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Féminicide de Mérignac : une longue suite de défaillances pointée dans le rapport de la mission d'inspection

Remis au gouvernement mercredi soir, ce document, en plus de lister des recommandations, recense les erreurs qui ont conduit à la mort de Chahinez.

Article rédigé par Catherine Fournier, Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des fleurs en hommage à Chahinez, 31 ans, à l'endroit où elle a été tuée par son mari à Mérignac (Gironde), le 7 mai 2021. (STEPHANE DUPRAT / HANS LUCAS / AFP)

Une longue suite de défaillances de tous les acteurs du dossier. C'est ce que dénonce le rapport d'inspection remis à Matignon, mercredi 10 juin, un peu plus d'un mois après le féminicide de Chahinez à Mérignac (Gironde). Cette mère de trois enfants, âgée de 31 ans, est morte après avoir été blessée par balles puis immolée par le feu par son mari violent et récidiviste le 4 mai 2021.

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Ce drame a suscité une vague d'indignations. Matignon a annoncé six nouvelles mesures pour renforcer la protection des victimes de violences conjugales. Le gouvernement a également demandé à la mission d'inspection si certains faits n'étaient pas susceptibles d'être sanctionnés disciplinairement. Voici ce qu'il faut retenir de ce document accablant.

Un mauvais suivi du dossier en détention

Un peu moins d'un an avant le drame, le 23 juin 2020, Mounir Boutaa est condamné par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour "violences conjugales" sur sa femme Chahinez. Il écope de 18 mois de prison, dont neuf mois avec sursis. Lors de son incarcération, de multiples faits ne sont pas portés à la connaissance du juge d'application des peines (JAP) en charge du dossier. Alors qu'il a interdiction d'entrer en contact avec la victime, Mounir Boutaa lui écrit une lettre depuis la prison et lui téléphone jusqu'à 15 fois dans une même journée, entre le 26 juillet et le 5 aôut 2020. Il la menace de venir à son domicile dès qu'il sera sorti.

Chahinez porte plainte le 7 août au commissariat de Bordeaux. Deux mois plus tard, le 2 octobre 2020, Mounir Boutaa est convoqué au centre pénitentiaire de Gradignan afin de s'expliquer sur ses prises de contact avec son épouse. Il répond qu'il n'était pas au courant de cette interdiction de lui parler. Malgré le retrait de sa plainte par Chahinez le lendemain, la police doit informer le parquet de cette procédure pour non-respect d'obligation de la mesure d'éloignement. Elle ne le fait que le 10 décembre. Le parquet classe sans suite, sans aviser le référent chargé des violences conjugales au sein de la juridiction ni le juge d'application des peines de Mounir Boutaa. Entre temps, ce dernier a bénéficié d'une mesure de placement extérieur, moins de quatre mois après son incarcération, avant d'être libéré le 9 décembre.

Ce que préconise le rapport : "examiner la dangerosité" de l'auteur des violences "avant tout aménagement de peine". Pour cela, les auteurs proposent de "modifier la loi afin que tout aménagement de peine soit précédé d'une expertise psychiatrique ou médico-pyschologique".

Plusieurs ratés après sa sortie de prison

En décembre, Mounir Boutaa est donc remis en liberté sous certaines conditions : il est tenu à une obligation de soins, a interdiction d'entrer en contact avec sa femme, doit se rendre à un rendez-vous mensuel chez son conseiller pénitentiaire. Ni son ex-femme ni son avocate ne sont informées de sa sortie de prison. Mounir Boutaa se rend bien aux convocations de son conseiller pénitentiaire mais ne respecte pas l'interdiction de voir son épouse. A la mi-mars, celle-ci porte à plainte contre lui au commissariat de Mérignac après une nouvelle agression violente. Il l'a forcée à monter dans son fourgon pendant deux heures, comme en attestent les caméras de surveillance du parking du magasin Carrefour. Il l'a étranglée, giflée et lui a donné deux coups de poing au visage avant qu'elle ne parvienne à s'échapper.

