Faut-il abandonner le stylo à l'école ?
A partir de 2016, les écoliers finlandais n'écriront plus à la main, mais uniquement sur des claviers d'ordinateur. Faut-il abandonner nos stylos, ou est-ce une menace pour l'apprentissage des enfants ? Francetv info pèse le pour et le contre.
L'écriture à la main sera-t-elle un jour étudiée comme une pratique obsolète, ancestrale et curieuse par nos descendants ? Certains pays constatent aujourd'hui que l'écriture manuscrite est de moins en moins utilisée, au profit du clavier informatique. C'est le cas de la Finlande. A partir de 2016, les écoliers finlandais vont donc abandonner leurs cahiers d'écriture et leurs stylos. "Des aptitudes pour taper de manière fluide sur un clavier sont une priorité nationale", explique l'Office national de l'éducation finlandais.
Aux Etats-Unis, l'écriture cursive à l'école a disparu du "programme commun" de 45 des 50 Etats en faveur de la maîtrise du clavier d’ordinateur, expliquait en 2013 Libération. Faut-il abandonner nos stylos et l’enseignement de l’écriture manuscrite ? Francetv info pèse le pour et le contre.
Non, c'est mauvais pour la mémoire
Certains chercheurs s'alarment d'une éventuelle disparition de l'écriture à la main. Non par nostalgie ou goût de la calligraphie, mais parce qu'elle joue un rôle dans la construction de notre mémoire. "Le fait de tracer sereinement des lettres et des mots permet à mon esprit de les porter. Ce qui n'est pas le cas avec des machines ou des tablettes", note Alain Bentolila, professeur de linguistique à l'université Paris Descartes, interrogé par Le Figaro. "La mémoire se construit grâce à l'écriture manuelle et non avec un écran", ajoute-t-il.
Jean-Luc Velay, chercheur en neurosciences cognitives au CNRS, a mené une expérience auprès d'enfants scolarisés en maternelle. Certains ont écrit au stylo, d'autres avec un clavier d'ordinateur. "Quand on apprend à écrire une lettre à la main, on fait un mouvement particulier, spécifique à chaque lettre, décrit-il auprès de France Inter. Cela crée dans notre cerveau une mémoire motrice, qui est réutilisée quand on doit identifier visuellement les lettres. Quand on apprend les lettres au clavier, on ne crée pas cette mémoire motrice." Et la mémoire n'est pas seule à être stimulée par l'écriture manuscrite. Pour Laura Dinehart, pédagogue américaine citée par Libération, maîtriser la calligraphie "semble avoir un effet vraiment sans équivalent sur le développement de l’enfant". Au-delà de l'impact sur la mémoire, la pédagogue évoque la "capacité à s’autoréguler ou à "contrôler ses émotions".
Non, c'est mauvais pour la lecture et pour la liberté
Autre problème posé par un passage du stylo au clavier : l'apprentissage de la lecture. En apprenant à écrire, on apprend aussi à lire. Le linguiste Alain Bentolila estime que "nous apprendrons moins bien à lire si on abandonne l’écriture manuelle" car le tracé des lettres et des mots sur la feuille de papier nous "permet de prendre conscience de la combinaison" de ces mêmes lettres et mots. "L'apprenti-scripteur enregistre le mouvement et les courbes lorsqu'il écrit à la main, ce qui l'aide à différencier, mémoriser les lettres et leurs enchaînements", écrit Christel Helloin, orthophoniste, sur Le Plus. Plus difficile donc de lire sans cet apprentissage lié à l'écriture. Un point de vue nuancé toutefois par d'autres experts qui estiment qu'on ne peut pas déterminer si cela relève ou non de la simple habitude.
Enfin, imaginons un monde où le stylo et le papier ont disparu et où seuls les claviers d'ordinateur, de tablette et de téléphone règnent. Que faire si l'outil est en panne ? Danièle Dumont, docteure en sciences du langage, juge qu'il s'agit là d'une "atteinte à la liberté". Sur RMC, elle explique : "Il suffirait demain de couper le courant pendant trois jours, et si personne ne sait écrire à la main, personne ne peut consigner quoi que ce soit, personne ne peut plus communiquer."
Oui, avec un clavier, on stimule notre cerveau
Dédramatisons : en privilégiant les claviers, nos enfants ne vont pas pour autant perdre en intelligence. En s'adaptant aux évolutions technologiques, notre cerveau montre qu'il sait s'adapter. Contrairement à l'écriture manuelle, qui ne stimule qu'une main, tous nos doigts sont mobilisés par le clavier. "Chaque doigt est dédié à une lettre, ce qui permet de mettre en place des associations visio-motrices sans doute efficaces", explique à L'Express.fr Marieke Longcamp, enseignante-chercheuse à l'université d'Aix-Marseille, spécialiste des neurosciences cognitives. "Peut-être que la façon dont notre cerveau fonctionne va changer pour suivre ses évolutions culturelles majeures ?" imagine la chercheuse.
C'est le point de vue de Roland Jouvent, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière à Paris, interrogé par Europe 1. "La première génération qui est passée de l’encrier à la machine à écrire a dû aussi être confrontée à des difficultés, dit-il. C’est vrai que c’est un changement complet de passer au tout-clavier, mais le cerveau est très plastique, il s’adaptera. D’autres substituts se mettront en place pour organiser les connaissances."
Oui, ça libère les enfants
Qui ne se souvient pas de ces lignes de 'b' et des commentaires des professeurs sur son écriture ? "Pattes de mouche", "trop ronde", "trop inclinée", "pas assez liée"… L'un des avantages majeurs du clavier est de libérer les écoliers qui écrivent mal à la main. Ceux-ci "sont souvent plus mal notés, consciemment ou non, par leurs enseignants", indiquait à Libération Anne Trubek, professeure d’anglais à Oberlin College et spécialiste de l'histoire de l'écriture. En rendant une production écrite sur un ordinateur, l'élève sera jugé sur le fond de son travail et non sur la forme, qui sera standardisée.
En outre, l'enfant qui écrit mal a une "mauvaise estime de soi", écrit le psychologue et psychanalyste Yann Leroux sur son blog Psychologik. Selon lui, le clavier "soulage du fardeau de la belle écriture".
Oui, il faut s'adapter à un monde numérique
"Savoir écrire avec un clavier est une des compétences essentielles de la civilisation des écrans", estime aussi Yann Leroux. Car les enfants grandissent actuellement dans un monde où les technologies numériques ne cessent de se développer. Il convient donc de les former dès le plus jeune âge. "Plus les mondes numériques se développent, plus une grande attention doit être portée aux tout-petits et à leur développement", écrit le psychologue.
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