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"Je ne sais pas où je serai dans trois mois" : l'angoisse des étudiants recalés à l'entrée du master

Pour la première fois cet été, les universités sont autorisées à sélectionner les étudiants à l’entrée du master 1. Mais cette réforme suscite l'incompréhension de nombreux recalés.

Article rédigé par franceinfo - Laura Welfringer
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Publié
Temps de lecture : 7min
Des étudiants retrouvent les bancs de l'amphithéâtre à l'IUT de Bourges (Cher), le 5 septembre 2016 (image d'illustration).  (STEPHANIE PARA)

"J'ai hâte de savoir où je vais être." A quelques semaines de la rentrée universitaire, Ninon a bien du mal à se projeter dans l'avenir. "J'ai postulé dans une dizaine de masters partout en France, en psychologie clinique et psychopathologie, et je n'ai eu que des refus", soupire-t-elle. De mémoire, elle déroule pour franceinfo la liste des filières qui lui ont fermé leurs portes : "Deux masters à Paris-Descartes, un master à Nancy, deux à Grenoble, un à Bordeaux, un à Toulouse, un à Montpellier et un autre à Nîmes." La jeune femme de 23 ans fait partie des étudiants laissés sur le carreau par la réforme du master, qui entre en vigueur pour cette rentrée universitaire : pour la première fois, les universités ont le droit de sélectionner à l'entrée en master 1.

Les vacances universitaires avaient pourtant bien commencé pour elle. "En mai", Ninon obtient une licence de psychologie, "du premier coup, sans les rattrapages, et avec mention 'assez bien' au deuxième semestre". Son sésame en poche, cette "passionnée" de psychologie décide de poursuivre sa formation en master. "Je savais qu'il allait y avoir une sélection cette année, mais cela ne me posait aucun problème à la base", explique-t-elle. Sauf que l'étudiante déchante face aux refus qui s'accumulent, parfois sans justification, parfois pour des motifs "très divers" : "niveau académique insuffisant", "niveau académique insuffisant par rapport à d'autres candidats", master "complet"… "Qu'est-ce qu'ils veulent, en fait ?" s'interroge-t-elle.

Une réforme nécessaire, mais mal préparée

"Autrefois, on avait une sélection de fait entre le master 1 et le master 2, se rappelle Jimmy Losfeld, président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). Ce n'était pas acceptable." Désormais, les "étudiants qui ont validé la première année" en master auront désormais "droit" à "l'accès en deuxième année". La réforme était donc "nécessaire" selon lui, mais "l'état d'esprit actuel des étudiants, c'est de l'incompréhension, en raison d'un manque total de communication". "Par principe, trois filières devraient sortir de la loi master le temps de l'adapter à leurs situations spécifiques : droit, psychologie et MEEF [métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation], juge Abdoulaye Diarra, vice-président de l'Unef.

Dans ces filières "sous tension", les rares établissements qui n'ont pas instauré de barrière à l'entrée ont subi "un effet d'engorgement", explique Jimmy Losfeld. C'est ainsi que l'UFR de psychologie de l'université Toulouse-Jean-Jaurès a dû refuser un grand nombre de candidatures, relate Le Monde (article abonnés). Fâchée d'en avoir fait les frais, Ninon estime que les établissements ont manqué d'organisation. "Il aurait peut-être fallu une régulation un peu plus forte sur ce point et dans ces disciplines [la psychologie et le droit]", reconnaît Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), dans Le Monde. D'après lui, dans les autres filières, "la mise en place [de la sélection à l'entrée en master 1] s'est faite naturellement".

Quinze jours pour déposer un recours

"Le problème n'est même plus un problème de sélection, mais d'orientation", estime Wendy, étudiante en langues étrangères appliquées (LEA). La jeune femme de 21 ans, qui ignore encore si elle a validé sa licence, a été recalée à l'entrée de plusieurs masters qui ne correspondaient pas exactement à sa filière initiale, "à cause de [ses] résultats faibles" ou "parce que [son] parcours n'était pas cohérent, apparemment". "Je ne sais pas où je serai dans trois mois", confie-t-elle à franceinfo. Kevin est lui aussi "pris au dépourvu". Etudiant en psycho-criminologie et victimologie, il est entré en master 1 par l'ancien système, mais n'a pas validé son année et craint de ne pas pouvoir retenter sa chance à la rentrée : il est pour l'instant cinquième sur la liste d'attente de son master.

J'ai l'impression d'être un étudiant sacrifié.

Kevin, étudiant en psycho-criminologie

à franceinfo

En cas de refus, les étudiants ont quinze jours pour saisir leur rectorat via le site trouvermonmaster.gouv.fr et obtenir "au moins trois propositions d'admission" en master 1. Un délai jugé "bien trop court" par Jimmy Losfeld. "Plein d'étudiants ont déjà largement dépassé ce délai, observe-t-il. Et beaucoup ne sont pas au courant de cette possibilité." "Au 24 juillet, 1 016 dossiers (...) ont été déposés", sur près de 130 000 diplômés de licence chaque année, indiquait récemment le ministère de l'Enseignement supérieur, cité par France Bleu. Un nombre "modeste et gérable", jugeait Gilles Roussel début août dans Le Monde : "Nous devrions être en mesure de trouver des solutions pour ces jeunes, même s'il faut attendre septembre pour réaliser un bilan complet." Au cœur de l'été, difficile de savoir combien de réponses ont été apportées à ces étudiants. Contactés par franceinfo, le service presse du ministère et la CPU n'ont pas répondu à nos sollicitations.

Des plans de secours, au cas où

L'heure est donc à l'attente pour les recalés. Ninon a par exemple envoyé son recours "il y a deux semaines". "Puis j'ai appris que le rectorat était fermé jusqu'à la mi-août", relate-t-elle. Comme elle, Sandra, 21 ans, titulaire d'une licence de psychologie à Nancy avec plus de 13/20 de moyenne, a formulé un recours après avoir été recalée à l'entrée de "deux masters en neuro-psychologie, l'un à Strasbourg, l'autre à Chambéry", en raison de ses notes ou d'un manque de place. Dans sa filière, beaucoup tentent de s'informer d'éventuels désistements sur les réseaux sociaux. Sans nouvelles depuis "début juillet", la jeune femme laisse exploser sa colère.

Sortir d'une licence, y avoir investi du temps et de l'argent, pour finalement se prendre une grande claque parce qu'on n'a pas de master, ça fait mal.

Sandra, étudiante en psychologie

à franceinfo

Depuis le début de l'été, Ninon, elle, est "passée par toutes les phases : incompréhension, colère, tristesse, décrit-elle. Et maintenant, je ne peux rien faire. J'attends de savoir à quelle sauce je vais être mangée." Dans le doute, la jeune femme a élaboré des plans B. Si aucune proposition du rectorat ne lui convient, elle fera "peut-être un service civique et un petit travail à côté, pour gagner un peu d'argent". "Je n'envisage pas d'arrêter mes études, mais peut-être de les mettre en pause, explique Sandra. J'ai trouvé une école américaine qui me permettrait d'étudier à distance, mais ça coûte cher, évidemment. Sinon, des missions de service civique près de chez moi pourraient m'intéresser." Des "plans de secours", faute de mieux.

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