Commission chargée de lutter contre l'inceste : mission élargie, nouvelle présidence… Cinq questions sur la nouvelle version de la Ciivise

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Manifestation à Paris, le 25 novembre 2023, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. (LAURE BOYER / HANS LUCAS / AFP)
Le gouvernement a décidé lundi de maintenir la commission, mais a écarté celui qui la présidait jusqu'alors, le juge Edouard Durand.

Fin du suspense pour la Ciivise. Le gouvernement a finalement annoncé le maintien de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, lundi 11 décembre. "Après trois ans de travail (…), il est essentiel de maintenir l'élan créé contre les violences sexuelles subies par les enfants", a commenté la secrétaire d'Etat à l'Enfance, Charlotte Caubel.

L'instance ne poursuivra pas ses missions de la même manière et travaillera sans son médiatique co-président, le juge Edouard Durand, remplacé. Franceinfo répond à cinq questions sur cette nouvelle organisation.

1 Quel bilan pour la Ciivise, trois ans après sa création ?

La Ciivise avait été créée sous l'impulsion d'Emmanuel Macron en mars 2021, dans le sillage de l'onde de choc provoquée par le livre La Familia Grande, de Camille Kouchner. Dans cet ouvrage, l'autrice accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, de viols sur son frère jumeau. En presque trois ans d'existence, la commission a tenu 27 réunions publiques, recueilli près de 30 000 témoignages et rendu au gouvernement un rapport de 82 recommandations pour lutter contre ce "crime de masse" qui touche, selon elle, 160 000 enfants chaque année. 

A ce stade, peu de ces recommandations ont toutefois été mises en œuvre. La proposition de loi sur la déchéance de l'autorité parentale en cas de condamnation pour violences sexuelles incestueuses est l'une des rares mesures préconisées par la Ciivise qui est en passe d'aboutir. Le gouvernement a aussi lancé mi-septembre une campagne de communication contre l'inceste. 

Pour les victimes d'inceste, dont franceinfo avait recueilli le témoignage, la Ciivise a représenté un espace de parole salvateur. Son travail devait prendre à la fin le 31 décembre, au grand dam des acteurs de terrains, d'élus et de personnalités, qui ont multiplié les appels depuis cet été en faveur d'une prolongation de son existence. Pendant un temps, l'exécutif a entretenu le flou sur le devenir de cette commission avant de promettre, mi-novembre, son maintien, avec une nouvelle feuille de route.

2 Quelles seront ses nouvelles missions ?

Pour le gouvernement, le rapport de la Ciivise a marqué "le terme d'une première étape essentielle, qui a permis de lever le voile sur l'ampleur des violences sexuelles imposées aux enfants, en particulier l'inceste". Il doit "ouvrir la voie à de nouvelles actions concrètes" pour "encore plus protéger les enfants" et "mieux prendre en charge" les victimes de violences.

Désormais, la Ciivise se penchera également sur la prise en charge des mineurs victimes de prostitution ou de pédocriminalité en ligne, la prise en charge des auteurs de violences sexuelles sur mineurs et la formation des professionnels au contact des enfants "aux gestes les plus protecteurs", détaille un communiqué du gouvernement. 

Pour Anne Clerc, déléguée générale de l'association Face à l'inceste, interrogée par l'AFP, "on ne peut que saluer le maintien" de la commission. Toutefois, "il faut voir ce qui sera accompli, nous serons attentifs à la mise en œuvre des préconisations". Elle estime qu'il faudrait par ailleurs mettre en place une "évaluation des politiques publiques" en matière de lutte contre les violences faites aux enfants.

3 Qui présidera la commission ?

Le juge Edouard Durand avait pris la tête de la commission lors de sa création, aux côtés de la responsable associative Nathalie Mathieu. Le gouvernement a décidé d'écarter le magistrat, pourtant plébiscité par les associations, qui appréciaient notamment son indépendance et son franc-parler. Son aura médiatique et sa mise en cause répétée des dysfonctionnements du traitement judiciaire des violences sexuelles agaçaient, selon des observateurs. 

