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Infographies Racisme, sexisme, islamophobie... Le sentiment de discrimination augmente en France, surtout chez les femmes

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une femme participe à une manifestation organisée par le collectif féministe Nous Toutes, le 20 novembre 2021, à Paris. (ALAIN JOCARD / AFP)

Une étude de grande ampleur, dévoilée mardi par l'Insee et l'Ined, met en lumière des évolutions notables par rapport au premier volet réalisé en 2008 et 2009. 

"Trajectoires et Origines", le retour. L'Institut national de la statistique (Insee) et l'Institut national d'études démographiques (Ined) ont dévoilé, mardi 5 juillet, les premiers résultats d'une vaste enquête sur la diversité de la population en France métropolitaine. Menée en face-à-face auprès de 27 200 personnes en 2019 et 2020, l'étude intitulée "Trajectoires et Origines 2" (TeO2) révèle comment les origines, le genre ou encore la religion peuvent affecter l'intégration de chacun dans la société. 

"Mauvaise nouvelle : il y a plus de discriminations déclarées qu'il y a dix ans", résume pour franceinfo l'un des auteurs de l'enquête, le démographe Patrick Simon. Parmi les personnes âgées de 18 à 49 ans ayant accepté de prendre part à ces travaux, 19% déclarent avoir subi "des traitements inégalitaires ou des discriminations" au cours des cinq dernières années. Ils n'étaient que 14% dans l'édition initiale de l'enquête TeO, conduite en 2008 et 2009. Derrière cette augmentation peut se cacher une recrudescence des faits commis, mais aussi une plus grande perception de leur portée discriminatoire.

Une hausse plus forte chez les femmes

La poussée la plus notable est observée parmi les femmes, qui sont 21% à rapporter des discriminations, contre 14% dix ans plus tôt. "Cela s'explique en grande partie par le fait qu'elles déclarent plus souvent être discriminées en raison de leur sexe", souligne pour franceinfo Sylvie Le Minez, responsable des études démographiques à l'Insee. "Cela témoigne sans doute d'une sensibilisation plus importante, car des situations qui pouvaient être discriminatoires dans le passé n'étaient pas forcément vécues comme telles." 

Le sexisme est désormais la première source des discriminations déclarées par les femmes (46%, contre 28% en 2008-2009). "Ce thème a pris beaucoup d'ampleur en dix ans, insiste Patrick Simon. Quand on évoque les problèmes de congé maternité ou les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, elles sont davantage en situation d'identifier leur expérience comme une discrimination, ce qu'elles ne faisaient pas auparavant." Chez les hommes, 16% des répondants (contre 13% auparavant) font état de discriminations, majoritairement du fait de leur origine, de leur nationalité ou de leur couleur de peau (58%). 

Les personnes originaires d'Afrique subsaharienne restent les plus touchées

La part des immigrés et de leurs descendants directs déclarant avoir subi des discriminations (toutes causes confondues) est près de deux fois plus importante que chez les personnes sans ascendance migratoire. Cet écart est encore plus élevé chez les natifs d'outre-mer et leurs enfants nés en métropole, qui sont plus de 30% à rapporter de tels faits.

Dans le détail par région d'origine, c'est parmi les populations originaires d'Afrique subsaharienne que les taux sont les plus élevés, particulièrement chez les descendants d'immigrés (41%). Suivent les enfants d'immigrés maghrébins (37%) et les descendants d'immigrés venus de Turquie et du Moyen-Orient (33%).

Pourquoi ces niveaux souvent plus élevés pour les enfants d'immigrés que pour leurs parents ? "Ayant été socialisés en France, ils sont plus sensibles aux différences de traitement, avance Patrick Simon. De plus, grâce aux études supérieures, ils accèdent à d'autres niveaux de la société. Là, leur origine va leur porter plus de préjudice que dans les professions peu qualifiées de leurs parents. Ils sont exposés à plus de discriminations du fait de la compétition dans leur secteur d'emploi."

L'origine citée comme premier motif, le genre et la religion en hausse

Parmi les personnes disant avoir été victimes d'un traitement inégalitaire en 2019-2020, 43% disent l'avoir été en raison de leur origine, de leur nationalité ou de leur couleur de peau, devant le genre (29%), l'âge (13%) et la religion (8%). Sans surprise, ce motif lié aux origines est cité par 82% des immigrés estimant avoir subi des discriminations et par 70% des descendants d'immigrés confrontés à de telles situations. Il en va de même chez les natifs d'outre-mer (83%) et leurs descendants (70%).

En une dizaine d'années, des évolutions significatives ont cependant eu lieu. Même s'il reste dominant, le motif de l'origine, la nationalité ou la couleur de peau est moins cité qu'aen 2008-2009 (en recul de 11 points parmi les personnes qui déclarent avoir été confrontées à des discriminations). A l'inverse, "le motif de la religion est devenu plus présent, en particulier pour les personnes qui se disent musulmanes, avec un passage de 5% à 11%", souligne Patrick Simon, qui précise : "Des personnes musulmanes qui, jusqu'ici, pensaient être discriminées en raison de leur origine disent aujourd'hui avoir été discriminées en raison de leur religion."

Les chômeurs et les personnes fragiles sont davantage exposés

Toutes choses égales par ailleurs, le fait d'être en recherche d'emploi expose à un risque de déclarer des discriminations jusqu'à deux fois supérieur par rapport aux travailleurs, selon les auteurs de l'étude en question. Les traitements inégalitaires "sont moins fréquents une fois en emploi", rappellent-ils, même s'ils existent aussi. L'état de santé est également un facteur de risque accru : "Les personnes dont l'état de santé est dégradé ou fortement limité déclarent près de deux fois plus souvent avoir vécu une discrimination que les personnes en bonne santé."

L'écart de risque le plus important reste toutefois lié à l'origine géographique, surtout chez les hommes. A profil socio-économique identique, le risque de déclarer une discrimination est plus de six fois plus important pour les hommes immigrés venus d'Afrique subsaharienne par rapport aux hommes sans ascendance migratoire. Ces écarts ont eu tendance à se réduire en dix ans, malgré une progression notable chez les descendants d'immigrés asiatiques.

Les plaintes restent très rares

Parmi les personnes ayant déclaré avoir subi une discrimination en 2019-2020, seules 2% ont porté plainte et 7% ont saisi le Défenseur des droits, une association ou un syndicat. Ceux ou celles qui déclarent avoir été discriminés en raison de leur état de santé ou de leur handicap sont les plus actifs sur ces fronts, avec 7% de dépôts de plainte et 12% de saisines diverses, du fait d'une plus grande "confiance en l'utilité et l'aboutissement d'une plainte pour discrimination".

Dans la plupart des cas, les personnes concernées s'indignent lorsque la situation survient (38% des cas) ou en parlent à des proches (46%), avec une forme de fatalisme. "La plus forte sensibilisation aux discriminations ne se traduit pas par une plus grande capacité à faire valoir ses droits, observent les auteurs de l'enquête. Près de la moitié (48%) des personnes se disant discriminées n'ont rien fait parce qu'elles pensent qu'entamer une démarche ne servirait à rien."

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