Une chaire consacrée au Coran pour "parler de son histoire, que certains veulent effacer"
Le Coran, peu étudié dans l'hexagone, s'invite au Collège de France.
Recevoir un enseignement universitaire exclusivement consacré à l'histoire du Coran est désormais possible en France. François Déroche, l'un des plus grands spécialistes mondiaux des manuscrits coraniques, donne désormais des cours au Collège de France, dans le cadre de la chaire dont il est titulaire, "Histoire du Coran. Texte et transmission". Son premier cours a eu lieu mardi 7 avril, mais, pas de panique, il sera bientôt disponible en ligne.
La nomination de François Déroche est un peu un soulagement pour ses collègues. Un "grand encouragement", même, lâche Pierre Lory, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études et titulaire de la chaire de mystique musulmane. En France, l'étude académique de l'islam en général, et du Coran en particulier, peine à s'imposer, faute de spécialistes. Au moment de créer cette chaire en 2014, le Collège de France pense déjà à François Déroche pour l'occuper. "Pour créer une chaire, il ne suffit pas que son sujet soit important, il faut aussi qu'il existe un candidat idéal pour l'occuper, explique à Francetv info Serge Haroche, administrateur de l'institution et prix Nobel de physique 2012. Dans le cas présent, le nom de François Déroche, spécialiste mondialement reconnu des études coraniques, s'est imposé à l'Assemblée des professeurs."
Peu de spécialistes français
Hors du Collège, les (rares) spécialistes confirment. Pour Pascal Buresi, directeur de l'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman, directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'EHESS, il y a "très peu de spécialistes ayant une chaire à l'université à part Mohammad Ali Amir-Moezzi à l'EPHE [Ecole pratique des hautes études] ou François Déroche". Encore lui. "Je peux citer au moins une dizaine d'islamologues avec qui je corresponds en Allemagne, poursuit-il. En France, seulement trois."
Or, il est urgent de diffuser une connaissance critique des écrits religieux, pour permettre d'"éviter les débordements fondamentalistes", acquiesce Thomas Römer, spécialiste de la Bible et titulaire de la chaire "Milieux bibliques" du Collège, créée en 2008, dont celle sur le Coran est désormais le pendant. Le fait que Serge Haroche souligne d'emblée, sans que l'on ait posé la question, que la création de la chaire "n'avait rien à voir avec les événements de janvier" (les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l'hypermarché casher) montre que le monde de la recherche a douloureusement conscience de cette nécessité.
En France, le Coran souffre d'un certain déficit d'attention, tant en comparaison d'autres pays européens qui lui consacrent davantage de moyens financiers et humains, qu'en comparaison des études de la Bible. Dans le premier cas, c'est l'Allemagne qui fait figure d'exemple, selon tous nos interlocuteurs. Difficile de quantifier cette avance allemande, en l'absence de données chiffrées concernant les publications ou les financements en la matière. L'exemple de Pascal Buresi, qui connaît davantage de spécialistes allemands que français, est néanmoins évocateur. Il enfonce d'ailleurs le clou : "Le projet Corpus Coranicum, qui vise à recenser l'intégralité des manuscrits coraniques, est porté par l'université de Berlin et financé à 100% par les Allemands, même si François Déroche y participe."
Moins qu'au Royaume-Uni, moins que la Bible
En revanche, il est possible de comparer le nombre de thèses consacrées au Coran publiées en France et au Royaume-Uni. De ce côté de la Manche, seules 46 thèses publiées à ce jour (depuis 1985) ont un titre qui mentionne "Coran", d'après le moteur de recherche conçu à cet effet par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, theses.fr. Côté britannique, le total s'élève à 79 thèses recensées par un moteur de recherche similaire. Soit presque deux fois plus, alors que les musulmans britanniques sont presque deux fois moins nombreux que les Français (2,7 millions contre 4,7 millions, selon les estimations du Pew Research Center en 2010).
Le texte sacré de l'islam pèse également moins lourd en France que celui du christianisme. Le mot "Bible" est en effet présent dans les mots-clés de 234 thèses contre 67 pour le Coran, toujours selon theses.fr. "La tradition historique et critique de la Bible est plus ancienne, justifie Thomas Römer. L'islam n'a pas encore tout à fait apprivoisé cette approche. Mais les sciences bibliques ont commencé de la même façon [que Déroche, qui rassemble et analyse les manuscrits coraniques pour déterminer la façon dont a évolué le Coran au fil des siècles], en cherchant à découvrir quel était le texte initial."
"Une connaissance indispensable à la compréhension"
Une attention accrue au Coran au niveau universitaire pourrait pourtant s'avérer salutaire. "Il est d'autant plus essentiel de parler de son histoire que certains veulent l'effacer", insiste Serge Haroche, consterné par la destruction de vestiges pré-islamiques par les jihadistes de l'Etat islamique en Irak. Soucieux de rassurer les musulmans, qui pourraient avoir "l'impression qu'on détruit des convictions", Thomas Römer explique : "On cherche seulement à comprendre comment les textes se sont enracinés dans l'histoire, comprendre le contexte dans lequel ils ont été écrits."
Pierre Lory observe ainsi que "le Coran est un texte très ambigu" et que "la connaissance du contexte historique est indispensable à la compréhension de certains passages". Il conclut par un exemple : "Lorsque le prophète s'est trouvé opposé à des polythéistes, à La Mecque, entre 613 et 622, le discours coranique était plutôt favorable aux juifs, monothéistes dans la lignée d'Abraham. Mais une fois installé à Médine (à partir de 622), lorsqu'il entreprend de créer un Etat, il se trouve en compétition avec les tribus juives locales. Là, il prend ses distances avec eux et les versets sont plus agressifs. On peut souvent trouver ainsi des séries de versets de sens opposés dans le Coran."
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