrich, 8 ans, sont retrouvés morts le long d'une voie ferrée à Montigny-lès-Metz, au pied d'un talus sur lequel ils avaient l'habitude de jouer. Un crime d'une extrême violence : leurs crânes sont fracassés à coups de pierres, au point qu'ils ne seront pas présentés à leurs parents. Le pantalon du plus grand, Alexandre, est baissé à mi-cuisses.

La voie SNCF près de laquelle ont été retrouvés morts Alexandre Beckrich et Cyril Beining à Montigny-lès-Metz (Moselle), photographiée lors d'une reconstitution du double meurtre, en octobre 2000.  (MAXPPP)

Les premières erreurs de l'enquête arrivent déjà : les vêtements des enfants ne sont pas saisis. Le jogging d'Alexandre est retrouvé des années plus tard chez sa tante, mais il a été lavé... Tous les scellés ont par ailleurs été détruits par la justice en 1995, dont les trois pierres qui ont servi à tuer Cyril et Alexandre. D'autres pièces à conviction ont été perdues, comme un bocal contenant des excréments découverts à proximité des corps, ou le wagon SNCF sur lequel une trace de sang avait été constatée.

Faute de preuves matérielles, aucune comparaison génétique n'est plus possible. "A l'époque, les analyses ADN n'étaient pas encore très répandues", regrette auprès de francetv info Liliane Glock, l'ex-avocate de Francis Heaulme. Seul élément nouveau révélé par Le Républicain lorrain (article abonnés) : une lettre anonyme envoyée à la police de Metz le 11 octobre 1986. Une graphologue, qui doit venir témoigner à la barre, est formelle : Francis Heaulme en est l'auteur. Il y donne des informations sur la présence d'une voiture "claire" à proximité des lieux, et dessine le portrait d'un suspect "au teint pâle et châtain". Le tueur semblait déjà s'intéresser de près à l'affaire.

L'innocence de Patrick Dils divise toujours les familles

"Son nom n'a même pas à être cité." L'avocate de la mère de Cyril Beining, jointe par francetv info, s'étonne du fait que Patrick Dils soit appelé à la barre comme témoin. "Obtenir un acquittement au terme d'une procédure de révision est très rare [huit cas en France], rappelle Dominique Boh-Petit. Alors, Patrick Dils est innocent, point." Reste que sur cette question, les familles des victimes sont très divisées.

La grand-mère d'Alexandre Beckrich, 87 ans, et son avocat, restent convaincus de la culpabilité de Patrick Dils. "Ce n'est pas à la légère que deux cours d'assises l'ont condamné, et il a donné tellement de détails lors de ses aveux...", glisse Dominique Rondu, contacté par francetv info. Le conseil se souvient d'une déclaration lors de la reconstitution : "Madame le juge, ce n'est pas le bon endroit." Ou de ses confessions pendant les auditions : "Je ne pouvais plus regarder de ma chambre le talus. Je baissais le rideau." 

Invité à s'expliquer sur ses aveux réitérés, Patrick Dils a souvent botté en touche. Mais l'enquête a démontré qu'il pouvait avoir eu connaissance de certains éléments via la procédure ou la presse et qu'à 16 ans, il avait la maturité d'un enfant de 8 ans. Un enfant introverti, très sensible à l'autorité des adultes, qui plus est des policiers. Les conditions légales de sa garde à vue, qui prévoient des temps de pause, n'ont par ailleurs pas été respectées. Les contre-enquêtes successives ont surtout démontré que sa présence sur les lieux aux alentours de 18h50 était peu compatible avec l'horaire présumé du double meurtre. 

Patrick Dils au palais de justice de Paris, le 7 janvier 2006. (SICHOV / SIPA)

Il n'empêche. Selon son avocat, Ginette Beckrich reste sur son "intime conviction", et se serait "passée d'un nouveau procès". Les parents du petit Alexandre, eux, sont plus partagés. "Ils ont du mal à croire que la justice ait pu se fourvoyer à ce point, mais ils sont prêts à faire l'effort d'assister aux audiences et de se forger une nouvelle opinion", explique à francetv info leur avocat, Thierry Moser. 

Francis Heaulme nie être l'auteur du double crime...

