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Infographie Dissolution des Soulèvements de la Terre : 33 associations interdites par Emmanuel Macron, un record sous la Ve République

Emmanuel Macron détient le record de dissolutions d'associations depuis le début de la Ve République mais il est le deuxième chef de l'Etat à avoir eu le plus recours à ce pouvoir depuis sa création en 1936, derrière le Général De Gaulle.
Article rédigé par franceinfo - Armêl Balogog
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une pancarte dans une manifestation contre les violences à Sainte-Soline à Toulouse le 30 mars 2023. (ALAIN PITTON / NURPHOTO)

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin veut dissoudre le mouvement Les Soulèvements de la Terre, responsable selon lui des affrontements lors de la manifestation contre les réserves d'eau de substitution - les "bassines" - à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) à la fin du mois de mars. Le mouvement  conteste la procédure et dénonce une décision "liberticide".

C'est l'occasion de faire un point sur ce pouvoir de dissolution du gouvernement, créé en 1936 pour interdire les groupes de combat et les milices privées afin de protéger la République après que les militants d'extrême-droite et nationalistes de l'Action française ont tenté de la renverser en 1934.

Un record de dissolutions sous la Ve République

Ce pouvoir a particulièrement été utilisé par Emmanuel Macron depuis sa première élection en 2017. À ce jour, alors que la dissolution des Soulèvements de la Terre n'est pas encore effective, 33 décrets pour interdire une association ou un groupement de fait ont été publiés depuis son investiture. C'est un record pour un président depuis le début de la Ve République.

Mais si l'on remonte à la création de ce pouvoir de dissolution en 1936, Emmanuel Macron se place en deuxième position, derrière le Général de Gaulle. Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes, a recensé minutieusement toutes ces interdictions entre 1936 et 2013 pour alimenter ses recherches. Franceinfo a appliqué la même méthode pour compléter ses données et inclure ces dernières années, jusqu'aux deux dernières dissolutions prononcées le 1er février 2023.

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Ces données permettent de constater tout d'abord que 48 associations ou groupements ont été interdits en 12 ans sous le Général de Gaulle, d'abord quand il était à la tête du Gouvernement provisoire de la République française entre 1944 et 1946, puis pendant ses deux mandats de 1959 à 1969. Mais elles permettent surtout de rendre compte à quel point les dissolutions sont liées aux événements historiques, à l'actualité et aux orientations des pouvoirs politiques en place. 

Des vagues de dissolutions très politiques

Les interdictions connaissent un premier pic en 1944, sous De Gaulle, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Treize organisations liées à la collaboration pendant l'occupation nazie sont interdites par ordonnance, dont la Légion tricolore, le Parti franciste ou encore La Jeunesse de France et d'Outre-Mer. Le deuxième pic intervient en 1968, seulement un mois après les événements de Mai, toujours sous De Gaulle, et vise des associations d'extrême-gauche comme La Jeunesse communiste révolutionnaire, La Voix ouvrière et L'Union des jeunesses communistes marxistes léninistes. 

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Le professeur Romain Rambaud note que la loi du 10 janvier 1936 permettant de dissoudre les groupes de combat et milices privées – depuis remplacée par l'article L212-1 du Code de la sécurité intérieure – contenait une certaine "ductilité". Autrement dit, elle peut être appliquée d'une façon assez souple en fonction des ambitions politiques. "Cette loi a servi de fondement massif à la politique de l’État français pour maintenir son Empire colonial", souligne le spécialiste dans un article pour la Revue des droits et libertés fondamentaux, avant de nuancer : "Cette loi a ensuite pu être utilisée dans un sens politique inverse, lorsque la France a accepté le processus de décolonisation".

Ainsi, plusieurs organisations indépendantistes vietnamiennes, camerounaises ou algériennes ont été dissoutes dans les années 1950, alors que la France s'accrochait à son Empire colonial. Mais après le discours du Général de Gaulle en 1958, lorsqu'il a prononcé le fameux "Je vous ai compris" à l'attention des Algériens, la tendance s'est complètement inversée et plusieurs groupes militant pour l'Algérie française ont été interdits, dont l'Organisation armée secrète (OAS).

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L'extrême-droite et les islamistes, cibles privilégiées

Après De Gaulle, les dissolutions ont largement diminué : sept sous Georges Pompidou, deux sous Valéry Giscard d'Estaing, un rebond à quatorze sous François Mitterrand contre des organisations nationalistes, notamment corses, trois sous Jacques Chirac et deux sous Nicolas Sarkozy.

Finalement, plusieurs événements font repartir la tendance à la hausse sous François Hollande qui signe dix décrets de dissolution. Après la mort du militant antifasciste Clément Méric en 2013, plusieurs groupes d'extrême droite sont interdits. "Au-delà de la volonté légitime de lutter contre de tels groupuscules, cet arsenal était mis en œuvre à des fins politiques. Il s’inscrivait plus largement dans un schéma visant à ancrer l’action présidentielle, gouvernementale mais aussi ministérielle 'à gauche', alors que celle-ci était contestée du point de vue économique et social", analyse Romain Rambaud, rappelant que le ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls, disait vouloir "faire gagner la démocratie contre l'extrême-droite" mais surtout "faire gagner la gauche"

Les attentats de 2015 et 2016 ont été les points de départ d'une autre vague d'interdictions, visant cette fois-ci certaines associations musulmanes, accusées de faire la promotion du terrorisme. Ainsi, sont dissoutes l'Association des musulmans de Lagny-sur-Marne, Le Retour aux sources musulmanes et l'association Rahma de Torcy Marne-la-Vallée. Après être reparties à la hausse sous François Hollande, les interdictions se sont envolées sous Emmanuel Macron, visant toujours principalement les mêmes groupes : l'extrême-droite d'un côté et les associations soupçonnées d'islamisme de l'autre.

Seules neuf dissolutions suspendues ou annulées

Ces dissolutions peuvent évidemment être contestées. Il est possible de faire un référé devant le Conseil d'État pour les suspendre en urgence, un recours pour les faire annuler – la procédure est alors plus longue – ou même de se rendre devant la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Mais la procédure a très peu abouti dans l'histoire : selon les calculs de franceinfo, sur 162 associations ou groupements qui ont fait l'objet d'une interdiction, seules neuf ont réussi à obtenir une suspension ou une annulation. C'est le cas de l'association France-Vietnam en 1953, de l'Organisation communiste internationaliste en 1968 et du Groupe antifasciste Lyon et environs en 2022.

La grande majorité des demandes d'annulation ou de suspension sont rejetées, comme celles de Barakacity, du Comité contre l'islamophobie en France (CCIF) et de la Ligue de défense noire africaine (LDNA). Mais même en cas d'annulation, le président peut signer un nouveau décret pour essayer à nouveau d'interdire.

"Le contrôle du Conseil d’État est un contrôle 'normal' de la qualification juridique des faits et essentiellement cela, et n’est pas un véritable contrôle de proportionnalité", observe Romain Rambaud. C'est-à-dire que le Conseil d'État ne vérifie que la conformité du décret de dissolution avec la loi. Il ne dit pas si le président de la République a raison ou non. Autrement dit, "il suffit que les faits énoncés entrent dans l’une des catégories prévues par la loi pour que la dissolution puisse être prononcée". Au point que le spécialiste a surnommé la loi de 1936 une "arme de dissolution massive".

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