: Reportage "Tous les ans, la rentrée est un petit miracle" : on a passé une journée avec un proviseur confronté au "casse-tête" des emplois du temps
Avec la dernière réforme du bac, l'élaboration des emplois du temps devient encore plus complexe pour les chefs d'établissements. Franceinfo s'est rendu dans un lycée de Clermont-Ferrand pour comprendre le long et difficile exercice que doit résoudre l'équipe de direction.
Dans un silence religieux, les élèves de terminale planchent sur leur sujet de philosophie, dans l'un des bâtiments du lycée Ambroise-Brugière, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). A quelques mètres de là, en cette matinée du mercredi 15 juin, le proviseur Richard Commeau et son équipe de direction, installés depuis plusieurs mois dans des préfabriqués en attendant la livraison de nouveaux bâtiments, travaillent, eux, sur les emplois du temps de la rentrée.
"Tous les ans, la rentrée est un petit miracle", confie Richard Commeau. Pourtant aguerri à l'exercice depuis une quinzaine de rentrées, le proviseur reconnaît que l'élaboration des programmes "se complexifie d'année en année" avec la réforme du baccalauréat dont le grand oral prend fin le 1er juillet. Et plus encore avec l'annonce, faite par Emmanuel Macron début juin, du retour des mathématiques en option dès septembre. Le SNPDEN, syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale dont Richard Commeau est l'un des secrétaires académiques, appelait à cette réintroduction. "Mais nous demandions une année pour la mettre en œuvre", précise le proviseur auvergnat. Résultat : il ne reste plus que quelques semaines aux chefs d'établissements pour réajuster des emplois du temps quasi coulés dans le marbre depuis de nombreux mois.
L'option maths, une "bombe" sur l'emploi du temps
A l'ombre des stores tirés, Richard Commeau est loin d'en avoir fini avec ses emplois du temps. La décision de réintroduire les mathématiques a eu "l'effet d'une bombe" pour lui et ses deux proviseures adjointes, Ghislaine Mege et Carine Batifol : "Depuis on s'arrache les cheveux !"
"Nous n'avons pas eu le temps d'informer correctement les familles sur cette option et les conseils de classe étaient déjà passés pour relever les choix des élèves."
Richard Commeau, proviseur à Clermont-Ferrandà franceinfo
Dans ces conditions, difficile de savoir précisément combien d'élèves de première vont prendre cette option à la rentrée. Pas facile non plus de caser un créneau horaire où tous ces élèves seront disponibles, avec un professeur qui, en plus, aura eu peu de temps de préparation. Car à la mi-juin "le programme n'est toujours pas sorti", fait remarquer le chef d'établissement.
Pour certains élèves, qui suivent un cursus sportif ou artistique de haut niveau, entre les entraînements et les cours, "il n'y a pas ne serait-ce qu'une demi-heure de battement dans leur emploi du temps, souligne le proviseur. C'est impossible d'y ajouter cette option."
Une valse à trois temps
Cette annonce gouvernementale de dernière minute est venue fragiliser tout l'édifice construit, comme chaque année, depuis des mois. Dès le mois de novembre, l'équipe de direction s'attelle à l'élaboration de l'offre de formation avec le rectorat pour définir le nombre de classes par niveau et le volume d'heures à dispenser. "Et plus le lycée est gros, comme le nôtre, plus le casse-tête est grand", explique le proviseur.
"A ce moment-là, il est encore difficile de savoir les choix qu'effectueront les élèves de seconde pour l'année suivante et quelle spécialité abandonneront les premières."
Richard Commeauà franceinfo
Dans ce lycée clermontois, l'un des plus grands de la région et le plus complexe en termes d'options et de spécialités, ce sont 1 361 élèves des filières générale, technologique, BTS et classes préparatoires qui sont attendus à la rentrée et à qui il faudra dispenser 1 783,5 heures de cours par semaine. "Nous n'avons pas le droit de dépasser d'une minute ce chiffre, précise le proviseur. Et la grande majorité de ces heures sont fléchées vers les différentes matières du tronc commun et des spécialités."
L'unique "variable d'ajustement" se trouve dans les "heures d'autonomie", calculées en fonction du nombre de classes par niveau, soit 12 heures pour les secondes et huit heures pour les premières et terminales. "Ces heures vont nous permettre de 'financer' des options comme la langue des signes ou le français pour étrangers, qu'il faudra aussi intégrer dans les emplois du temps."
Le deuxième temps fort se déroule entre janvier et février, où les besoins en ressources humaines sont identifiés et l'offre des enseignements de spécialité (EDS), affinée. "La réforme du bac a généré de profondes modifications dans le volume horaire des professeurs. Certains passent de 45 élèves en première à 15 en terminale", souligne le proviseur. Alors "c'est un peu la foire d'empoigne, avec parfois des engueulades entre professeurs et des négociations pour prendre tel ou tel niveau".