Le nom de Francis Heaulme apparaît dans le dossier pour la première fois en 1997. A la demande des avocats de Patrick Dils, le gendarme Jean-François Abgrall, qui enquête alors sur différentes affaires impliquant Francis Heaulme, rédige un procès-verbal dans lequel il atteste que le tueur lui a fait part de sa présence sur le lieu des crimes dès 1992. "Pourquoi ne l'a-t-il pas consigné tout de suite par écrit ?", s'étonne encore aujourd'hui Liliane Glock. A l'époque, l'enquêteur ne trouve aucune trace d'un double meurtre d'enfants dans les affaires irrésolues. Et pour cause, le dossier de Montigny a été jugé et le coupable, Patrick Dils pense-t-on à l'époque, dort en prison.  

"Il y a longtemps, un dimanche, je passais à vélo dans une rue, raconte spontanément Francis Heaulme à Jean-François Abgrall. C'était dans l'Est. Il y avait des maisons sur la gauche. A droite, il y avait un talus et une voie de chemin de fer. Deux gamins m'ont jeté des pierres lorsque je suis passé. (...) Je suis parti. Lorsque je suis revenu plus tard, j'ai vu le corps des gamins morts près des wagons." Le tueur, qui travaillait à l'époque à 400 mètres du lieu du crime, a réitéré ces déclarations, croquis très précis à l'appui, plus d'une dizaine de fois par la suite. Il a même affirmé une fois s'être approché des corps et avoir retourné un des enfants, positionné sur le ventre. Il n'a en revanche jamais avoué être l'auteur des meurtres. "Mon style, c'est l'Opinel, et j'étrangle à mains nues", lâche-t-il devant une cour médusée au troisième procès de Patrick Dils, à Lyon, en 2002. Puis : "Madame Beckrich, je vous le jure sur la tombe de ma mère, je n'ai pas tué les enfants." 

... et en accuse un autre

Francis Heaulme n'accuse pas pour autant Patrick Dils. Il le croit innocent. Il met en cause un certain Henri Leclaire, employé d'une entreprise toute proche du lieu des meurtres et de celle de Francis Heaulme. Il est la première personne à être passée aux aveux dans cette affaire, avant de se rétracter. Il affirme l'avoir "vu descendre en vitesse du talus". Henri Leclaire lui aurait également confié avoir "fait une connerie", dit-il. "Il faut que cette personne s'explique à ce sujet", indique à francetv info l'avocat de Francis Heaulme, Pierre Gonzales de Gaspard.

Henri Leclaire, témoin au troisième procès de Patrick Dils, le 17 avril 2002 à Lyon (Rhône).  (FAYOLLE / SIPA)

Henri Leclaire a un temps été soupçonné d'être le complice de Francis Heaulme. Ce dernier cite son nom dès 1992 dans une autre affaire pour laquelle il a été condamné, le meurtre d'Aline Peres, une aide-soignante, sur une plage près de Brest. Comme l'explique Jean-François Abgrall dans son livre Dans la tête du tueur (Ed. Albin Michel), Francis Heaulme a coutume de brouiller les pistes en mélangeant les faits et les personnages de ses "dossiers" criminels. Sur les neuf meurtres pour lesquels il a été condamné, quatre ont été commis avec un complice.

Après cette étrange mention, Francis Heaulme a toujours juré ne pas connaître personnellement Henri Leclaire et réciproquement. Un temps placé sous le statut de témoin assisté, ce dernier a bénéficié d'un non-lieu, et interviendra au procès comme simple témoin. Une ancienne employée de l'entreprise dans laquelle Francis Heaulme travaillait en septembre 1986, située à 400 mètres des lieux du crime de Montigny, sera également entendue. Selon le journaliste Emmanuel Charlot, auteur du livre Affaire Dils-Heaulme, la contre-enquête (Ed. Flammarion), elle affirme avoir vu Francis Heaulme en compagnie d'Henri Leclaire quelques jours après le meurtre des enfants.

Un autre témoin, un conducteur SNCF à la retraite, s'est manifesté spontanément peu avant le procès. Il assure, pour sa part, avoir vu Henri Leclaire courir le long des voies, à l'heure du crime et à proximité des lieux, le tee-shirt ensanglanté. "Toutes ces accusations sont pénibles et ne tiennent pas la route", commente auprès de francetv info l'avocat de l'intéressé, Thomas Hellenbrand. 

Des aveux peu probables pendant le procès

Pour sa défense, Francis Heaulme affirme qu'il a toujours avoué ses crimes, et qu'il ne verrait pas pourquoi il ferait une exception pour ceux-ci. La réalité est plus complexe. S'agissant des neuf homicides pour lesquels il a été condamné, le tueur a souvent avoué au moins une fois, mais pas systématiquement. Et il s'est toujours rétracté, à une exception près : le meurtre d'une hôtesse de bar, Sylvie Rossi, en 1989, près de Reims. 

