Pourquoi la justice renvoie le procès Heaulme
Le procès de Francis Heaulme pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz a basculé, dès son deuxième jour devant la cour d'assises de Moselle, à cause de témoignages de dernière minute qui incriminent un autre homme.
Deux jours à peine après son ouverture, le procès de Francis Heaulme pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz est reporté à une date inconnue. La raison : des témoignages de dernière minute qui incriminent un autre homme.
Dans son arrêt, la cour d'assises de Moselle "ordonne le renvoi de l'affaire à une session ultérieure" car il "pourrait exister des charges contre une autre personne" que le tueur en série. Aux familles des victimes, le président Gabriel Steffanus a fait part de son "regret de ne pas pouvoir mener les débats jusqu'à leur terme. L'entière vérité est à ce prix, au prix de ces souffrances infligées. Je dis ma détermination afin que la Justice passe enfin", a-t-il ajouté.
Un "nouveau" suspect
Cette décision a été prise après l'audition anticipée d'un ancien suspect, Henri Leclaire, mardi, après que deux nouveaux témoins ont rapporté, plus de vingt-sept ans après les faits, des éléments troublants qui pourraient l'impliquer dans les meurtres de deux enfants de 8 ans, en 1986, à Montigny-lès-Metz.
Henri Leclaire, âgé aujourd'hui de 65 ans, s'était accusé, lors d'une garde à vue en décembre 1986, des meurtres d'Alexandre Beckrich et Cyril Beining, massacrés à coups de pierres, quelques semaines plus tôt, le 28 septembre, au bord d'une voie ferrée à Montigny-lès-Metz. Il s'était ensuite rétracté. Entendu comme témoin assisté lors de l'enquête, il avait bénéficié d'un non-lieu il y a un an, au moment où Francis Heaulme était renvoyé devant les assises.
Mardi, Henri Leclaire, qui se dit innocent, a d'emblée affirmé à la cour qu'il ne connaissait pas Francis Heaulme. "Je ne l'ai jamais vu. Je n'en avais jamais entendu parler" à l'époque des faits, a-t-il assuré.
Leclaire, à l'élocution difficile : "Je ne connais pas M. #Heaulme, je ne l'ai jamais vu et je n'ai jamais entendu parler de lui."
— catherinef (@cathfournier) April 1, 2014
Il avait l'habitude de faire des rondes le week-end, pour vérifier que des enfants ne jouaient pas dans les bennes de son employeur, dont les locaux jouxtent la voie ferrée où ont été retrouvés les corps. A la barre, il a affirmé qu'il n'était pas passé faire sa ronde le dimanche du crime, alors qu'il avait dit le contraire lors d'une audition précédente. "J'y étais pas, monsieur le président", a-t-il lancé, les mains jointes et les doigts noués durant sa déposition.
"On ne vous accuse de rien. On vous demande de dire ce que vous avez fait ce jour-là", a expliqué le président, Gabriel Steffanus. S'empêtrant dans ses déclarations, tendu, Henri Leclaire finit par répondre qu'il ne s'en "rappelle plus". Convoqué un bref instant à la barre, Francis Heaulme assure de son côté avoir "vu M. Henri Leclaire" le jour du crime. "J'ai vu un homme violent qui descendait le talus. Il m'a fait peur. Il avait du sang sur le tee-shirt, sur le pantalon", a déclaré le tueur en série.
Deux nouveaux témoins
Une témoin de dernière minute, Marie-Christine Blindauer, est venue dire à la cour que Henri Leclaire s'était confié à elle, un jour de 2012 où il lui livrait ses courses. Selon Marie-Christine Blindauer, le sexagénaire a raconté que, le jour du double crime, le 28 septembre 1986, il avait "attrapé" et "agrippé", les deux petits garçons, car ceux-ci "gênaient son travail" et l'"horripilaient". Mais qu'il ne les avait pas tués.
Confronté à ces déclarations, Henri Leclaire s'est montré tout aussi confus. "Mon client raconte tout et n'importe quoi (...), il y a trop de pression", a tenté de l'excuser Me Thomas Hellenbrand à l'issue de l'audience.
"Je lui ai dit avoir coursé les gosses" confirme Henri Leclaire... avant de nuancer "j'ai dit n'importe quoi" #heaulme
— Maud Vallereau (@maudvallereau) April 1, 2014
Le psdt : "ce qu'elle a dit, c'est vrai?" Leclaire :"Ouais". "Vous avez vraiment attrapé les enfants?" Leclaire:"non". #Heaulme
— catherinef (@cathfournier) 1 Avril 2014
Leclaire, droit dans ses bottes, formule toujours la même réponse : "je ne m'en rappelle plus" ou "je ne m'en souviens plus" #Heaulme
— catherinef (@cathfournier) 1 Avril 2014
La cour a également entendu le témoignage d'un ancien conducteur de train qui se souvient aujourd'hui avoir vu un homme ensanglanté - qui ressemblerait, selon lui, à 90%, à Henri Leclaire - courir le long des voies ferrées au moment du double meurtre.
Et maintenant ?
Ce report du procès de Francis Heaulme - qui devait initialement durer jusqu'au 23 avril - ouvre la voie à l'ouverture d'une information judiciaire à l'encontre de Henri Leclaire, en vue de sa mise en examen. Le procès, qui pourrait donc être celui de Francis Heaulme et Henri Leclaire, n'aurait donc pas lieu avant fin 2015 ou 2016, c'est-à-dire près de 30 ans après les faits.
Ce report, "personne n'a jamais vu ça dans l'histoire judiciaire. C'est une première. Une condamnation, une révision, une deuxième condamnation, un acquittement, un nouvel accusé, un quatrième procès, qui naufrage, et un nouveau suspect, c'est une première en France", s'est exclamé Me Stéphane Giuranna, l'un des avocats de Francis Heaulme.
La mise en cause d'Henri Leclaire ne devrait pas signifier l'abandon des poursuites contre Francis Heaulme, 55 ans, déjà condamné pour neuf meurtres. Des éléments troublants pèsent dans cette affaire contre le "routard du crime". Mardi, l'accusé a réitéré avoir aperçu les deux petits garçons vivants, puis morts, le jour du crime. Et deux témoins disent l'avoir vu, le visage ensanglanté, peu de temps après le meurtre, à quelques kilomètres du lieu du double meurtre. Les enquêteurs ont par ailleurs conclu que cette affaire portait sa "quasi-signature criminelle".
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