Problème, la plainte n'est pas transmise au parquet. Dans le courriel envoyé par le policier, figurent seulement la grille d'évaluation du danger et la fiche d'évaluation des victimes (EVVI). Et ces documents sont mal remplis et partiellement illisibles. La relance du greffe reste lettre morte. Chahinez informe le commissariat que son mari s'est de nouveau présenté devant son domicile et au magasin Carrefour le 17 mars et qu'il lui a laissée plusieurs messages sur son répondeur. Le lendemain, un avis de recherche est lancé pour pour l'interpeller. L'homme se présente pourtant deux fois aux convocations du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) sans être inquiété, le 26 mars et le 14 avril, alors qu'elle le sait recherché. En cause, selon les auteurs du rapport, un malentendu lors d'un échange téléphonique. L'officier de police judiciaire ne demande pas les prochaines dates de convocation de l'intéressé et le Spip ne les communique pas spontanément.

La mission pointe un autre raté au sein de la chaîne judiciaire : lorsque le Spip avise le juge d'application des peines qu'une nouvelle plainte vise Mounir Boutaa. et qu'il est recherché par la police, le JAP conseille d'attendre la suite donnée à la plainte par le parquet. Plainte que le parquet n'a en réalité jamais reçue...

Ce que préconise le rapport : informer la victime "à tous les stades de la procédure pénale" et "renforcer et sécuriser la communication entre les services compétents" afin qu'ils puissent prendre des "décisions rapides". Il propose aussi de "fusionner la grille d'évaluation du danger et la grille d'évaluation personnalisée des victimes" et "de partager systématiquement les informations entre les Spip et les forces de sécurité intérieure".

Un oubli lors d'un comité de pilotage

Le 18 mars, se tient un comité de pilotage pour attribuer les portables d'alerte du dispositif Téléphone grave danger aux femmes victimes de violences conjugales dans le secteur. Y participent le parquet, le coordonnateur des JAP, le Spip, la police, la gendarmerie et deux associations agréées d'aide aux victimes. Deux tableaux sont examinés, l'un répertoriant les victimes bénéficiant d'un téléphone et l'autre siglant les victimes à surveiller. Le cas de Chahinez est évoqué et le Spip signale sa plainte, qui ne figure dans aucun des deux tableaux. La major de police présente à la réunion, pourtant responsable du pôle psycho-social de l'aide aux victimes, n'en a pas connaissance. "Regrettable", déplorent les auteurs du rapport. Le lendemain, l'information est confirmée et le nom de Chahinez est rajouté dans le tableau des situations à surveiller. Sans qu'aucune décision ne soit prise. Sa situation n'est pas actualisée dans le tableau de suivi envoyé par l'association Victaid à tous les participants du comité de pilotage le 30 avril.

Ce que préconise le rapport : attribuer à la victime un Téléphone grave danger "avant la libération de l'auteur des violences" et transformer le comité de pilotage en "une véritable instance opérationnelle". Il recommande aussi que les référents violence conjugale de chaque administration "soient systématiquement informés de toutes les procédures de violences conjugales en cours". De son côté, le gouvernement a annoncé la mise à disposition de 3 000 de ces portables d'alerte d'ici à début 2022. On en compte 1 324 actuellement actifs sur "plus de 1 800 disponibles".

Un incident au commissariat resté sans suite

Le 29 mars, Mounir Boutaa se présente à l'accueil du commissariat de Mérignac. Très énervé, il se plaint de ne pas pouvoir rencontrer ses enfants. Pour "faire cesser le trouble", l'agent chargé du recueil des plaintes l'invite simplement à quitter les lieux. C'est ce même agent qui avait pourtant enregistré la plainte de Chahinez mi-mars. N'ayant pas vérifié son identité, il ignore que l'homme en face de lui n'est autre que son mari. "La connexion du logiciel d'accueil du commissariat au logiciel de gestion des fiches de recherche locales aurait permis d'identifier formellement et d'interpeller Mounir B.", regrette la mission d'inspection.

Ce que préconise le rapport : veiller à ce que les futurs fichiers des auteurs de violences conjugales "soient accessibles et partagés par tous les services compétents" et s'assurer que les fonctionnaires de police chargés du traitement des violences conjugales aient les "compétences suffisantes". Il propose aussi la mise en place d'une "unité de protection de la famille" dans tous les commissariats.

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