Cet article date de plus de douze ans.

Document France Info : le témoignage d'un ancien visiteur médical des laboratoires Servier

C'est une parole extrêmement rare depuis la mise en examen de Jacques Servier, suspecté d'avoir causé la mort de centaines de patients avec son Mediator. Rencontre avec un ancien visiteur médical du groupe Servier qui raconte le système de l'intérieur.
Article rédigé par Sophie Parmentier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Franceinfo (Franceinfo)

C'est un visiteur médical aujourd'hui à la retraite. Qui a travaillé chez
Servier une quinzaine d'années. Il a fait ses débuts dans le prestigieux
laboratoire à l'époque où le Mediator venait d'entrer sur le marché, en 1976.
Mais lui n'en a jamais vendu. Cet ancien employé Servier a eu en revanche la
charge de proposer deux autres médicaments, qui ont été par la suite interdits,
à cause de leurs effets secondaires. "Il s'agissait d'un antidépresseur, et d'un
produit qui était censé remplacer l'oxygène. A l'époque, nous, on n'avait pas
conscience de tromper les médecins avec ces produits. On y allait un peu la
fleur au fusil, en répétant ce qu'on nous disait au moment des séances de
formation. Il faut comprendre qu'à notre niveau de visiteur médical, on n'était
pas à même de juger de l'efficacité d'un produit. Naïvement, on pensait que ces
produits avaient été bien étudiés."

"On s'appelait visiteur médical, mais nous étions avant tout des
commerçants"

Cet ex-visiteur médical du groupe Servier raconte qu'il avait l'obligation de
démarcher sept médecins par jour. "Quand vous êtes dans une petite
agglomération, ça se fait, quand vous avez un secteur rural, en hiver, il faut
cavaler"
. Si l'objectif des sept médecins visités n'était pas réalisé
quotidiennement, "c'était un motif de séparation avec Servier, un motif de
licenciement"
. "Si l'on s'appelait visiteur médical, nous étions avant tout des
commerçants
".

L'homme raconte aussi qu'il lui arrivait fréquemment de noter, chez les
médecins, la liste des effets secondaires remarqués pour tel ou tel médicament.
"Quand il y avait des effets secondaires, on en faisait le rapport, au siège. On
remontait l'information. Les réponses étaient toujours un peu sibyllines. On
cherchait toujours à éluder. On était aussi formatés pour minimiser l'effet
secondaire auprès du médecin"
. Ce qui n'était d'ailleurs pas une attitude
spécifique aux laboratoires Servier, mais répandue dans la profession des
visiteurs médicaux, précise l'ex-Servier.

"On étudiait la morphologie de Jacques Servier, le mouvement de ses oreilles,
de ses cils"

Ce qui était en revanche la marque de fabrique du laboratoire français,
c'était la façon d'y entrer. L'ancien visiteur médical se souvient d'une
"enquête de moralité" effectuée dans son entourage, avant son embauche. Après,
"on était en quelque sorte adoubé ". Et alors, "il fallait être dans le moule ". Il
y avait des principes à respecter. C'était l'allégeance à la "maison" ,
l'allégeance à Jacques Servier. "On avait des formations sur le livre qu'il avait
écrit à l'époque, et dont on faisait l'exégèse. On étudiait la morphologie de
Jacques Servier, les mouvements de ses oreilles, les battements de ses cils. Je
trouvais ça un peu étonnant. On était dans le culte de la personnalité
".
L'ancien visiteur médical à la retraite ajoute : "Curieusement, on était tous
conscients de cette espèce de chape. Mais chacun mesurait la chance qu'il avait
d'être dans une entreprise dynamique. On avait une certaine fierté de travailler
pour la maison Servier, dont on était loin de soupçonner toutes les
dérives".

 

La Cour de cassation entend cet après-midi les plaidoiries des avocats de Jacques Servier, qui tentent d'exploiter une brèche juridique : faire regrouper les procédures enclenchées à Nanterre et à Paris, ce qui permettrait de reporter de plusieurs années le premier procès pénal de Jacques Servier, pour l'instant fixé au 14 mai prochain.

 


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