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Dix ans après Outreau : quelles leçons pour la justice ?

EXPLIQUEZ-MOI | Début mai 2004, le premier procès de l'affaire d'Outreau débute à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais. Ce sont dix-sept pédophiles présumés qui sont alors dans le box des accusés. Mais on se dirige vers un véritable fiasco judiciaire. À l'issue de ce procès, et de celui en appel à Paris un an plus tard, treize des accusés sont acquittés. Les deux audiences révèlent qu'ils ont été accusés à tort. Les erreurs du juge d'instruction à l'origine du désastre, le désormais célèbre juge Burgaud, sont dénoncées de toutes parts.
Article rédigé par Laurent Doulsan
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
  (Maxppp)

À l'issue du "fiasco
judiciaire" d'Outreau, tout le monde entonne l'air du "plus jamais
ça". Cette erreur judiciaire "grand format", qui a entrainé dans
la tourmente 13 innocents
, provoque un véritable traumatisme national. Les
acquittés sont reçus en grande pompe dans les ministères. Une commission
d'enquête parlementaire essaie pendant des mois de faire toute la lumière sur
le scandale. Les magistrats mis en cause, et pas seulement le juge Burgaud,
sont sommés de s'expliquer. Une autre commission fait des propositions de
réforme.

Le magistrat chargé de tirer
les leçons d'Outreau, Jean-Olivier Viout, formule ainsi 59 pistes de réforme.
Les mesures phares qu'il préconise sont la collégialité des juges d'instruction
quand les dossiers sont complexes. Une façon de lutter contre la solitude des
magistrats génératrice d'erreurs d'appréciation, comme cela est arrivé au juge
Burgaud
. Il propose aussi de limiter le recours à la détention provisoire, pour
éviter que des suspects, comme dans le dossier Outreau, passent jusqu'à trois
ans de prison en attendant leur procès. Il recommande enfin d'être beaucoup
plus professionnel dans le recueil, crucial dans ce genre d'affaires, de la
parole de l'enfant.

"Désacraliser la parole de l'enfant "

C'est sur le dernier point,
l'analyse des récits des enfants présumés victimes, que les pratiques ont sans
doute évolué le plus positivement. Il fallait tout d'abord – le terme a été
beaucoup utilisé à l'époque – "désacraliser" la parole de l'enfant,
ne pas considérer que tout ce qu'il racontait était forcément vrai.
L'enregistrement audio et vidéo de leurs entretiens avec les enquêteurs est
devenu la règle. Et les policiers, les magistrats sont mieux formés pour
recueillir leurs confidences.

C'est ce qu'a constaté l'expert-psychiatre Paul
Bensussan, l'un de ceux qui recommandaient la plus grande prudence en la
matière à l'époque de l'affaire d'Outreau : "Je constate une plus
grande technicité. Les questions inductrices, fermées, celles qui appellent une
réponse par Oui ou Non, sont beaucoup plus rares. Il y a une plus grande
prudence et le souci de ne pas induire les réponses. Les professionnels sont
conscients du fait qu'une parole mal recueillie est moins facilement
exploitable.
"

La désignation de plusieurs
juges pour les dossiers les plus ardus, la fameuse collégialité, est en
revanche resté un vœu pieux.  En matière
de limitation de la détention provisoire, les progrès sont lents, voire ténus.

Mais Blandine Lejeune,
l'avocate lilloise qui défendait l'un des accusés d'Outreau, et qui continue
d'intervenir dans des affaires de même nature, constate quand même de réels
progrès : "Les magistrats y regardent quand même à deux fois avant de placer
quelqu'un en détention quand il y a contestation des faits. Quand c'est parole
contre parole, qu'il n'y a pas d'éléments matériels, il arrive que les mis en
examen soient placés sous contrôle judiciaire. Il m'est arrivé depuis le procès
d'Outreau de plaider en cour d'assises pour des hommes qui n'avaient pas été
placés en détention.
"

Changer la perception de l'erreur judiciaire

Par ailleurs, même si ce
n'est pas que l'affaire d'Outreau qui a inspiré cette réforme,  la
présence de l'avocat en cours d'interrogatoire, possible depuis 2011, a également
renforcé les droits des suspects. Mais au-delà de la
procédure, l'affaire d'Outreau a vraiment changé la perception de l'erreur
judiciaire. Bien sûr, ce n'était pas la première fois que des innocents étaient
embarqués dans un tel cauchemar.

Mais Outreau a montré que tout à chacun était
susceptible d'être injustement accusé. Les accusés d'Outreau étaient à eux seuls
une sorte de "panel" de la société française. Il y  avait des
individus en difficulté économique et social, mais aussi un huissier, un prêtre,
une infirmière scolaire, une boulangère ambulante, un chauffeur de taxi etc. Des
personnages auxquels on pouvait facilement s'identifier. Une justice menaçante pour les droits des individus s'était substituée
à une justice protectrice.

 

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