Programmes scolaires : qu'en pensent les historiens ?
Un forum d'historiens organisé mercredi à la Sorbonne a mis en lumière les désaccords qui subsistent quant aux nouveaux programmes d'histoire. Francetv info y était.
A quoi ressembleront les programmes d'histoire au collège à la rentrée 2016 ? La question continue de faire couler beaucoup d'encre. Le projet publié en avril par le Conseil supérieur des programmes (CSP) a déchaîné les passions et les critiques. Alors que la phase de consultation se poursuit (avant une nouvelle mouture en septembre), le CSP a réuni, mercredi 3 juin à la Sorbonne, un forum d'historiens pour discuter de ces fameux programmes, auquel s'est rendu francetv info.
Une occasion pour la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, de déminer la polémique. Les débats ont montré que de nombreux points de désaccords subsistaient, parfois de manière "irréconciliable", selon la formule de l'historien Pierre Nora.
"Roman national" ou prise en compte des diversités ?
D'un côté, il y a ceux pour qui l'histoire de France doit être enseignée "comme une fierté", de l'autre, ceux qui souhaiteraient enseigner une discipline "déterminée par le poids de l'histoire coloniale et de l'histoire mondiale". Deux camps presque "antagonistes", remarque Pierre Nora, qui s'était montré critique, le mois dernier dans une interview au JDD, sur les nouveaux programmes proposés.
Ce qu'en disent les pro-réforme. Pour Laurence de Cock, professeur d'histoire-géographie à Nanterre et membre du collectif Aggiornamento, la sociologie des élèves, "qui ne sont pas les mêmes qu'il y a cinquante ans", doit être prise en compte dans les programmes. Ainsi défend-elle l'intitulé, très critiqué, du thème prévu en début de classe de quatrième : "Un monde dominé par l'Europe : empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières". Pour elle, "l'histoire coloniale a toujours été dans les programmes". Mais, si elle servait jadis l'orgueil national, il faut désormais reconnaître que "certains peuples en ont dominé d'autres".
Ce qu'en disent les opposants. Au contraire, Pierre Nora considère que les conquêtes coloniales n'ont pas été menées dans un but de domination du monde ("Elle en a été la conséquence"), mais "pour rivaliser avec l'Angleterre". Patrice Gueniffey, directeur du centre de recherches politiques Raymond Aron, résume sa pensée d'une formule : "L'histoire, ce ne sont pas les gentils contre les méchants." "Histoire et mémoire, ce n'est pas la même chose", abonde Colette Beaune, spécialiste du Moyen Age. "L'histoire n'est pas faite pour trouver des coupables."
Dans son intervention liminaire, Najat Vallaud-Belkacem a tenté de rassurer les historiens sur ce point : "Rendre hommage est un devoir civique et un élément de cohésion sociale et nationale liés à la mémoire. Faire et enseigner de l’histoire relève d’un autre impératif : celui de l'explication."
Programme rigide ou latitude laissée aux enseignants ?
Principale critique formulée par les opposants aux nouveaux programmes : la présence d'enseignements obligatoires et d'autres, facultatifs. Avec ce raccourci maintes fois entendu : "l'islam obligatoire en 5e, la chrétienté facultative". La réalité est bien différente, puisque les débuts du christianisme (comme ceux du judaïsme) sont étudiés dès la 6e. Et que l'enseignement facultatif en question, "Une société rurale encadrée par l'Eglise", fait partie d'un thème plus large qui doit, lui, être obligatoirement abordé : "Société, Eglise et pouvoir politique dans l'Occident chrétien : XIe‐XVe siècles".
Ce qu'en disent les pro-réforme. Lors du forum de mercredi à la Sorbonne, cette possibilité donnée aux professeurs d'aborder certains sujets plutôt que d'autres à l'intérieur d'un même thème a tout de même été discutée. "C'est la première fois qu'on nous laisse cette liberté, en fonction de nos élèves, mais aussi en fonction de nos spécialités", se réjouit Olivier Quinet, enseignant dans un collège de Dordogne. "Il faut que l'on nous fasse davantage confiance : comment imaginer qu'on fasse le Moyen Age sans parler de l'Eglise ?"
Ce qu'en disent les opposants. Un avis que ne partage pas forcément Jean-Rémi Girard, vice-président national du syndicat Snalc : "Un programme ne peut pas dire 'On fait confiance aux enseignants', auquel cas il n'est pas nécessaire d'en faire un !"
Cette présentation en enseignements obligatoires et facultatifs pourrait toutefois être revue, de l'aveu même du président du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault, qui reconnaît que la première mouture du projet comporte "des formulations trop allusives". Le principe du choix laissé aux enseignants pourrait être maintenu, mais sous une forme qui prêterait moins le flanc à la polémique.
Une histoire faite pour "panser", ou pour "penser" ?
Chacun partage l'idée selon laquelle l'histoire est une clé indispensable pour comprendre le monde qui nous entoure. Mais son enseignement doit-il prendre en compte les aspirations de telle ou telle communauté à davantage de reconnaissance ?
Ce qu'en disent les pro-réforme. Professeur d'histoire à l'université de Cergy-Pontoise, Patrick Garcia observe qu'il existe dans la société une demande de "panser". "Il serait terrible que l'école l'ignore", déclare-t-il.
Ce qu'en disent les opposants. L'intitulé du thème sur la première guerre mondiale est ainsi rédigé : "La première guerre mondiale et les violences de guerre (inclus le génocide des Arméniens)". Colette Beaune se dit gênée par ce coup de projecteur obligatoire sur le génocide arménien. "Les élèves, qui ne sauront rien sur l'Empire turc, tout ce qu'ils retiendront de cette civilisation brillante, c'est qu'ils ont massacré des chrétiens. On ne peut pas voir les choses d'un seul côté", critique-t-elle. "Bien sûr qu'il faut enseigner les mémoires, mais il faut aussi les dépasser, car nous avons un avenir commun", plaide pour sa part Pierre Nora.
Reste à savoir si le déchaînement politico-médiatique qu'ont provoqué ces nouveaux programmes était réellement justifié. "Il est présomptueux de croire qu'un programme scolaire peut déterminer le comportement citoyen futur des élèves", estime Laurence de Cock. Pour Pierre Nora, fasciné par "l'extraordinaire écho" du débat sur l'histoire dans la société, ces programmes "ne méritent ni cet honneur ni cette indignité". Selon lui, la vigueur des débats "signale une crise d'identité très profonde" en France.
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