La Ciivise sera désormais présidée par Sébastien Boueilh, ex-rugbyman et fondateur de l'association Colosse aux pieds d'argile, qui lutte contre les violences sexuelles dans le milieu sportif. "Je m'engage à assurer une continuité et à entrer dans une phase opérationnelle", a-t-il assuré. Originaire des Landes, Sébastien Bouheil, interprété par Eric Cantona dans un téléfilm sorti en mai dernier, avait révélé avoir été violé par le mari de sa cousine pendant son adolescence. Selon nos informations, le choix s'est porté sur son profil pour participer à libérer la parole des petits garçons et de ceux devenus grands, entre 20 et 30% des victimes de violences sexuelles étant de sexe masculin.   

Il mènera cette mission aux côtés d'une vice-présidente, Caroline Rey-Salmon, pédiatre et experte judiciaire auprès de la cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation. Une double casquette qui a attiré l'attention du secrétariat d'Etat à l'enfance.    

4 Comment réagit le juge Edouard Durand à son éviction ?

Edouard Durand a fait part de sa déception sur le réseau social X, lundi : "Il ne suffit pas de dire que la Ciivise est maintenue, car la Ciivise, c'est avant tout la reconnaissance de la parole des victimes de violences sexuelles dans leur enfance par une instance publique". Or, selon le juge, "la nouvelle organisation" de la commission "ne donne aucune garantie" que ce soit le cas.

"Il ne suffit pas de dire que [la Ciivise] est maintenue. Car ce n'est pas une question de feuille de route, c'est d'abord une question de doctrine, une politique publique du soutien social : 'je te crois-je te protège'."

Le juge Edouard Durand

sur X

Interrogé sur franceinfo, mardi matin, Edouard Durand explique que son éviction n'a pas, pour autant, été "une surprise". Il s'interroge sur ce qui gêne avec cette commission : "Les préconisations ? La parole des victimes ? Le messager ?" L'ancien juge des enfants du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) regrette qu'au "moment où la Ciivise restituait" aux pouvoirs publics les "30 000 témoignages" recueillis par ses services, à la mi-octobre, aucun membre de l'exécutif n'avait daigné faire le déplacement. Le magistrat fustige ainsi la "communication du gouvernement" qui, selon lui, n'a "pas un seul mot à l'égard" des victimes qui ont témoigné. Pour Edouard Durand, cela peut s'apparenter à "un acte de déni".   

5 Que répond le gouvernement ?

"Si le gouvernement a fait le choix de maintenir la Ciivise, c'est pour continuer le travail qui a été mené", fait valoir auprès de franceinfo l'entourage de la secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance, Charlotte Caubel, assurant que les missions de la commission se poursuivraient "à budget constant". La précedente équipe disposait d'une enveloppe annuelle de jusqu'à "2 millions d'euros", qui n'était pas intégralement dépensée. 

Quant au maintien des réunions publiques, "c'est au nouveau binôme de savoir comment il souhaite travailler, s'il souhaite les renouveler", souligne cette même source.

"On est très contents du travail mené pendant trois ans. Mais il fallait un nouvel élan, un nouveau souffle pour capitaliser sur cette première pierre et en poser une deuxième."

L'entourage de Charlotte Caubel

à franceinfo

"L'objectif est d'aller plus loin", garantit-on encore au secrétariat d'Etat. S'agissant du non-renouvellement du juge Edouard Durand à la tête de la commission, "c'est la vie de toute institution", balaie-t-on, insistant sur l'importance de "la logique d'équipe" pour poursuivre les travaux de la Ciivise.


Si vous êtes un enfant en danger, si vous êtes une personne témoin ou soupçonnant des violences sexuelles faites à un enfant ou si vous souhaitez demander conseil, il existe un numéro national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger : le 119, ouvert 24h/24 et 7j/7. L'appel est gratuit et le numéro n'est pas visible sur les factures de téléphone. Il est aussi possible d'envoyer un message écrit au 119 via le formulaire à remplir en ligne ou d'entrer en relation via un tchat en ligne : allo119.gouv.fr. Pour les personnes sourdes et malentendantes, un dispositif spécifique est disponible sur le site allo119.gouv.fr.

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