: Témoignages Cinq Français atteints d'une maladie incurable se livrent sur la fin de vie : "La volonté des patients doit être respectée"
Ils ont entre 36 et 73 ans, vivent dans cinq départements différents et ne se connaissent pas. Bertrand, Cédric, Loïc, Sylviane et Sylvie partagent pourtant un destin commun : ils vivent avec une maladie neurodégénérative incurable. Alzheimer, Parkinson, maladies de Charcot ou de Huntington, autant de pathologies qui affectent le système nerveux central et qui privent petit à petit les malades de leurs capacités cognitives ou musculaires. Depuis plusieurs décennies, le nombre de Français touchés est en forte augmentation. Ils sont actuellement plus d'un million à être atteints par une maladie neurodégénérative, selon Santé publique France.
Ces malades sont légion, mais qui les écoute vraiment dans le débat public ? "Les patients doivent être entendus", a plaidé, en juillet, le collectif France assos santé, principal porte-voix des usagers du système de santé, lors de la présentation d'un rapport sur la fin de vie. En septembre 2022, l'exécutif a initié un processus consultatif en vue d'un meilleur accompagnement des patients jusqu'à la mort. De nombreux points de vue ont été exprimés, par des soignants, des politiques ou encore des Français tirés au sort au sein d'une convention citoyenne. Trop souvent, les malades, premiers concernés, se sont sentis oubliés, ignorés.
En décembre, le gouvernement présentera son projet de loi sur la fin de vie, qui sera examiné au Parlement en 2024. Le texte doit notamment ouvrir l'accès à une aide active à mourir, qui pourrait prendre la forme d'un suicide assisté ou d'une euthanasie. Ce nouveau droit pourrait concerner, entre autres, des patients atteints de maladies neurodégénératives, pour lesquels le cadre légal actuel est parfois jugé insuffisant. Qu'en pensent ces malades ? Franceinfo est allé à la rencontre de cinq d'entre eux, désireux d'être entendus. Un autre patient, Maxime Fouquet, 36 ans, aurait souhaité prendre part à ce projet. Ce père de deux jeunes enfants a succombé à la maladie de Charcot, en juillet, avant d'avoir pu nous accueillir. Certains malades n'ont pas le temps d'attendre. Tant qu'ils le peuvent, d'autres s'expriment. Le thème de la fin de vie sera aussi au cœur d'une soirée spéciale sur France 2, mercredi 11 octobre, dès 21h10, avec un téléfilm, un débat et un documentaire.
"Si c'est trop dur, je veux pouvoir dire stop"
Loïc Résibois, 46 ans, administrateur territorial en invalidité, Amiens (Somme), atteint de la maladie de Charcot. Pour moi, tout commence avec des tremblements à la main gauche. Deux ans plus tard, en 2020, le verdict tombe : j'ai une sclérose latérale amyotrophique (SLA), la maladie de Charcot, qui conduit à une paralysie progressive de l'ensemble des muscles du corps. L'espérance de vie au diagnostic est de trois ou quatre ans en moyenne et, à la fin, on ne peut plus respirer. Il existe des traitements expérimentaux, qui visent à ralentir la maladie, mais ils ne sont accessibles en France qu'aux patients ayant été diagnostiqués moins de 18 mois après les premiers symptômes. C'est une vraie injustice que d'être privé d'une telle source d'espoir.
Depuis mon diagnostic, mon état s'est dégradé. Je peux à peine marcher, j'ai besoin d'aide pour sortir des toilettes et j'ai du mal à tousser ou à éternuer.
"Ma femme a beau être végétarienne, je ne veux pas devenir un légume, ni un poids pour mes proches."
Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcotà franceinfo
Au moment où j'aurai décidé que ça ne vaudra plus le coup, je veux pouvoir partir dignement. Au début, je m'étais dit que je m'arrêterais le jour où je ne pourrais plus marcher. Et là, après avoir acheté un déambulateur, j'en suis en quête d'un fauteuil roulant ! Plus ça va, plus je me sens capable de supporter certaines choses. La maladie se révèle être un incroyable exhausteur de goût. Chaque petit plaisir prend une saveur folle. Mais si c'est trop dur, je veux pouvoir dire stop, et je veux pouvoir le faire en France.