De la "dentelle"
A la mi-juin, les professeurs font état de leurs doléances en matière de planning. S'ensuit une dernière négociation avec le rectorat sur le nombre de postes alloués. Mais il faut attendre début juillet pour connaître les réponses aux demandes de mutations, les éventuelles créations de postes ou suppressions de classes. "Parfois il faut tout refaire en fonction des réponses du rectorat", anticipe le directeur, croisant les doigts pour que ses demandes soient validées.
Malgré l'aide de modélisations mathématiques qui moulinent les données, l'arrivée des spécialités a compliqué la fabrication des emplois du temps. "Avant, nous pouvions presque coller l'emploi du temps d'une année sur l'autre", avoue le proviseur.
Mais aujourd'hui, il est devenu difficile de prévoir les bifurcations vers un autre cursus, un autre lycée ou encore les abandons de spécialité. Impossible également d'établir une classe par spécialité. Les élèves n'ont plus que quelques heures de cours en commun : le français (jusqu'en première), la philosophie, l'histoire-géographie et le sport. "Sur le fond, c'est chouette, mais techniquement, cette individualisation des cours, c'est un vrai casse-tête", déplore le chef d'établissement.
"C'est fini, la photocopie de l'emploi du temps de la classe qu'on distribuait à tous les élèves en début d'année. Aujourd'hui, c'est quasiment un emploi du temps à la carte, par élève."
Ghislaine Mege, proviseure adjointeà franceinfo
Le proviseur et ses deux adjointes doivent "faire dans la dentelle" pour éviter au maximum les trous dans l'emploi du temps des élèves. Car il s'agit du "premier acte pédagogique de l'année, qui va conditionner l'année entière", assure Carine Batifol. Bien que le lycée soit ouvert du lundi au vendredi de 8 heures à 18 heures, il est hors de question de "faire terminer les secondes à 18 heures tous les soirs", explique-t-elle. Ou de mettre d'affilée une heure de philo, une heure de maths puis deux heures de physique à des terminales, ou encore de positionner les cours d'art et de sport le mercredi matin : "Vous êtes sûr de ne voir personne !"
"Pour certains profs, c'est l'enjeu de l'année"
En septembre, les emplois du temps seront balayés d'un regard par les élèves et scrutés par les professeurs, car il va "colorer leur année", selon le proviseur. Terminer le vendredi à midi ou donner des cours le mercredi après-midi n'a pas la même saveur. Frédérique, qui enseigne l'anglais aux secondes générales, aux élèves du bac technologique STMG (sciences et technologies du management et de la gestion) et aux BTS, reconnaît qu'il vaut mieux avoir cours le matin – "les élèves sont plus disponibles" –, et éviter que ses élèves aient neuf heures de cours dans la journée, "car c'est contre-productif pour eux".
En pleine période de négociations avant leur départ en congés le 7 juillet, les quelque 120 professeurs du lycée clermontois bataillent pour avoir un "bon" emploi du temps. "Pour certains, c'est l'enjeu de l'année", souligne Christelle, qui enseigne la physique en 1re.
"Un mauvais emploi du temps peut jouer sur la qualité de vie du professeur, par exemple s'il a des enfants en bas âge et qu'il travaille le mercredi ou s'il finit tard tous les soirs."
Christelle, professeure en lycéeà franceinfo
Frédérique, elle, regrette que "la réforme prime sur les contraintes des professeurs" et constate que "cela devient plus difficile d'exprimer des vœux".
Une rentrée sans suffisamment de professeurs ?
Si le lycée Ambroise-Brugière est, pour l'instant, épargné par des problèmes d'effectifs, Richard Commeau n'exclut pas le risque d'une rentrée sans le nombre d'enseignants suffisant. "Parfois, ce n'est pas avant la fin août, voire après la rentrée, que nous avons les arrivées des contractuels ou des professeurs stagiaires", souligne le directeur.
Lors de sa première déclaration, le 14 juin, le nouveau ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, s'est engagé à ce qu'il y ait "un professeur devant chaque classe", quitte à faire appel à des professeurs contractuels. Problème : impossible de confier à ces derniers des cours de spécialité, insiste Richard Commeau, car ce sont des enseignements "complexes" et il y a toujours le risque que ces professeurs "partent du jour au lendemain si leur emploi du temps ne leur convient pas", selon le proviseur.
Dans quelques semaines, l'équipe de direction partira en congés avec une version "base de survie" des emplois du temps qui devra permettre l'accueil de tous les élèves à la rentrée. D'ici là, Richard Commeau s'attend à recevoir quelques coups de fil du rectorat ou de professeurs mécontents. Une fois la rentrée passée, les emplois du temps seront affinés durant trois semaines avant d'être définitivement figés. Il anticipe, encore : "Nous aurons alors un mois pour souffler avant de commencer les emplois du temps de l'année suivante..."
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