Il est vrai qu'une nouvelle condamnation dans l'affaire de Montigny-lès-Metz ne changerait pas grand-chose à son destin carcéral. Condamné à deux reprises à la perpétuité, Francis Heaulme sera arrivé au terme de sa période de sûreté (22 ans) dans cinq ans. Mais un  aménagement de peine, au vu de sa dangerosité, semble peu envisageable. En revanche, avouer le meurtre de deux enfants ne serait pas sans effet sur ses conditions de détention. Depuis sa mise en cause dans la mort d'un Belge de 9 ans en 1993, le criminel est fréquemment menacé et molesté par des détenus. Surtout, lorsqu'il avoue avoir tué l'enfant, ce qui lui vaut d'être condamné à perpétuité en 1997, la seule personne qui lui rend encore visite en prison, sa sœur, cesse de venir le voir pendant deux ans.

Francis Heaulme, aguerri aux assises après huit procès, n'est par ailleurs jamais passé aux aveux dans ce décorum. Tantôt mutique, tantôt dans la provocation, il se plaît parfois à semer la confusion dans les esprits, livrant des éléments contradictoires ou inédits devant la cour.

Francis Heaulme au palais de justice de Reims (Seine-et-Marne), le 8 décembre 2004. (LAURENCE DE VELLOU / AFP)

"Les aveux de Francis Heaulme, je n'en ai pas grand-chose à faire", note Dominique Boh-Petit. Selon l'avocate de la mère de Cyril Beining, l'enjeu de ce nouveau procès repose surtout sur les nombreux témoins qui vont défiler à la barre. Certains n'ont jamais été réentendus par la police.

Des charges lourdes disséquées pendant quatre semaines

Le passage du tueur en série à proximité du lieu où jouaient les enfants est avéré. Il est le seul à avoir déclaré que les garçons lui avaient jeté des pierres. Or, des témoignages attestent qu'Alexandre et Cyril avaient coutume d'envoyer des projectiles sur les passants, un élément qui n'était jamais paru dans la presse quand il l'a évoqué.  En renvoyant Francis Heaulme devant les assises, les magistrats ont estimé qu'il pouvait s'agir d'un mobile suffisant pour cet homme, viscéralement attaché à son vélo et capable d'accès de violence inouïe pour des provocations futiles. Il a d'ailleurs plusieurs fois confié avoir eu l'intention de revenir "corriger" les enfants. Plusieurs de ses ex-codétenus affirment même, détails troublants à l'appui, que Francis Heaulme leur a avoué être l'auteur des meurtres. Ils seront entendus lors du procès.

Dans la contre-enquête qui a mené à l'acquittement de Patrick Dils, les gendarmes ont vu dans le double meurtre de Montigny la "quasi-signature criminelle" de Francis Heaulme : une extrême violence, le déshabillage partiel ou complet de ses victimes, la présence d'excréments (relevée dans une affaire) et une hospitalisation juste après les faits (systématique). Le témoignage tardif de deux pêcheurs ayant aperçu le suspect, du sang séché sur le visage, peu de temps après les faits et non loin des lieux du crime, a achevé de convaincre les jurés de Lyon d'innocenter Patrick Dils. 

Le gendarme Jean-François Abgrall lors du procès de Patrick Dils devant la cour d'appel de Lyon, le 15 avril 2002.  (FAYOLLE / SIPA )

Autant d'éléments qui vont être exposés pendant quatre semaines devant la cour d'assises de Moselle. "Après une belle erreur judiciaire, on peut arriver à une vérité judiciaire dans ce dossier", estime Pierre Gonzales de Gaspard, convaincu que celle-ci ne se résumera pas à la condamnation de son client. "Je sais que le débat oral, public et contradictoire, peut parfois déboucher sur la vérité", confiait pour sa part à L'Est républicain Thierry Moser. Auprès de francetv info, l'avocat des parents d'Alexandre ajoute : "J'ai dit à mes clients d'ouvrir grands leurs yeux et leurs oreilles pendant ces quatre semaines. Ce serait terrifiant si le meurtre de leur enfant restait impuni. Mais si condamnation il y a, elle doit être en béton armé. Nous voulons la justice, la vérité, pas une victime expiatoire." Dominique Rondu, le conseil de la grand-mère d'Alexandre, abonde : "Ce n'est pas parce que Francis Heaulme est un serial killer qu'il faut en faire un coupable de substitution." Le verdict est attendu le 24 avril.

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