Cold cases : "Enquêteurs et magistrats doivent travailler pour la postérité", estime l'ancien procureur général Jacques Dallest
Une dernière fois, il s'est levé pour requérir. C'était en février 2022, face à Nordahl Lelandais, le meurtrier de la petite Maëlys. Les dernières assises du procureur général Jacques Dallest, 67 ans, avant son départ en retraite. Durant sa carrière, à Lyon, en Corse ou à Marseille, le magistrat a traité des centaines de crimes et présidé le groupe de travail sur les crimes non élucidés. Désormais en retraite de la magistrature, il publie un livre fouillé, Cold cases, un magistrat enquête (Mareuil éditions), un important état des lieux des homicides en France.
Franceinfo : Le nombre de meurtres et d'assassinats est-il en hausse en France ?
Jacques Dallest : Non, pas si on le compare à d'autres décennies. On compte de 800 à 900 homicides par an en France, hors crimes terroristes. Il y a trente ans, on en recensait beaucoup plus, de l'ordre de 1 500 chaque année. Les années 1990 ont d'ailleurs généré beaucoup de crimes de sang… et de cold cases. Mais quelles que soient les époques, il est très difficile de tenir une comptabilité précise : les statistiques restent sans doute sous-estimées. Aux homicides avérés (là où l'on a retrouvé un corps), il faut en effet ajouter les disparitions criminelles, dont certaines sont devenues emblématiques, comme celles des petites Marion Wagon et Estelle Mouzin. Combien de personnes disparues ont été victimes d'un homicide ? Impossible de répondre à cette question. Il existe un chiffre noir des homicides. On doit malheureusement se contenter d'estimations.
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux fameux "cold cases" ?
Lorsque j'ai quitté mon poste de juge d'instruction à Lyon, je laissais derrière moi dix affaires d'homicides non résolues. Ce sentiment d'échec m'a profondément marqué. Dans notre pays, la grande majorité des crimes sont élucidés, mais de 15 à 20% d'affaires n'aboutissent pas. J'estime à environ 500 le nombre de cold cases si l'on prend en compte les disparitions inquiétantes ou encore les affaires prescrites, mais pouvant être rattachées à un tueur en série. Jusqu'à très récemment, le crime non résolu n'avait pas de définition juridique. Ce fut longtemps un angle mort de notre justice. La loi parle maintenant de crimes sériels et de crimes non élucidés, ce qui implique une procédure spécifique. Un pôle national leur est dédié. C'est une avancée majeure.
Quelles perspectives entrevoyez-vous pour les enquêtes criminelles ?
Les évolutions prévisibles portent essentiellement sur l'ADN. A titre d'exemple, le portrait-robot génétique permet déjà de déterminer des caractéristiques morphologiques, comme la couleur des cheveux ou des yeux. Mais, à l'avenir, si les évolutions juridiques le permettent, on pourra affiner les critères, comme la taille par exemple ou l'âge d'un suspect. Autre piste de travail : la datation de l'ADN. Aujourd'hui, il est impossible de savoir quand une trace génétique a été déposée sur une scène de crime. Avant, pendant, après le crime ? Dater avec précision l'échantillon permettrait de resserrer temporellement l'enquête. Mais quels que soient les progrès de la police technique et scientifique, le succès des enquêtes reposera sur deux piliers : d'abord, la capacité à collecter correctement tous les éléments de preuve. Ensuite, notre aptitude à les préserver dans de bonnes conditions. Le strict respect de ces deux impératifs permettra un réexamen approfondi des scellés. Toute destruction de scellés dans des affaires non élucidées relèverait d'ailleurs de la faute professionnelle. Ainsi, dans dix ans, voire dans vingt-cinq ans, la justice arrivera peut-être à élucider des crimes commis aujourd'hui. Enquêteurs et magistrats doivent travailler pour la postérité.
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