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"Blackface" : pourquoi se déguiser en Noir n’est pas une bonne idée

Le footballeur français Antoine Griezmann a dû s’excuser, dimanche, pour une photo le montrant déguisé en basketteur afro-américaine. Franceinfo vous explique pourquoi cette pratique, que l’on nomme "blackface" aux Etats-Unis, est raciste.

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le comédien américain Al Jolson (G) dans "Le Chanteur de jazz" en 1927. (PHOTO 12 / AFP)

"Je reconnais que c’est maladroit de ma part. Si j’ai blessé certaines personnes je m’en excuse." Antoine Griezmann a tenté d'éteindre la polémique qu'il a déclenchée, dimanche 17 décembre, en postant sur les réseaux sociaux une photo de lui déguisé en basketteur noir américain. De quoi déclencher une tempête médiatique liée à ce blackface. 

Capture d'écran du compte Twitter d'Antoine Griezmann, où il a publié dimanche 19 décembre une phoot de lui déguisé en basketteur noir. (COMPTE TWITTER D'ANTOINE GRIEZMANN)

Si vous n’avez jamais entendu parler de ce terme, vous connaissez peut-être en revanche le célèbre sketch de Michel Leeb, "L’Africain". Très populaire en France au début des années 1980, cet humoriste s’est rendu célèbre par ses imitations très caricaturales. Mais aujourd’hui, Michel Leeb ne fait plus rire personne. Pire, il est aujourd’hui catalogué comme un comique raciste dont les sketchs ont contribué à propager des clichés, comme le souligne la vice-présidente du Parti radical Rama Yade, dans son livre Noirs de France. Peut-être sans le savoir, Michel Leeb pratiquait à l’époque ce que les Américains appellent le blackface. Décryptage d’une tendance qu’on aimerait voir disparaître.

Qu’est-ce que le "blackface" ?

Apparu d’abord au théâtre, le blackface consiste à noircir son visage et ses mains pour caricaturer les gens de couleur. Si le terme est surtout employé aux Etats-Unis, on retrouve trace de cette pratique en Europe dès le XVIe siècle. Ainsi, l’Othello de Shakespeare était systématiquement interprété par un comédien blanc maquillé en noir, comme le rappelle le site Black-Face.com (en anglais). Mais ce n’est qu’au XIXe siècle que le blackface devient un genre à part entière dans des spectacles américains appelés minstrel shows où des acteurs blancs grimés dansent et chantent en se moquant des Noirs. Premier d’une longue série, Thomas Rice, un émigrant anglais, se produit dès 1828 dans le sud des Etats-Unis en interprétant la tristement célèbre chanson Jump Jim Crow, le visage et les mains noircis. Ce personnage de Jim Crow servira par la suite à nommer les lois ségrégationnistes en vigueur dans les Etats du sud du pays.

Parallèlement, la pratique du blackface s'étend dès le début du XXe siècle au cinéma. Dans un des premiers films parlants, Le Chanteur de jazz (1927), l’acteur principal Al Jolson y apparaît déguisé en Noir. Il faudra attendre l'obtention des droits civiques pour les personnes de couleur, en 1964, pour que le blackface soit considéré comme raciste. Sans toutefois disparaître totalement, comme le montre cette longue liste des artistes ayant pratiqué le blackface recensés par Wikipédia.

 Pourquoi ce terme refait-il surface ?

Bien que le blackface dans sa forme originelle ait aujourd’hui disparu, il continue de subsister sous certaines formes, notamment dans l’industrie de la mode. Le magazine français Numéro a ainsi publié dans son édition de mars 2013 une série intitulée African Queen, où une mannequin blanche fardée d'une épaisse couche de fond de teint campe une femme africaine, raconte Rue89. Un nouveau signe du manque de diversité de ce milieu, où 80% des mannequins qui défilent lors de la fashion week de New York sont blanches, comme le rappelle le site Jezebel (en anglais). Plus récemment, la soirée "Disco Africa" organisée à l’occasion d’Halloween par et pour les personnalités du monde de la mode a fait scandale au vu du nombre d’invités déguisés en Noirs, comme le raconte le Huffington Post (en anglais).