Dans la future loi, il faut que la volonté des patients soit respectée, y compris s'ils ne sont plus en état de faire le geste eux-mêmes. Mes parents ont des copains médecins qui ne sont pas favorables à l'aide active à mourir. Ils disent vouloir sauver des vies et pas donner la mort. Mais il s'agit justement de permettre aux gens de bien terminer leur vie, de sauver leur fin de vie.
"Il n'y a pas de déchéance tant qu'il y a de la vie"
Bertrand Bonnefond, 64 ans, ouvrier forestier à la retraite, Saint-Romain-en-Gal (Rhône), atteint de la maladie de Charcot. Quand j'ai été diagnostiqué, en 1991, le neurologue a dressé à mes proches un tableau très sombre de ma maladie. Il parlait de déchéance physique et d'espérance de vie très limitée. Plus de 30 ans plus tard, je vis toujours. J'ai même la chance de m'être marié.
Bien sûr, j'ai vécu tous les deuils physiques que connaissent les malades de la SLA. Je suis devenu totalement dépendant, nourri par sonde gastrique, avec un besoin d'assistance 24h/24. Ces deuils, je les vis encore, car la maladie continue d'évoluer. Je m'y suis résigné, parfois avec colère. Mais, pour moi, il n'y a pas de déchéance tant qu'il y a de la vie.
Peu à peu, j'ai perdu mes facultés respiratoires, d'où une angoisse de mourir étouffé. Pour continuer à vivre, il m'a fallu subir une trachéotomie, qui me permet de respirer avec un tuyau raccordé à une machine. Beaucoup de médecins sont réticents à la trachéotomie, qu'ils voient comme une déchéance, un acharnement thérapeutique ou un fardeau pour les proches. Pour moi, c'était une évidence, un choix de vie. Vivre avec une machine, c'est vivre.
"Je n'autorise personne à juger ma vie, qu'elle lui paraisse digne ou non."
Bertrand Bonnefond, atteint de la maladie de Charcotà franceinfo
M'est-il arrivé de vouloir en finir ? Jamais. Je ne juge pas les malades qui le font, mais je suis scandalisé de voir que des personnes choisissent le suicide assisté ou l'euthanasie par crainte de devenir des boulets pour leur entourage. Cela dénote notre incapacité à accompagner la vie des personnes dépendantes. Voilà de quoi le gouvernement devrait vraiment se préoccuper. En légalisant l'aide active à mourir, il risque surtout de pousser des gens vers la mort par défaut d'accompagnement de qualité. Je m'y oppose, car il y a trop de risques de dérives.
"Avec Alzheimer, je ne pourrai pas réitérer ma demande d'euthanasie"
Sylvie Andrez, 53 ans, aide-soignante en invalidité, Héricourt (Haute-Saône), atteinte de la maladie d'Alzheimer. Dès que j'ai été diagnostiquée, il y a quatre ans, j'ai rédigé mes directives anticipées, pour qu'on puisse connaître mes volontés quand je ne pourrai plus les exprimer. J'y ai inscrit mon souhait, si cela devient légal en France, de bénéficier d'une euthanasie. Je voudrais le faire à partir du moment où je ne pourrai plus manger, me déplacer seule ou reconnaître mes proches. Mais la difficulté avec Alzheimer, c'est que je ne pourrai pas réitérer ma demande quand la maladie sera trop avancée. J'aimerais donc que les écrits soient pris en compte dans la future loi.
Mon mari a signé mes directives anticipées, comme mon fils. La discussion avec eux a été assez simple. Je trouve normal de parler de la fin de vie. Ce n'est pas parce qu'on parle de la mort qu'on va en mourir. Pourtant, au début, peu de mes proches me parlaient de ma maladie. J'ai lancé une page Facebook pour les interpeller et pour partager mon quotidien. J'essaye d'y montrer le côté positif de ma maladie et de toutes les choses que je peux encore faire à un stade précoce.
Le diagnostic a été dur à encaisser, mais je me suis reprise. "Tu ne vas pas te laisser aller", comme je le disais à mes patients. Je fais beaucoup d'activités, du scrabble, de la boxe, du ping-pong... Je participe aussi à des ateliers avec d'autres patients jeunes. Mais je sais comment je vais finir. Quand ce sera trop compliqué pour mon mari, j'aimerais être placée en Ehpad. Je ne veux pas qu'il subisse ma maladie. Ça aussi, je l'ai écrit dans mes directives anticipées. Pourvu qu'elles soient respectées.
