Violences sexuelles : "Le cinéma d'auteur depuis la Nouvelle Vague a favorisé ce type de comportement", estime une spécialiste

"C'est de la pédocriminalité, ce n'est pas autre chose", affirme jeudi sur franceinfo Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l’université Bordeaux Montaigne.
Article rédigé par franceinfo
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L'actrice Judith Godrèche, le 1er septembre 2023 au festival de Deauville (Calvados). (FRANCK CASTEL / MAXPPP)

"Le cinéma d'auteur depuis la Nouvelle Vague a favorisé ce type de comportement", a estimé jeudi 8 février sur franceinfo Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l’université Bordeaux Montaigne et directrice de publication du site "Le genre & l’écran". L’actrice Judith Godrèche a confié jeudi sur France Inter avoir été victime d'abus de la part du réalisateur Jacques Doillon sur le tournage du film La Fille de quinze ans.

Elle a également porté plainte contre le cinéaste Benoît Jacquot pour viols sur mineure. Le cinéma d’auteur met "au pinacle l'idée que la création est associée à l'expression du désir masculin comme quelque chose de forcément transgressif", a expliqué Geneviève Sellier. Selon elle, c’est une spécificité française. "Des gens comme Woody Allen et Roman Polanski sont les rois en France alors qu'ils sont des criminels à Hollywood", a-t-elle regretté.

franceinfo : Il y a quelque chose de systémique dans le cinéma français ?

Geneviève Sellier : Je suis accablée par toutes ces révélations, en particulier par la dimension de violence de ces relations perverses. Il faut quand même mettre des mots là-dessus. C'est de la pédocriminalité, ce n'est pas autre chose. Ce qui est très troublant pour nous, c'est que le cinéma français, en particulier le cinéma d'auteur depuis la Nouvelle Vague, a évidemment favorisé ce type de comportement en mettant au pinacle l'idée que la création est associée à l'expression du désir masculin comme quelque chose de forcément transgressif et donc original, remarquable, artistique, etc. Il y a vraiment un climat délétère qui s'est installé dans le cinéma français d'auteur depuis la Nouvelle Vague et qui est largement responsable de ces abus.

La libération sexuelle dans les années 70 a-t-elle joué un rôle dans ces graves dérives ?

Le problème, c'est que la soi-disant libération sexuelle des années 70 a été en réalité un blanc-seing accordé à l'expression du désir masculin dans un contexte de domination totalement asymétrique entre les hommes et les femmes. En fait, la combinaison entre le culte de l'auteur généré par le mythe de la Nouvelle Vague et ce climat de pseudo-libération sexuelle qui autorisait des gens comme Benoît Jacquot à considérer que c'était transgressif de violer des filles à peine pubères. Ce climat-là est systémique.

Est-ce que c’est spécifique au cinéma français ?

Ce qui est spécifiquement français, c'est le culte de l'auteur qui fait que des gens comme Woody Allen et Roman Polanski sont les rois en France alors qu'ils sont des criminels à Hollywood. Il y a une différence. Et la différence, c'est le culte de l'auteur, c'est-à-dire l'idée que l'artiste est au-dessus des lois. Ça s'est développé en France et pas ailleurs parce que la culture est associée à la fois à une sorte de culte de l'éros comme forcément transgressif. Ça autorisait en quelque sorte une forme de perversion qui est de la pédocriminalité à s'exprimer comme quelque chose de valorisé esthétiquement et artistiquement.

Pourquoi dans les années 80, personne dans le cinéma français ne condamne ?

La libération sexuelle des années 80 est totalement dans ce déni de la domination masculine. Pendant toute cette période, il y a une valorisation de la nudité des filles, pas des hommes, et des filles de plus en plus jeunes. Tout cela se fait au nom du caractère transgressif d’une sexualité qui est dans le caractère dominateur et totalement invisible.

Est-ce qu'il n'y a pas aussi quelque chose de l'ordre d'un mythe du créateur et de sa muse ?

C’est Pygmalion. C'est l'idée que grâce à son génie l’artiste donne vie à sa créature. Ce n'est pas un hasard s'il s'agit toujours de personnes extrêmement jeunes. Mais le ver est dans le fruit. Si vous regardez les premiers films de Godard, c'est exactement le même phénomène. Il choisit Anna Karina. Elle a 17 ans, elle parle à peine français et il va en quelque sorte la créer. Ce mythe de Pygmalion est au cœur de la Nouvelle Vague et il va générer l'idée que l'inspiration de l'artiste est liée à l'expression de son désir pour une femme qu'il crée en quelque sorte, qu'il transforme en actrice. En même temps, on l'autorise à en changer pour stimuler sa créativité. On est dans une perspective totalement de collection "donjuanesque". François Truffaut a fait ça toute sa vie. C'était un séducteur compulsif, tout le monde le savait.

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