Les stylistes italiens Stefano Gabbana (G) et Domenico Dolce (D) posent en compagnie d'un autre invité lors de la soirée "Hallowood Disco Africa" à Milan (Italie), le 26 octobre 2013.  (DR)

Signe des temps, le blackface se pratique aujourd’hui surtout à l’occasion de fêtes costumées. La presse américaine s’est ainsi offusquée du déguisement choisi par Julianne Hough (une gagnante de l’émission américaine "Dancing with the Stars"), qui avait voulu incarner pour Halloween le personnage afro-américain de "Crazy Eyes" dans la série Orange Is The New Black. Le scandale touche aujourd'hui la France après qu'une journaliste beauté du magazine Elle, Jeanne Deroo, a posté sur son compte Instagram une photo d’elle déguisée en Solange Knowles, la sœur de Beyoncé.

Une journaliste de "Elle", Jeanne Deroo, pose déguisée en Solange Knowles sur une photo postée sur son compte Instagram, en novembre 2013. (DR)

Le Tumblr Should I Wear Blackface recense toutes les photos de personnes déguisées en Noirs à l’occasion d’événements festifs.

Existe-t-il un "whiteface" ?

Si la pratique du blackface était historiquement cantonnée à l’imitation des Noirs, il est aujourd'hui également impensable de se grimer en Asiatique, en Indien, etc. Katy Perry en a fait les frais le week-end dernier. Déguisée en geisha, la chanteuse américaine a interprété Unconditionally lors de la cérémonie des American Music Awards. Un choix artistique qui n’a pas manqué de révolter l’opinion publique américaine. Comme le souligne le Wall Street Journal (en anglais), Katy Perry a utilisé un "look faux-riental" pour interpréter une chanson où il est question d'une personne amoureuse de manière inconditionnelle. "Le visage blanc/jaune de Katy Perry est un dur souvenir de ce cliché bien ancré dans notre culture de la personnalité orientale qui se sacrifie", continue le journal.

A l’inverse, il n’existe pas de whiteface car le caractère raciste du geste est à mettre en perspective avec un contexte historique particulier. C'est la domination d'une partie de l'humanité, les Blancs, se moquant de peuples opprimés qui s’exprime lorsqu’une personne pratique le blackface.

Pourquoi cela choque-t-il plus aux Etats-Unis qu’en France?

Les Etats-Unis ont une histoire marquée par la ségrégation et l’esclavage. Aujourd’hui encore, la question raciale est au cœur de nombreux débats. Et se grimer en Noir est un acte aussi raciste qu’agiter un drapeau confédéré, comme le souligne la politicienne Christine Pelosi dans le Huffington Post (en anglais). C’est ce qui explique que les médias américains aient été les premiers choqués par la photo de Jeanne Deroo déguisée en Solange Knowles. Une polémique reprise tardivement par les médias français dont certains, comme Arrêt sur images, s’étonnent. "Nous, Français, n'avons pas le même passé que les Américains. Nous n'avons pas à porter le poids de leur honte, la nôtre nous suffit amplement", se défend le site.

Un avis que conteste la philosophe Laura-Maï Gaveriaux sur Le Plus. Elle rappelle que "lorsqu'une femme se déguise en Noire, ce n’est pas plus raciste que le fait qu’une femme se déguise en homme n'est un acte de misandrie. Mais dans le contexte historique post-ségrégationniste des Etats-Unis, dans le contexte d'une Europe qui fut autrefois un empire colonial, c’est choquant."

C'est aussi le contexte historique qui fait qu'un Européen trouve plus choquant de se déguiser en nazi qu'en Noir. En témoigne l'ampleur du scandale provoqué par le prince Harry en 2005.

La une du tabloïd britannique "The Sun" montrant la photo du prince Harry déguisé en nazi, le 13 janvier 2005. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Est-on raciste lorsque l'on se déguise en Noir ?

Oui, répond Yolande Libene, étudiante et militante antiraciste, sur Le Plus : "Je suis littéralement abasourdie de constater que pour certains, encore aujourd’hui, avoir la peau noire et les cheveux crépus, être une femme noire en somme, est un déguisement." Un avis partagé par de nombreuses personnes sur Twitter.

La journaliste Jeanne Deroo s'est finalement excusée mardi en expliquant n’avoir pas réalisé le caractère choquant de son choix : "Je n’avais pas conscience de la gravité de mon acte quand je me suis rendue, samedi soir dernier, à une fête privée dont le thème était 'Icônes', et où j’ai choisi d’incarner Solange Knowles dont je suis fan. J’ai posté lors de cette soirée un Instagram de moi sans vouloir blesser quiconque. Je suis profondément désolée et je tiens à présenter toutes mes excuses", s'est-elle justifiée.

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