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Myriam Badaoui, des "projecteurs" d'Outreau à l'anonymat en Bretagne

L'accusatrice en chef du dossier Outreau, sortie de prison en 2011, doit témoigner au procès de Daniel Legrand fils, qui s'est ouvert le 19 mai à Rennes. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Myriam Badaoui lors du procès en première instance de l'affaire Outreau, à Saint-Omer (Pas-de-Calais), le 22 juin 2004. (  MAXPPP)

Elle pose, la tête penchée, un petit sourire découvre ses dents, ses cheveux ont légèrement poussé et elle porte des lunettes. Myriam Badaoui a bien changé, si l'on en croit un photomontage qui circule sur internet, authentifié par son fils, Jonathan Delay. Rencontré dans un café à Paris, le jeune homme de 21 ans exhibe cette image pour preuve de la métamorphose de sa mère, accusatrice en chef du dossier Outreau et condamnée en juillet 2004 à quinze ans de prison pour l'avoir violé lui, ses trois frères et trois autres enfants. Elle a également été reconnue coupable d'agressions sexuelles sur dix enfants, de proxénétisme sur ses quatre fils et de corruption sur onze enfants.

Comme tous les protagonistes du dossier, Myriam Badaoui doit être entendue comme témoin au procès de Daniel Legrand fils, l'un des treize acquittés d'Outreau, rejugé depuis le 19 mai à Rennes (Ille-et-Vilaine). Le jeune homme comparaît pour des faits de viols et d'agressions sexuelles qu'il est accusé d'avoir commis sur les quatre enfants Delay lorsqu'il était mineur.

Des accusations d'une "précision diabolique"

Quand l'affaire éclate, début 2001, Myriam Badaoui est obèse, vêtue la plupart du temps d'un jogging informe, ses "cheveux trop courts plaqués sur le crâne sans coquetterie", avec pour seul atout "ses grands yeux noirs", décrit Florence Aubenas dans La Méprise, l'affaire d'Outreau (Ed. du Seuil, 2005). A l'époque, le voisinage fuit cette femme un peu trop envahissante et seuls les services sociaux acceptent encore de l'écouter raconter ses malheurs, dans son appartement de la Tour du Renard, à Outreau (Pas-de-Calais).

Quand Myriam Badaoui est arrêtée avec son mari Thierry Delay, en février 2001, elle trouve dans le juge d'instruction Fabrice Burgaud une nouvelle oreille attentive. Elle reconnaît rapidement les viols sur ses enfants. Mais elle ne s'arrête pas là, relayant avec moult détails sordides les accusations de ses fils, qui désignent d'autres adultes. Un enfant accuse untel ? Oui, il y était, répond Myriam Badaoui sans sourciller. Des scènes de zoophilie ? Des viols dans une ferme en Belgique ? Le meurtre d'une fillette ? Oui, oui, oui, répond toujours Myriam Badaoui.

Devant la commission d'enquête parlementaire mise en place en 2006 pour analyser le fiasco judiciaire d'Outreau, l'avocate Fabienne Roy-Nansion raconte avoir eu "une syncope quand Mme Badaoui, avec une précision diabolique, nous a relaté une scène orgiaque avec des bergers allemands qui violaient des enfants, puis le meurtre d'une petite fille dans son pyjama rose, qui tenait son lapin en peluche à la main. J'ai dû quitter la pièce."

La "diva", la "reine" Myriam

Des mensonges, comme l'a reconnu plus tard l'accusée mythomane, qui s'est prise au jeu de l'enquête et des convocations devant le juge. "Dès que la procédure mollit, Myriam languit dans sa cellule. (...) Et si les projecteurs s'éteignaient ? Si elle redevenait la 'pauvre petite Myriam'. Elle veut être convoquée une nouvelle fois", raconte Florence Aubenas dans son livre. Myriam Badaoui donne le la, suivie dans toutes ses déclarations par les deux seuls co-accusés qui reconnaissent alors les faits, Aurélie Grenon et David Delplanque. Elle met en cause voisins, amis, étrangers. Au total, quatorze personnes sont placées en détention provisoire.

Ce rapport de force se poursuit à l'ouverture du procès devant les assises de Saint-Omer, en mai 2004. "Les journalistes ont pris l'habitude de guetter les prestations de Myriam comme celles d'une diva des assises. Quand elle va parler, tout le monde se tait", témoigne Florence Aubenas. La défense la surnomme, avec ironie, "la reine Myriam". La cour est saisie d'effroi lorsqu'elle raconte comment elle a pris du plaisir à violer ses enfants : "Peut-être pas toutes les mamans aiment ça, monsieur le président, mais cela existe de prendre du plaisir à pénétrer des enfants avec un objet."