"J'aimerais finir mes jours en France, pas en Belgique"
Cédric Maritano, 36 ans, concessionnaire automobile en invalidité, Montbonnot-Saint-Martin (Isère), atteint de la maladie de Huntington. Avec cette maladie, j'ai 0% de chance de m'en sortir. Je vais mourir. Je le sais depuis que j'ai 18 ans, quand un test a révélé que j'étais porteur de la mutation génétique qui m'a pris mon père. Je me suis retrouvé avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, alors j'ai décidé de vivre à fond. J'ai beaucoup bossé pour m'offrir une vie de rêve : des soirées, des belles voitures, des grands voyages avec ma femme... Nous avons ensuite eu un fils, qui a 10 ans aujourd'hui. A 30 ans, j'avais réalisé tous mes rêves.
Puis les symptômes sont apparus. J'ai des problèmes d'écriture et surtout de mémoire, qui m'ont obligé à arrêter de travailler. Parfois, j'ai des sautes d'humeur, je m'énerve pour rien et je risque d'être violent. Mon fils sait que c'est la maladie qui prend le contrôle sur moi. Petit à petit, ma tête ne tournera plus rond, je vais tituber et je n'arriverai plus à déglutir. Je l'ai vu sur mon père : les dernières années sont terribles. A la fin, il pesait 32 kilos. Je ne veux pas que mon fils voie ça. Je mettrai fin à mes jours avant.
"Je veux que mon fils garde une image de moi debout."
Cédric Maritano, atteint de la maladie de Huntingtonà franceinfo
Il y a deux ans, j'ai annoncé à mon fils que ma maladie ne se guérissait pas et que j'allais devoir partir. Il a pleuré, moi aussi, ça a été un des pires moments de ma vie. Il avait peur que je meure tout de suite, alors je l'ai rassuré et je lui ai promis qu'on allait profiter de chaque moment ensemble comme si c'était le dernier.
Quand viendra le moment de m'en aller, j'aimerais une euthanasie ou un suicide assisté. Au début, je pensais sauter d'un pont, ce qui aurait été horrible pour mes proches. Mais j'ai découvert qu'en Belgique, avec une simple injection, on part quand on le souhaite, entouré de ses proches, sans stress. J'imagine un moment joyeux, libérateur. Il ne faut pas que je tarde trop, pour être encore lucide et pouvoir dire "oui, c'est ma décision". Je me donne trois ou quatre ans. D'ici là, un traitement permettra peut-être de ralentir la maladie. Et j'espère que la France aura suivi l'exemple de la Belgique, car j'aimerais finir mes jours dans mon pays.
"Je ne vois pas l'intérêt de vivre bloquée"
Sylviane Cuisse, 73 ans, gardienne d'immeuble à la retraite, Herblay-sur-Seine (Val-d'Oise), atteinte de la maladie de Parkinson. Ma mort ou ma maladie, j'y pense quand je suis toute seule. On n'en parle pas en famille. J'habite chez ma fille et mon gendre, mais les enfants leur prennent beaucoup d'énergie. C'est une vie speed. Ma fille a toujours du ménage à faire, des repas à préparer, un baptême à organiser... Elle n'a jamais le temps. Parfois, j'ai l'impression d'être transparente. Je crois que le sujet est tabou. Ma psy a écrit à ma fille pour lui proposer de venir avec moi en consultation. Elle n'a jamais voulu. Elle est fermée. Et moi, je n'aime pas demander.
Avec Parkinson, je me suis déjà retrouvée complètement bloquée, incapable de bouger, obligée d'attendre de l'aide. C'est terrible. J'en pleurais. Si c'est pour me retrouver tout le temps bloquée, je ne vois pas l'intérêt. Ce n'est pas une vie. Je préférerais qu'on m'endorme et ne plus me réveiller. Ce serait bien qu'on puisse avoir ça en France. Mon frère est mort de Parkinson et je sais qu'il a souffert. Je ne voudrais pas vivre ça.
Heureusement, on m'a installé une pompe intestinale, qui diffuse un traitement et que je porte à la ceinture toute la journée. Cela m'a changé la vie. J'ai moins de douleurs et surtout moins de blocages, même si mon corps reste penché – j'ai ce qu'on appelle le "syndrome de la tour de Pise". Mon moral est meilleur, je profite de mes petits-enfants. Et quand ça ne va pas, je fais du coloriage et j'oublie le reste. Pour l'instant, je ne demande pas à mourir.
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