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"Il faut que la vérité éclate au grand jour" : un documentaire inédit dénonce les abus sexuels subis par des religieuses

Dans un documentaire diffusé mardi soir sur Arte, des religieuses victimes d'abus sexuels témoignent à visage découvert et brisent l'omerta sur un sujet qui ronge l'Eglise depuis des décennies. 

Article rédigé par Louise Hemmerlé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le documentaire "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise" est diffusé sur Arte le 5 mars 2019.  (DREAM WAY PRODUCTIONS)

C'est un tabou qui n'a été brisé que tout récemment. Début février, le pape François a reconnu que "des prêtres et des évêques" avaient commis des agressions sexuelles sur des religieuses. Dans le sillage des révélations sur les abus pédophiles, des religieuses ont commencé ces dernières années à élever la voix à leur tour, dénonçant les agressions dont elles ont été victimes.

Certaines d'entre elles prennent la parole dans le documentaire Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise qui sera diffusé mardi 5 mars à 20h50 sur Arte. Elles dénoncent les abus d'autorité, les viols, et les avortements forcés qu'elles ont subis, ainsi que les méthodes employées par l'institution catholique pour étouffer le scandale.

A l'origine de ce projet de documentaire, la journaliste Marie-Pierre Raimbault. Elle répond aux questions de franceinfo sur cette investigation inédite.

Franceinfo : Comment est né ce projet ?

Marie-Pierre Raimbault : Je suis tombée sur les rapports des sœurs Maura O'Donohue et Marie McDonald. Dans les années 1990, après plusieurs années d'enquête dans vingt-trois pays, ces deux missionnaires américaines ont transmis l'une et l'autre au Vatican un rapport très documenté sur les abus sexuels subis par les religieuses aux mains d'hommes du clergé. En mars 2001, le journal américain National Catholic Reporter a publié pour la première fois ces révélations. Le Parlement européen a aussi adopté une résolution sur les violences sexuelles à l'encontre des femmes, et notamment des religieuses catholiques.

C'était notre volonté de montrer que ce problème était toujours d'actualité, que c'était contemporain. C'était intéressant d'avoir des religieuses de plusieurs âges, pour montrer que cela se répétait au fil des générations. C'était très important de montrer que c'était quelque chose qui était pérennisé comme système.

Qu'est-ce qui a permis de recueillir la parole des victimes ? Comment celle-ci s'est libérée ?

La conjoncture nous était favorable, car il y avait les histoires de pédophilie qui commençaient à sortir. Mais quand nous avons commencé le film il y a trois ans, il n'y avait pas de témoignages de religieuses abusées, ça n'existait pas. Le film a été très long car les religieuses abusées, une fois qu'on avait leur contact, étaient très hésitantes. Je pense qu'elles avaient peur, car c'était la première fois qu'on leur donnait la parole. Elles avaient peur aussi car c'était compliqué, en tant qu'anciennes religieuses, de dire des choses qui allaient à l'encontre de l'Eglise. Les rares qui s'étaient exprimées auprès de leur hiérarchie n'avaient pas obtenu gain de cause. Elles étaient enfermées dans ce silence. On les a éduquées comme ça, à être obéissantes.

Quels sont les ressorts de l'emprise des prêtres sur les nonnes ?

Les prédateurs ne s'attaquent pas à des femmes matures, bien équilibrées dans leurs choix de vie. Ils s'attaquent à des jeunes femmes en questionnement, alors qu'elles font vœu de chasteté et renoncent à une vie de famille. Elles se posent beaucoup de questions, et les prédateurs les repèrent. Or, dans le mode de fonctionnement de l'Eglise catholique, chaque religieuse a un directeur spirituel, et elles sont censées parler de leurs doutes. Un prédateur va commencer à leur poser des questions comme "Avez-vous des pensées impures ?", "Est-ce que vous vous masturbez ?", "Est-ce que vous êtes attirée par une autre religieuse ?" Et dans l'isolement du confessionnal, certaines subissent des attouchements.

Le documentaire "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise" est diffusé sur Arte le 5 mars 2019.  (DREAM WAY PRODUCTIONS)

Les religieuses rentrent dans un système d'emprise dans lequel elles n'ont plus de libre arbitre. Ça ne veut pas dire qu'elles sont d'accord, ça veut dire qu'elles sont en état de sidération. Ça peut durer toute leur vie. Certaines religieuses sont mortes sans en avoir jamais parlé. Le problème est aussi qu'on cantonne les religieuses à des rôles de servitude. Si les femmes avaient plus de considération, de respect et de pouvoir au sein de l'Eglise, je pense que les choses seraient différentes.

Comment avez-vous réagi face à l'ampleur de vos découvertes ?

De jour en jour, on était de plus en plus stupéfaits et de plus en plus écœurés ; il y a même des choses qui étaient de l'ordre de l'insoutenable. Il y a eu des moments très durs humainement, parce qu'il y avait toujours quelque chose de plus sale. C'était très éprouvant. Par rapport à la laideur du contenu, on a voulu que ce soit un beau film. On a énormément travaillé l'image en tournage, c'est un documentaire qui a une certaine qualité cinématographique, car on voulait malgré tout offrir aux religieuses du beau.

L'Eglise est-elle au courant de ces abus, et que fait-elle pour les combattre ?

Mon point de vue, c'est que l'Eglise est au courant depuis fort longtemps. Les rapports de O'Donohue et McDonald en sont une preuve tangible. Mais je ne pense pas que ça date de 1990, ça date de la nuit des temps.

Le pape a reconnu en février pour la première fois que ces abus ont bel et bien eu lieu. On ne peut pas s'empêcher de trouver curieux que le pape fasse cette déclaration publique alors qu'il sait que le film va sortir. Nous avions contacté le Vatican pour leur proposer une rencontre filmée entre le pape et deux des religieuses qui témoignent dans notre documentaire. Nous leur avions donné, à leur demande, le contenu du film par écrit. Finalement, ils ne voulaient pas que cela soit filmé, donc on a mis un terme aux négociations. On ne pouvait pas encore confiner la souffrance des religieuses abusées dans une alcôve du Vatican. Ce n'était pas possible, il faut que la vérité éclate au grand jour. Alors oui, l'Eglise s'est exprimée, mais seulement au moment où elle sait qu'elle est acculée. Maintenant, au-delà de cette déclaration, que vont-ils faire concrètement ?

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