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Cinq questions sur le Thiotépa, l'anticancéreux périmé administré en France et en Suisse entre 2007 et 2011

Près de 100 000 doses de ce médicament utilisé notamment dans les cancers de l'ovaire, de la vessie et du sein mais aussi chez les enfants ont été vendus dans l'Hexagone avec une fausse date de péremption.

Article rédigé par franceinfo
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Près de 100 000 flacons périmés ont été administrés à des patients suisses et français entre 2007 et 2011, traité pour des cancers avec du Thiotepa (illustration).  (MAXPPP)

Entre 2007 et 2011, ce sont au total 100 000 flacons périmés de Thiotépa qui ont été administrés à des patients suisses et français traités pour des cancers, révèle le journal suisse Le Matin, dans son édition du dimanche 14 janvierCe médicament, distribué par l'entreprise Alkopharma, était alors pour lutter contre les cancers de l'ovaire, de la vessie et du sein mais également dans le traitement de cancers de l'enfant.  Si l'affaire date de 2011, le quotidien suisse rapporte que Swissmedic, l'organisme en charge de surveiller le marché des produits thérapeutiques en Suisse, a déposé un recours contre la condamnation d'Alkopharma pour falsification des dates de péremption, notamment parce que le juge n’a pas retenu la mise en danger de la santé des patients. Franceinfo revient sur cette affaire. 

1Que s'est-il passé ?

C'est le laboratoire allemand Riemser, lui-même fabricant du Thiotépa, qui révèle le problème en 2011, après avoir constaté que des flacons périmés ne contenant "plus la dose de principe actif exigée" circulent sur le marché, rapporte le journal suisse. Selon les éléments de l'enquête suisse, cités par Le Matin, le laboratoire Alkopharma, qui conditionne et distribue le médicament, falsifiait la date de péremption (en créant de fausses étiquettes) sur les emballages de cet anticancéreux, dont la durée de vie est de 18 mois. "Certains flacons ont été vendus sept ans plus tard", précise la Radio Télévision Suisse. Swissmedic, l’Autorité suisse de surveillance du marché des médicaments, déplore une "mise en danger de la santé des patients." 

2Qui était concerné ?

L'affaire concerne la plupart des grands hôpitaux suisses, qui ont reçu au total 2 119 flacons périmés. Le Matin explique que la plupart des flacons périmés (98 820 pour être exact) ont été administrés en France, sans préciser quels peuvent être les établissements hospitaliers concernés.

Selon l'enquête de Swissmedic, Alkopharma a vendu en France pour 3 278 425 euros de médicaments à la date de péremption modifiée et pour 207 573 francs suisses en Suisse, soit 176 000 euros.

Ce produit était utilisé principalement dans la recherche et le traitement des cancers de l'enfant, notamment ceux du sang, et aussi le traitement des tumeurs solides, expliquait Le Parisien en 2011. 

3Y-a-t-il eu des victimes ? 

C'est toute la difficulté de cette affaire. "Comment prouver que ces cancéreux soignés avec une dose insuffisante de médicament n’ont pas connu la meilleure évolution possible de leur maladie ?" s'interroge Le Matin. Martin Fey, responsable du service d’oncologie des adultes de l’hôpital de l’Ile à Berne (Suisse), a étudié le dossier de patients concernés à la demande de la justice, mais pour aucun d’entre eux, le spécialiste n'est capable d'imputer une évolution négative de leur maladie au Thiotépa, notamment parce qu'il est toujours administré conjointement à d’autres produits. "Personne ne peut dire que, si le dosage d’un agent avait été supérieur de 20%, le patient X aurait survécu", explique-t-il. 

4Qui est responsable ?

En France, la justice hésite encore, notait Le Parisien, le 5 janvier dernier. Le médicament se trouve au centre d'un bras de fer entre, d'un côté, le fabricant allemand Riemser et, de l'autre, le distributeur français Genopharm. En 2011, un contrôle avait révélé un sous-dosage du produit en principe actif. Riemser avait alors porté plainte contre son distributeur, à qui il impute la faute.

Si une enquête pour "tromperie aggravée, falsification de substance médicamenteuse et faux et usage de faux" a été ouverte par le parquet de Paris, l'instruction est aujourd'hui terminée et on ne sait pas encore si la justice va renvoyer l'affaire devant un tribunal ou si elle prononcera un non-lieu. 

Deux personnes sont toujours mises en examen, dont le patron de Genopharm. Celui-ci réclame un non-lieu et a contre-attaqué, en déposant fin novembre une plainte pour "tromperie, faux témoignage et dénonciation calomnieuse" à l'encontre de Riemser. Affaire à suivre, donc.

En Suisse, c'est plus clair. Quatre anciens responsables d'Alkopharma ont été condamnés en juin 2016 à de simples amendes. La mise en danger de la santé des patients n'a pas été retenue, raison pour laquelle Swissmedic a déposé un recours.

5Qu'en est-il aujourd'hui ?

Après les révélations d'avril 2011, le Thiotépa 15 mg est resté disponible jusqu’à l’arrivée d’une solution alternative, qui a été mise à disposition des établissements de soins à compter du mois d'octobre 2011, rapporte l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Une lettre à tous les médecins hospitaliers, oncologues, hématologues et pharmaciens des établissements de santé avait ensuite été transmise les informant de la rupture imminente de l’approvisionnement en Thiotépa 15 mg et des modalités de substitution par un autre médicament à base de Thiotépa (Tepadina 15 mg et 100 mg) importé d’Allemagne.

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