Crack à Paris : 3 exemples européens de prise en charge des consommateurs de drogues dures dont pourrait s'inspirer la France
En Europe, des pays comme la Suisse, le Danemark et le Portugal ont réussi à juguler les "scènes ouvertes d'injection" qui posent problème dans le nord-est de la capitale française.
Les années passent et le problème semble insoluble. Le nombre de consommateurs de crack, un stupéfiant très addictif dérivé de la cocaïne, dans l'espace public du nord-est parisien, a fortement augmenté ces dernières années. Des centaines de personnes étaient jusqu'à il y a peu réunies aux abords des jardins d'Eole, situés dans le 19e arrondissement, dans un campement insalubre où se côtoyaient consommation à ciel ouvert et vente de drogue. Si le campement a depuis été démantelé, et les usagers envoyés aux abords de la Porte de la Villette par la préfecture de police, le problème de fond n'a pas été résolu.
Professionnels de santé, associations d'aide aux usagers de drogues, riverains... Tous et toutes réclament des solutions pérennes qui ne se sont pour l'instant pas concrétisées, malgré la mise en place d'un plan crack à 9 millions d'euros par la mairie de Paris en 2019. L'ouverture future, décidée avec l'Etat, de salles d'accueil des usagers changera-t-elle la donne ? La façon dont d'autres pays européens ont géré ce problème, et plus largement celui de la consommation de drogues dures comme l'héroïne dans l'espace public, permet d'entrevoir une porte de sortie à cette crise.
La Suisse et ses "salles d'injection à moindre risque"
Nos voisins helvètes n'ont pas connu de crise du crack de l'ampleur de celle qui secoue Paris. Mais le pays a été confronté, dans les années 1980, à une multiplication des "scènes ouvertes d'injection" d'héroïne, c'est-à-dire "des endroits où l'on observe une concomitance de la présence de l'offre et des consommateurs dans des espaces à ciel ouvert", explique à franceinfo Marie Jauffret-Roustide, chercheuse à l'Inserm et spécialiste des politiques de réduction des risques. A l'époque, des situations similaires à celle du jardin d'Eole à Paris se multipliaient, notamment dans des parcs à Berne et à Zurich, où le Platzspitz était tristement surnommé "Needle Park" ("parc aux seringues" en français). Ces "scènes ouvertes" entraînaient une hausse fulgurante de la mortalité des utilisateurs de drogues ainsi qu'une insécurité grandissante pour les riverains.
Les autorités fédérales et locales ont alors décidé d'ouvrir des salles d'injection à moindre risque, aussi connues sous le nom de "salles de shoot", dont la première a été installée en 1986 à Berne. Son principe est le suivant : la consommation de drogues dures y est permise, les usagers sont encadrés par du personnel médical et des seringues propres sont mises à disposition. Le trafic y est interdit, mais la police n'effectue pas de contrôle aux abords des centres. Ces lieux se sont multipliés dans toute la Suisse au cours des années 1990, s'accompagnant d'une politique de prévention des autorités locales et fédérales.
Résultat, le nombre de décès liés à l'usage de drogues dures a chuté en vingt ans, passant de 376 personnes en 1995 à 134 en 2014, selon les chiffres des autorités sanitaires publiés sur le site de l'Etat de Fribourg. Près de trente ans plus tard, les scènes ouvertes ont disparu du paysage suisse. "L'efficacité de ces salles a été scientifiquement démontrée", assure Marie Jauffret-Roustide. Plusieurs pays d'Europe, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, ont depuis mis en place des "salles de consommation à moindre risque", avec à la clef une réduction du nombre de morts par overdoses. La France teste également le dispositif depuis 2016, notamment à Paris avec l'ouverture d'une salle de consommation aux abords de la gare du Nord. Le bilan est positif, mais la capacité de cette salle reste insuffisante.
Le Danemark et sa politique de réhabilitation sociale
Le Danemark, confronté à une hausse de la consommation de crack au début des années 2010, a mis en place une approche sociale de l'usage de la drogue, qui vise la réhabilitation plutôt que la répression. "Le gouvernement danois a choisi de mettre en place une politique plus empathique vis-à-vis des usagers, il y a une vraie volonté de les réinsérer socialement, explique Marie Jauffret-Roustide. Il faut d'ailleurs noter qu'il y a beaucoup moins de contestation qu'en France de la part des riverains, le sujet fait plus consensus avec l'idée de trouver des solutions pragmatiques."
Dans le pays scandinave, des salles de consommation, en place depuis 2012, "disposent d'espaces d'inhalation pour les utilisateurs du crack", souligne Marie Jauffret-Roustide. A ce dispositif s'ajoute la possibilité pour les usagers de consommer "dans des centres d'hébergement". "Cela permet aux usagers de réguler leur consommation, ajoute la chercheuse. On l'a vu pendant la première vague du Covid-19 à Paris, où la mairie a libéré des centaines de places d'hébergement. On consomme davantage lorsque l'on est à la rue pour en supporter la dureté. Etre hébergé permet aussi d'être pris en charge."
Le Portugal et la dépénalisation des drogues dures
Si l'ouverture de salles de consommation à moindre risque est privilégiée en Europe, elle n'est pas la seule voie possible pour les autorités. Confronté à l'installation de plusieurs lieux de consommation d'héroïne à Lisbonne dans les années 1980 et 1990, le Portugal a misé sur la dépénalisation, en 2001, des drogues dures. "Cela veut dire que tout l'argent qui était dépensé dans la répression des usagers est économisé et utilisé dans la prévention et la prise en charge des usagers", souligne Marie Jauffret-Roustide. Ainsi, les consommateurs, lors d'un contrôle avec la police, sont dirigés vers des structures de soins.
C'est un changement de paradigme qu'a mis en branle le Portugal, en considérant l'usage de drogue dure comme "un problème de santé", et non plus de sécurité, comme le note une étude du Centre d'étude norvégien sur l'addiction de l'université d'Oslo. "Cette stratégie a porté ses fruits, le Portugal a désormais le taux de mortalité des usagers de drogues le plus bas d'Europe", ajoute la spécialiste. En vingt ans, le pays a divisé par deux le nombre de personnes consommant de l'héroïne, qui était alors de 100 000 personnes, soit près de 1% de la population.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.