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Au lycée Paul-Gauguin d'Orléans, "l'affaire de la jupe longue" examinée sous toutes les coutures

Ikram, une lycéenne musulmane, a porté plainte pour harcèlement moral et discrimination, après des remarques sur sa tenue. Devant son établissement scolaire, enseignants et élèves sont divisés face à cette démarche.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à Orléans (Loiret)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Ikram, une lycéenne musulmane qui se dit victime de discrimination pour sa jupe longue, le 5 mai 2015 devant le lycée Paul-Gauguin d'Orléans (Loiret). (  MAXPPP)

En ce jour de rentrée, lundi 11 mai, "tout le monde en parle", devant le lycée professionnel Paul-Gauguin d'Orléans (Loiret). Pendant les vacances, Ikram a porté plainte pour harcèlement moral contre deux membres du personnel de cet établissement scolaire. Cette lycéenne musulmane de 18 ans, en terminale gestion et administration, affirme être victime de remarques et de réprimandes, à cause d'une jupe jugée trop longue. "Tous les jours, ma professeure principale me dit que c'est une tenue religieuse", fustige-t-elle. La jeune fille assure à francetv info avoir été exclue d'un cours pendant une semaine à cause de cela. Son enseignante, elle, ne lui a toutefois pas précisé officiellement la raison de cette sanction.

"Je suis d'accord avec Ikram. Ce n'est pas un signe religieux. Elle n'a pas mis une djellaba…", martèle à l'entrée de l'établissement Sybella, 20 ans. Un avis partagé par Mathilde, 18 ans, comme par une majorité des élèves rencontrées lundi devant les grilles du lycée. "Je serais capable d'en mettre une. D'ailleurs, j'en ai déjà mis une", confie cette jeune fille, qui n'est pas de confession musulmane. D'autres y voient une injustice. "Des filles viennent au lycée habillées comme des salopes, on ne leur dit rien, et pour une jupe longue, on fait une histoire", s'agace une lycéenne de 16 ans, qui pointe du doigt les "gothiques avec leurs longs manteaux noirs", les "jeans troués" et les "personnes habillées en mangas". La jeune lycéenne assure que "plusieurs musulmanes" ont connu le même problème qu'Ikram dans sa classe.

"Si elle avait été blonde aux yeux bleus,
cela n'aurait pas posé problème"

Pour certaines élèves, l'affaire de la jupe cache autre chose. "Je pense qu'il y a un complexe par rapport à l'islam, estime Isa, 19 ans. Si elle s'était appelée Aurélie et qu'elle avait été blonde aux yeux bleus, sa jupe n'aurait pas posé de problème." Noria, une lycéenne en filière service à la personne, qui se présente comme "une musulmane qui aime aider les autres, pas une terroriste", est blessée par cette affaire. "Elle ne porte pas le voile en cours, mais ils [les professeurs] trouvent quand même un moyen de la critiquer. Ils ne nous respectent pas", regrette cette proche d'Ikram.

Son amie Maeva, elle, assure avoir voulu tester cette discrimination lors d'une "journée de la jupe" organisée avant les vacances, en soutien à leurs camarades. "Des filles du lycée non-musulmanes ont mis des jupes longues. Moi, je n'ai pas été virée", raconte la lycéenne de 16 ans. A l'inverse, ses camarades de classe musulmanes ont été exclues, assure-t-elle. Toutefois, si plusieurs élèves ont parlé de cette journée, les professeurs interrogés par francetv info assurent ne pas en avoir souvenir.

"Tout le monde a sa part de responsabilité"

A Paul-Gauguin, tout le monde ne soutient cependant pas Ikram. Clémence, 18 ans, estime que "tout le monde a sa part de responsabilité". "On est dans un lycée laïque, observe-t-elle. Le jour où Ikram se pointera avec sa jupe au bureau et que son patron lui fera une remarque, elle ne lui dira pas merde." Pour elle, sa camarade devrait éviter de mettre sa jupe les deux jours par semaine où le règlement du lycée demande aux élèves de s'habiller en tenue professionnelle. "Le reste du temps, elle fait ce qu'elle veut", estime-t-elle. Interrogée par francetv info, Ikram reconnaît porter sa jupe longue les jours professionnels, mais explique l'accompagner d'un "chemisier et d'une veste de tailleur".

Une autre élève de terminale estime même que la jeune fille "a porté plainte pour rien". Et juge que sa camarade pourrait faire au lycée les efforts qu'elle fait parfois ailleurs. "J'ai travaillé avec elle sur un événement professionnel, elle portait un jean", soutient cette lycéenne.

Un peu plus loin, un autre groupe d'amies, qui préfère ne pas donner de prénoms pour éviter les "représailles", se range du côté de la direction. "On ne connaît pas toutes les circonstances, il y a peut-être eu des propos mal placés. Mais ici, on doit avoir une tenue pro, et cette jupe n'est pas adaptée. C'est pareil pour tout le monde, des 'Françaises' ne sont pas acceptées en cours" en raison de leurs tenues, tranche une première. "On a déjà une réputation de lycée chaud, si en plus on porte plainte pour des conneries..." se désole la deuxième.

"Cela n'a rien à faire dans un lycée"

Devant les grilles du lycée, les professeurs sont moins bavards que leurs élèves. "C'est une affaire compliquée", esquive une enseignante de français et d'histoire-géographie. Ikram n'est pas l'une de ses élèves, mais elle voit régulièrement des jupes longues dans les couloirs. "Selon moi, cela pose un problème parce qu'il y a une connotation religieuse. Ce n'est pas une jupe à fleurs. Donc cela n'a rien à faire dans un lycée", ajoute-t-elle.

Les enseignantes interrogées rejettent toute discrimination par rapport à d'autres tenues. "Quand on voit des élèves en minijupe, on leur dit aussi que ce n’est pas approprié", ajoute l'une de ses collègues. "Mais elles, elles ne portent pas plainte", coupe une troisième.

Contactée, l'administration du lycée se refuse à tout commentaire. Depuis le début de l'affaire, l'inspectrice d'académie adjointe en charge du dossier, Raymonde Rouzic, assure qu'"Ikram n'a jamais été exclue des cours à cause d'une jupe trop longue", mais sanctionnée à cause d'"un manque d'investissement dans son travail". Lundi, elle s'est rendue au lycée pour entendre Ikram et les deux personnes visées par sa plainte. "Il y a une plainte déposée, l'enquête est en cours", se borne à répéter l'inspectrice, avant de conclure : "Je n'ai rien d'autre à ajouter."

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