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Une étude sur les différences entre "Caucasiens" et "Africains" a-t-elle été présentée à des étudiants à Paris ?

Ces travaux de recherche ne portent pas sur des sujets "caucasiens" ou "africains", mais étudient leurs réactions à des figures classées selon ces deux critères. Reste que les deux termes, utilisés surtout aux Etats-Unis, sont problématiques en France.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des étudiants dans l'amphithéâtre d'une université de Paris, le 14 mars 2018. (MAXPPP)

Pour leur rentrée, les étudiants de l'université Paris-Descartes se destinant à l'enseignement ont eu droit à un surprenant exposé inaugural, signalé par une internaute, mercredi 4 septembre. Celle-ci a publié sur Twitter la photo de l'une des diapositives projetées à des élèves de Master de l'Inspé, l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, de l'académie de Paris, qui forme les futurs professeurs.

Le graphique présenté est censé montrer "comment le groupe d'appartenance influe (...) sur notre capacité à prendre la perspective d'autrui au cours du développement". Il distingue trois âges : les "enfants", les "adolescents" et les "adultes". Mais surtout, il fait la différence entre deux groupes : les "Caucasiens" et les "Africains". Une catégorisation jugée choquante et raciste par de nombreux utilisateurs du réseau social.

Cette "diapo" a été "sortie de son contexte", se défend sur Twitter l'université Paris-Descartes, face à la controverse. Le document, explique-t-elle, "présente une étude qui montre que les stéréotypes sociaux implicites ont la vie dure". Surtout, fait-elle valoir, ce travail de recherche "insiste au contraire sur l'importance de l'éducation à la tolérance, un sujet majeur pour les futurs enseignants".

Cette recherche "concerne plus précisément la difficulté des élèves à 'se mettre à la place de l'autre'", argumente l'université. Et d'assurer que "ce n'est en aucun cas une comparaison des performances cognitives en fonction de l'origine ethnique, comme cela a pu être interprété".

Un graphique qui a été mal interprété

Cette étude est menée par le Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant (LaPsyDé), avec lequel collabore l'université Paris-Descartes. Dans un tweet, celui-ci prend également la défense des travaux de ses chercheurs : "Cette terminologie est celle utilisée dans les articles scientifiques en anglais de notre domaine." Mais il reconnaît tout de même qu'ils n'auraient "pas dû l'utiliser dans le cadre d'une conférence grand public".

Contactée par franceinfo, Ania Aïte, maître de conférences en psychologie du développement à l'Institut de psychologie de l'université Paris-Descartes, qui a présenté cette étude, déplore, elle aussi, la mauvaise interprétation de ces travaux. Et elle fait part de son incompréhension face à la violence des attaques sur Twitter, alors que, selon elle, sa présentation n'a soulevé "aucune réaction" d'interrogation ou d'indignation sur le moment. Quant à l'emploi des termes "Caucasiens" et "Africains", la chercheuse objecte que "les catégories ne renvoient pas aux participants mais aux avatars présentés pendant l'expérience"

Voici donc comment il faut lire le graphique présenté : les sujets enfants de l'étude ont eu un peu plus de mal à se mettre dans la peau d'un avatar "caucasien" qu'"africain", les sujets adolescents et adultes ont eu à l'inverse bien plus de difficultés à se placer dans la perspective d'un avatar "africain" que "caucasien", selon les termes employés. "Il existe bien des stéréotypes sociaux qui ont gêné leur capacité à se mettre à la place de l'autre", en conclut Ania Aïte.

On essaye de mieux cerner les mécanismes qui peuvent interférer avec la capacité à se mettre à la place d'autrui. Ces recherches vont nous permettre de mieux identifier les solutions pour trouver des outils éducatifs afin de réduire ces discriminations.

Ania Aïte

à franceinfo

"C'est un projet inspiré de travaux qui montrent l'existence de biais cognitifs dans le traitement des visages d'individus appartenant à une autre ethnie", relate l'universitaire. Et de préciser : "On est moins bon pour reconnaître des visages qui n'appartiennent pas à notre ethnie, c'est une réalité. Il existe toute une littérature." "Sur la base de ces études autour de la reconnaissance faciale, on a adapté ça : 'Comment on se met à la place des autres ?'", poursuit la chercheuse.

Une terminologie qui reste polémique

"C'était une erreur manifeste d'utiliser ces termes'", tance Patrick Simon, sociologue et démographe à l'Institut national d'études démographiques (Ined). "'Caucasiens' et 'Africains' sont des euphémismes de 'Blancs' et 'Noirs'. Il s'agit là d'une entreprise de racialisation, ce qui est singulièrement régressif, mais apparemment dans l'air du temps", déplore l'anthropologue Jean-Pierre Dozon, vice-président de la Fondation Maison des sciences de l'homme (FMSH).

"De la part d'un organisme officiel, c'est une dérive assez inquiétante de laisser passer ça", abonde l'anthropologue et ethnologue Jean-Loup Amselle, directeur d'études émérite à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). "Ce terme 'Caucasien', qu'on n'employait pas jusqu'à présent en France, est plutôt 'états-unien'. Cela renvoie aux classifications raciales opérées dans l'Amérique de la ségrégation."

Si le terme 'caucasien' est surtout utilisé dans des études médicales ou en psychologie clinique aux Etats-Unis, en France, cela évoque les mesures raciales du XIXe siècle et c'est clairement connoté comme raciste.

Patrick Simon

à franceinfo

"Mes collègues chercheuses ont visiblement tellement l'habitude de lire des textes américains qui emploient ces catégories qu'elles ne se rendent plus compte du problème", lâche Patrick Simon. "On ne peut pas utiliser impunément les concepts et les catégories qui ne franchissent pas la barrière linguistique. Il y a des différences de sens en fonction des pays qui réduisent la circulation internationale de certaines catégories ou concepts. Les réceptions sociales sont différenciées."

Le débat est aussi politique, pointe le sociologue et démographe de l'Ined : "On pense souvent en France que le racisme commence dans les catégories qu'on utilise. Je pense que ce n'est pas nécessairement le cas. Le racisme est dans ce qu'on en fait. Si certaines catégories qui décrivent l'origine ou la couleur de peau sont racistes dans leur terminologie, beaucoup d'autres ne le sont pas. Elles sont au contraire nécessaires pour nommer les personnes ou groupes exposées au racisme. Il y a une forme d'antiracisme en France qui considère que l'usage de ces catégories est intrinsèquement raciste et cela limite la connaissance et l'action contre le racisme." Et de conclure :

La diapo n'est pas très explicite dans son contenu. J'espère que les personnes qui ont assisté à la présentation ont mieux compris, sinon c'est raté.

Patrick Simon

à franceinfo

Si la chercheuse du Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant assure que l'étude se garde d'opérer une classification raciale de ses sujets, le sociologue et démographe François Héran, professeur au Collège de France, rappelle que "sur le continent européen, et notamment en France, le traitement de données personnelles ethno-raciales est interdit".

"Seules sont autorisées par dérogation, moyennant un contrôle strict de la Cnil, les catégories d'origine faisant référence aux pays de naissance ou aux anciennes nationalités des personnes interrogées et de leurs parents (souvent appelées 'catégories ethniques' en Europe, différentes des catégories 'raciales')", souligne François Héran. Le sociologue et démographe ajoute : "En France, seule la police a été autorisée par la Cnil et le Conseil d'Etat à utiliser des 'types raciaux' (blanc, asiatique, rom, maghrébin...) à des fins de 'signalement' des auteurs d'infraction et à les conserver dans le fichier Stic (système de traitement des infractions constatées)."

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