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S'entourer, garder des preuves et porter plainte : comment réagir si vous êtes harcelé sur internet ?

Pour l'avocat Thierry Vallat, une plainte n'est pas assurée d'aboutir, mais la justice est de plus en plus réactive. Il conseille de conserver autant de preuves que possible.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les victimes ne pensent pas toujours à le faire dans l'immédiat, mais conserver des captures d'écran des messages peut être un élément déterminant pour les victimes de harcèlement en ligne, selon l'avocat Thierry Vallat. (ERIK NYLANDER / AFP)

Vous n'étiez peut-être pas encore sur les réseaux sociaux à l'époque où la plupart des victimes de "La Ligue du LOL" ont été prises pour cibles par ce groupe, composé pour l'essentiel de journalistes et de communicants parisiens. Mais le harcèlement en ligne n'est pas un phénomène qui se limiterait à certains groupes ou certains milieux : c'est un phénomène de masse. Selon un sondage Ifop publié par franceinfo, vendredi 15 février, 8% des 1 003 personnes interrogées déclarent avoir déjà été visées par du cyberharcèlement. Le taux monte même à 22% chez les 18-24 ans (aucun mineur n'a été consulté).

"Cela m'inquiète, mais ne me surprend pas", réagit l'avocat Thierry Vallat, spécialisé en droit numérique. Pour lui, ce chiffre est sans doute en deça de la réalité, toutes les victimes n'ayant pas forcément conscience que ce qu'elles vivent relève du harcèlement. Il explique la marche à suivre si vous (ou un de vos proches) êtes concerné.

Franceinfo : Comment savoir si ce que l'on subit constitue du harcèlement en ligne ?

Thierry Vallat : Il y a deux catégories de harcèlement en ligne. La première, c'est quand quelqu'un vous bombarde de messages répétés – haineux, moqueurs, discriminants, humiliants. La deuxième, c'est ce qu'on appelle le harcèlement de meute : un individu va envoyer un message, quelqu'un d'autre un seul message, mais la multiplicité et la concertation des attaques vont faire que cela constitue du harcèlement.

Un des moyens de réaliser que l'on est victime de harcèlement, quand on n'en a pas conscience, est de réaliser qu'il y a des conséquences sur votre santé physique, mentale ou morale. Quand vous commencez à avoir des nausées, la boule au ventre, à perdre l'appétit, que vous vous renfermez jusqu'à avoir peur d'allumer votre ordinateur, c'est le signe que quelque chose cloche, et que du harcèlement est peut-être à l'œuvre.

Il est d'ailleurs important d'en parler. Il n'est pas toujours facile de s'en ouvrir à ses profs, à ses collègues ou à sa famille, mais en discuter même avec des amis peut aider. Car rester isolé, dans une bulle, ne fera qu'accentuer les effets du harcèlement.

Si on est victime de cyberharcèlement, faut-il plutôt répondre aux harceleurs ou les bloquer, voire quitter les réseaux sociaux ?

On n'y pense pas toujours, mais dans un premier lieu, il faut se constituer un dossier de preuves : faire des captures d'écran des messages, qui montrent aussi les dates et heures d'envoi, et les conserver, car les harceleurs peuvent supprimer leurs messages. Vous n'êtes pas obligé de le faire sous le contrôle d'un huissier, mais cela peut être une solution dans les cas les plus graves.

Ensuite, vous pouvez quitter les réseaux sociaux. C'est une solution radicale, mais qui peut être une double peine pour vous, et un traumatisme : cela vous coupera peut-être de vos harceleurs, mais aussi du reste du monde.

Vous pouvez masquer les publications des agresseurs et bloquer leurs profils, bien que, généralement, ils arrivent à contourner ces mesures en créant de nouveaux comptes. Mais vous pouvez aussi signaler les messages aux plateformes où ils sont postés. Twitter ne réagit pas toujours très vite mais Facebook, par exemple, a fait d'énormes progrès sur la question.

Est-il possible et nécessaire de porter plainte, même si les harceleurs sont anonymes ?

Il est indispensable de porter plainte. Aujourd'hui, quand on met les moyens, il est relativement facile de retrouver qui se cache derrière les comptes anonymes en identifiant leur adresse IP. A moins de tomber sur un hacker chevronné, qui se cachera derrière des outils plus sophistiqués. Mais on a souvent affaire à des gens qui harcèlent depuis leur téléphone.

La plainte peut être déposée dans n'importe quel commissariat ou gendarmerie. Depuis deux ou trois ans, notamment grâce à #MeToo mais pas seulement, le phénomène est mieux connu et les personnels sont mieux formés. Mais vous ne tomberez pas pour autant sur quelqu'un qui sera tout de suite compréhensif. Je conseille donc toujours, si possible, de ne pas s'y rendre seul, mais en compagnie d'un parent ou d'un ami, voire d'un avocat.

Par ailleurs, si vous avez connaissance d'autres personnes qui ont subi le même sort, se regrouper peut donner davantage de poids aux yeux d'un policier ou de la justice.

Recommandez-vous de dénoncer publiquement son ou ses harceleurs ? 

Tout le monde n'est pas de cet avis, mais je n'y suis pas du tout favorable. Vous pouvez dire que vous êtes visé par des comportements illicites, mais évitez de faire une description trop reconnaissable. J'ai des clients qui se sont retrouvés visés par un procès en diffamation, un risque qui existe toujours, d'autant plus que certains harceleurs ont le bras plus long que vous.

En revanche, si l'auteur du harcèlement est un de vos collègues, vous pouvez aller voir votre employeur ou les ressources humaines. Une PME ou une plus grosse entreprise devront alerter le CHSCT et ouvrir une enquête. Mais vous ne pouvez pas considérer qu'en tant que victime, vous serez forcément écouté. N'hésitez pas à écrire des lettres recommandées, pour garder des traces de votre démarche. De la même manière, si l'auteur et la victime sont élèves d'un établissement scolaire, n'hésitez pas à en parler au chef d'établissement. Mais il est important d'avoir constitué un dossier de preuves, car le risque de diffamation existe toujours.

Quand est-il trop tard pour dénoncer en justice des faits de harcèlement en ligne ?

Aujourd'hui, le délai de prescription est de 6 ans. Mais il était de 3 ans jusqu'en mars 2017, et l'allongement de la prescription n'est effectif que pour les faits qui se sont produits après cette date. De même, si une nouvelle loi venait rallonger ce délai dans le futur, ce ne serait que pour les faits postérieurs à son entrée en vigueur.

Le délai de prescription débute à la date de publication du message. Mais la Cour de cassation considère qu'un retweet ou un nouveau message qui contiendrait un lien vers un message constituant du harcèlement équivaut à une republication, qui fait donc recommencer le délai à zéro.

La plainte d'une victime de harcèlement en ligne a-t-elle réellement des chances de déboucher sur une condamnation ?

Beaucoup de plaintes sont classées sans suite. Si cela arrive, il ne faut pas hésiter à se constituer partie civile, pour obtenir la nomination d'un juge d'instruction qui enquêtera. Mais la démarche est un parcours du combattant, et demande de consigner des sommes d'argent importantes.

Cependant, la probabilité d'obtenir des condamnations augmente. A ma connaissance, il y en a eu seulement cinq pour cyberharcèlement en 2017, mais il y en a eu 500 en 2018. Force est de constater que les harceleurs qui passent devant un tribunal sont souvent condamnés, parfois à des peines de prison.

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