Inceste et violences sexuelles faites aux enfants : "Il est temps que la société y fasse face", témoigne Laurent Boyet, membre de la Ciivise
Pour le membre de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, le rapport qui sera dévoilé en 2023 sera un "tsunami" pour la société.
"Il faut s'attendre vraiment au pire. Et il est temps que la société y fasse face", a affirmé mercredi 17 novembre sur franceinfo Laurent Boyet, victime et membre de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), alors que la Ciivise a recensé 6 200 témoignages d'adultes victimes de violences sexuelles ou d’inceste lorsqu'ils étaient enfants, depuis le lancement de l'appel à témoignages le 21 septembre. "Quand on va rendre notre rapport au début de l'année 2023, c'est un tsunami qui va débarquer sur la société", alerte Laurent Boyet. Il estime que la Ciivise "est attendue". "On est porteur d'espoir. Il ne faudrait pas décevoir."
franceinfo : Est-ce que vous êtes surpris par l'ampleur des témoignages que vous avez reçus ?
Laurent Boyet : Non, je ne suis pas surpris parce qu'effectivement, on s'attendait à cette vague. On passe notre temps à dire qu'il y a 165 000 enfants qui seraient victimes tous les ans de violences sexuelles, notamment dans leur famille. Donc on n'est pas véritablement surpris. On est heureux de pouvoir les mettre sur la table pour dire que finalement, quand on va rendre notre rapport au début de l'année 2023, c'est un tsunami qui va débarquer sur la société. Il faut qu'elle s'y prépare. Ce premier chiffre nous montre à quel point il faut s'attendre vraiment au pire. Et il est temps que la société y fasse face.
Avec votre travail, est-ce que vous voulez donner une réalité aux situations d'inceste ?
Oui, donner une réalité. Et puis, pour une fois, c'est donner la parole à ces victimes. Pour elles, c'est vraiment un pas immense. Souvent, elles le disent quand elles sont auditionnées, c'est un pas pour elles, une victoire d'être entendues par une commission indépendante. On peut avoir le tournis face à ces chiffres-là, mais il faut vraiment qu'on les assimile. Et c'est le but de notre travail : faire en sorte que la société se prépare à ce que l'on va dévoiler dans quelques mois.
Qu'est-ce qui vous a marqué dans ces témoignages ?
Ces histoires sont différentes, mais finalement, elles se rejoignent. C'est toujours la même chose, ces histoires d'enfants qui sont victimes, qui, parce que leurs agresseurs, qui sont dans leur famille, leur demandent de garder le silence, gardent le silence. Parce qu'un enfant croit son frère, croit son père, croit son oncle. Et puis, ce sont des années et des années de silence, de honte, de culpabilité. Cette peur de sauter dans le vide quand on libère sa parole, c'est comme si on se jetait dans le vide, cette peur d'avoir une chute sans fin. Les histoires sont différentes, mais elles se retrouvent toutes.
Ces victimes pensaient que se taire était la meilleure solution ?
Oui, parce que c'est confortable, le silence. On ne se rend pas compte quand on est dans ce silence qu'en fait il finit par nous asphyxier et qu'il finira par nous tuer si on ne s'en sort pas. On croit que c'est plus facile de rester dans le silence. Pour autant, et c'est ce que je veux dire à chaque fois : la seule façon pour une victime de sortir, c'est de libérer sa parole. Oui, ça fait peur. Oui, ça peut faire mal.
Est-ce que votre expérience personnelle vous aide à recueillir ces témoignages ou à comprendre cette situation ?
Elle nous aide à se mettre à la place. Parce que c'est ça qui est toujours compliqué pour les victimes, c'est de se mettre à la place, de comprendre. Souvent, on nous dit, 'mais pourquoi tu as gardé le silence autant d'années ?' Cela paraît impossible de garder silence quand on est victime de faits aussi graves. Et face à ses victimes, avoir soi-même vécu ça, cela permet de comprendre et d'être encore plus à leur écoute et de mieux comprendre aussi parfois leur silence. Le but pour nous, c'est à la fois que ces témoignages servent aux victimes qui viennent nous les délivrer, mais servent aussi à nos travaux pour faire les meilleures propositions. C'est important. On est attendu, on le ressent tous, on reçoit des messages. On est porteur d'espoir. Il ne faudrait pas décevoir.
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