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Procès Outreau : l'entourage "militant" des enfants Delay passé au crible

Livrés à eux-mêmes après leur majorité, les fils de Thierry Delay et Myriam Badaoui ont été accueillis et pris en charge par des personnes mettant en doute les treize acquittements du dossier.  

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Jonathan Delay, partie civile au procès de Daniel Legrand, au tribunal de Rennes (Ille-et-Vilaine), le 26 mai 2015.  (DAMIEN MEYER / AFP)

Pourquoi les enfants Delay se sont-ils finalement constitués partie civile ? Cette question hante les débats depuis l'ouverture du procès de Daniel Legrand, le 19 mai dernier. En apprenant mi-2013 que cet acquitté serait bien rejugé pour des viols et agressions sexuelles qu'il est accusé d'avoir commis entre ses 16 et 18 ans, Chérif, Dimitri et Jonathan avaient d'abord dénoncé "une mascarade" judiciaire. Ils ont finalement décidé de participer au procès et, pour deux d'entre eux à ce jour, de porter des accusations contre Daniel Legrand, qu'ils n'avaient jusqu'à présent jamais mis en cause. 

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Pour la défense, ces victimes de l'affaire Outreau sont "instrumentalisées" par les tenants de "l'autre vérité" d'Outreau, celle qui conteste les treize acquittements. Des militants incarnés, selon les avocats de Daniel Legrand, par deux femmes entendues mardi 26 mai. 

"Aider ces garçons à tourner la page"

Laurence Gratton et Homayra Sellier ont raconté à la barre être allées à la rencontre de Chérif lors de la dédicace de son livre Je suis debout (Le Cherche-Midi), publié en 2011. L'une, qui se présente comme ayant "une certaine expérience avec les personnes en détresse", publie régulièrement en ligne des articles contestant les décisions des cours d'assises de Saint-Omer et Paris. L'avocat Eric Dupond-Moretti a profité de l'audience pour régler ses comptes avec cette activiste qui répond au pseudo de @caprouille sur Twitter et qui le "pourrit d'insultes depuis cinq ou six ans".

Homayra Sellier est quant à elle la présidente de l'association Innocence en danger. C'est elle qui a alerté le parquet de Douai sur la prescription imminente du renvoi de Daniel Legrand devant une cour d'assises des mineurs. C'est elle, également, qui a financé à hauteur de 70% le documentaire de Serge Garde, Outreau, l'autre vérité, diffusé en 2013. "Il était primordial qu'il y ait un autre regard. Il n'y a pas de monopole sur la vérité d'Outreau", fait-elle valoir à la barre. "Et la vérité judiciaire, madame !" s'emporte Eric Dupond-Moretti.

Devant la cour, la présidente d'Innocence en danger se défend toutefois d'être responsable de la tenue de ce procès. "Notre association n'a aucun pouvoir d'imposer quoi que ce soit de cette nature  Si ce procès se tient dix ans après, ce n'est pas la faute d'Innocence en danger." Et d'ajouter : "Je n'ai aucun autre intérêt aujourd'hui que le fait de pouvoir aider ces garçons à tourner la page."

"Vous éprouviez des sentiments d'amour pour Chérif" 

"Je n'ai jamais poussé les garçons ni dans un sens ni dans un autre, je les ai mis en contact avec les avocats qui ont cherché à les rencontrer", soutient de son côté Laurence Gratton, ajoutant ne pas être là "pour parler de [s]on militantisme en tant que @caprouille mais pour témoigner en tant que Laurence Gratton, qui a accueilli chez elle les enfants Delay".

Il n'empêche. Le président du tribunal lui-même s'interroge sur les bienfaits de cet entourage militant, de nature à "alimenter la colère et la haine d'une personne". Comme lorsque Laurence Gratton évoque les menaces de mort de Chérif Delay à l'encontre d'acquittés - il a été condamné à six mois de prison avec sursis en 2013 pour avoir menacé le couple Lavier - et confie lui avoir conseillé de ne pas "gâcher sa vie en essayant de tuer cette ordure".
 
Si elle assure "faire la part des choses entre son côté militant et [son côté] accueillant", la témoin semble avoir franchi les limites sur un autre terrain. Sortant de son calme habituel, l'avocat général Stéphane Cantero lui rappelle ainsi ses déclarations devant les policiers qui enquêtaient sur les menaces de mort de Chérif : "Vous éprouviez des sentiments d'amour maternel pour Chérif, puis votre sentiment a évolué, est devenu amoureux, à tel point que vous avez quitté votre mari pour lui. Est-ce que vous ne trouvez pas ça particulièrement troublant de faire vivre un quasi inceste à quelqu'un qui, lorsqu'il était enfant, a subi le pire des incestes qu'on ait eu à juger dans cette salle ?" 
 
L'intéressée dément, affirmant avoir juste été hébergée par Chérif Delay au moment de sa séparation. 

Les enfants Delay "instrumentalisés", selon la défense 

Pour Homayra Sellier, personne, du reste, ne s'est préoccupé du sort des enfants Delay après les procès d'Outreau"Ils ont été laissés au bord de la société. Qui s'en est occupé ?" Les deux femmes décrivent l'état de détresse dans lequel elles ont trouvé les adolescents, mis à la porte de leurs foyers une fois leurs 18 ans sonnés. "Chérif n'avait pas de papiers, pas de suivi psychologique, il avait besoin de tout", raconte Homayra Sellier. Jonathan, lui, avait "les pieds moisis" quand elle l'a rencontré.  
 
"Ça n'est plus le rôle de la justice. Le cœur, c'est bien, mais la raison ce n'est pas rien dans une enceinte judiciaire", analyse Eric Dupond-Moretti, en prenant acte du suivi social lacunaire des enfants. "Moi, je pense que les enfants, ça leur fait infiniment de mal, ce procès. Parce qu'ils sont instrumentalisés. Mais vous espérez quoi, qu'il soit coupable ?" lance l'avocat en parlant de Daniel Legrand.
 
Finalement, il aura été très peu question de l'accusé en cette journée d'audience. Homayra Sellier a prévenu : "Je ne me prononcerai pas sur sa culpabilité, je ne connais pas le fond du dossier." Sur la forme, elle se dit satisfaite : "Grâce à ce qui se passe à Rennes, les Delay ont pu parler et être vraiment reconnus comme victimes." Même satisfecit du côté de Laurence Gratton : "Je me fais une joie que les enfants puissent être ici entendus. Et j'ai la conviction d'être une participante à la manifestation de la vérité." Les enfants Delay repartiront-ils aussi satisfaits de ce procès ? Il est permis d'en douter. 
 
 

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