"C'était la première fois qu'on m'écoutait"

Myriam Badaoui a son langage. Avec elle, les godemichés deviennent des "gonichés", une sainte-nitouche une "simple ni-touche". Mais après sa célèbre volte-face, le 18 mai 2004, plus personne ne l'écoute. Ce jour-là, Myriam Badaoui innocente 13 des accusés (un 14e est mort en prison). Une scène qui a marqué la mémoire des chroniqueurs judiciaires présents. Cinq jours plus tard, elle se rétracte de nouveau : "Ils y étaient toooouuuus !" Peine perdue, elle n'est plus du tout crédible et le procès bascule. 

Au procès en appel à Paris, en novembre 2005, elle vient témoigner (Myriam Badaoui n'a pas fait appel de sa condamnation) et implique le juge Burgaud : "Il m'est passé une folie dans la tête. Je ne voulais pas traiter les enfants de menteurs. Le juge m'écoutait. C'est la première fois qu'on m'écoutait. Je me suis emballée." Selon Philippe Houillon, le rapporteur de la commission d'enquête parlementaire, le jeune magistrat ambitieux et la "pauvre Myriam" en quête de reconnaissance formaient "un tandem qui fonctionnait bien".

"Cette femme a un vécu terrifiant"

Des psychiatres ont expliqué les allers et retours de Myriam Badaoui entre vérités et mensonges par une "organisation fragile de la personnalité" et "des éléments de violence dans lesquels elle a vécu". Née en Algérie, elle a été mariée de force à un cousin, à l’âge de 14 ans. Elle affirme avoir été violée, battue, prostituée avant de s'enfuir en France, enceinte (son fils Chérif naîtra quelques mois plus tard) et laissant une première fille au pays. A Boulogne-sur-Mer, elle rencontre Thierry Delay, tombe amoureuse et l'épouse. Lui écopera de vingt ans de prison dans l'affaire Outreau. Il est le seul des quatre condamnés à être toujours incarcéré.

"Cette femme a un vécu terrifiant. Elle était un objet et elle n'a pas su regarder ses enfants autrement que comme ça", analyse son avocat, Jérôme Crépin. Au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, Myriam Badaoui a bénéficié d'un suivi thérapeutique, puis d'une formation d’hôtellerie-restauration pour les collectivités. Une "détenue modèle", selon son conseil. Elle n'a pas bénéficié d'une libération conditionnelle, seulement des remises de peine prévues par la loi.

Un de ses quatre fils, Jonathan Delay, l'a revue il y a "deux ou trois ans", après sa sortie de prison en novembre 2011. Les brèves retrouvailles se sont déroulées dans un café près d'une gare, en Bretagne. "Je ne l'ai pas reconnue. Elle avait perdu 60 kilos, elle a fait de la chirurgie esthétique, c'est sûr", assure Jonathan Delay. L'avocat du jeune homme, Patrice Reviron, tempère : "Son impressionnante perte de poids a dû modifier ses traits."

Des questions sans réponses

Lors de cette entrevue, Jonathan lui a posé des questions : "Pourquoi a-t-elle innocenté tout le monde ? Pourquoi ne l'a-t-elle pas protégé ? Pourquoi lui a-t-elle fait ça ?" Il affirme ne pas avoir eu de réponse. Dans son livre Je suis debout, son demi-frère, Chérif Delay, raconte qu'il a lui aussi voulu revoir sa mère pour l'interroger, sur son revirement et sur son histoire à lui. Il a finalement renoncé. "Et voilà qu'elle m'écrit qu'elle veut me serrer contre elle et m'embrasser. Comment ose-t-elle ? C'est la dernière femme au monde qui a le droit de me toucher."

Aujourd'hui, Myriam Badaoui vit quelque part en Bretagne et "cherche à se faire oublier", selon son avocat, qui ne l'a pas revue depuis près d'un an. Difficile, toutefois, de retomber dans l'anonymat. Son nom lui a valu d'être éjectée d'un bus, un jour, à Rennes, mais elle n'a pas changé de patronyme. "J'assume à plein temps mes actes", avait-elle dit au procès en appel à Paris. Dix ans plus tard, les projecteurs vont se rallumer, le temps d'une journée.     

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