Pénalisation de l'antisionisme : "On met le doigt dans un processus totalitaire" avec un retour du délit d'opinion
Alors que certains députés proposent de pénaliser l'antisionisme au même titre que l'antisémitisme, le journaliste et historien Dominique Vidal évoque le risque que pourrait représenter la création d'un délit d'opinion. Selon lui, l'arsenal juridique français est suffisant.
Avec la proposition de certains députés pour pénaliser l'antisionisme au même titre que l'antisémitisme, après les injures antisémites adressées à Alain Finkielkraut, "on met le doigt dans un processus totalitaire" avec un retour du délit d'opinion, analyse lundi 18 février sur franceinfo le journaliste et historien Dominique Vidal, auteur de Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron.
franceinfo : Pensez-vous que l'antisionisme doive être condamné au même titre que l'antisémitisme ?
Dominique Vidal : Je ne crois pas, je crois que d'un côté il y a un délit, l'antisémitisme comme toutes les formes de racisme, et de l'autre il y a une opinion que l'on peut partager ou qu'on peut critiquer, mais qui n'est qu'une opinion et ça fait partie de la liberté d'opinion en France. L'antisionisme est le fait de critiquer la pensée de Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, pour qui d'une part les juifs ne pouvaient pas s'assimiler, s'intégrer dans les sociétés dans lesquelles ils vivent et donc, secondement, il fallait un État pour que tous puissent s'y rassembler. De toute évidence, l'histoire a montré que ce n'était pas ainsi. D'ailleurs, la majorité des juifs ne vivent pas en Israël, il y en a 6 millions et il y en a 10 millions ailleurs dans le monde. (...) Imaginez, pour être sur la même longueur d'ondes, que les communistes demandent l'interdiction de l'anticommunisme, les gaullistes l'interdiction de l'antigaullisme, les libéraux l'interdiction de l'altermondialisme. On voit bien qu'on met le doigt dans un processus totalitaire. Il y a matière à débat, il y a des gens qui approuvent la politique d'Israël, d'autres qui la récusent, qui la condamnent, c'est tout à fait normal dans un pays comme le nôtre qu'on puisse avoir ce débat et un débat qui porte aussi sur les fondements théoriques de tout cela, c'est-à-dire la pensée du mouvement sioniste.
Alain Finkielkraut a-t-il été visé par une attaque antisémite, selon vous ?
Évidemment que c'est une forme d'antisémitisme, une provocation grossière et ceux qui s'y sont livrés méritent d'être poursuivis par la justice. On ne peut pas faire semblant de camoufler l'antisémitisme derrière des paroles antisionistes. Évidemment qu'il faut les condamner. Nous avons des lois antiracistes, la loi de 1881, la loi de 1972, nous avons aussi un Code pénal, nous avons la loi de 1993 contre le négationnisme. Il y a tout un arsenal qui mérite d'être utilisé, mais c'est surtout dans la bataille d'idées qu'il faut faire reculer ces horreurs. Mais, pour être honnête, qui peut s'étonner que dans la France d'aujourd'hui on entende de telles choses lorsqu'on sait que l'extrême droite a fait 33,3% au second tour de la dernière élection présidentielle.
Y a-t-il un regain de l'antisémitisme en France ?
J'entends les chiffres qui ont été donnés. Je constate que nous avions, en 2015, 800 actes de violence antisémite et que nous en avons 541 en 2018. Par rapport à 2015, c'est une diminution. Par rapport à 2016, où les choses avaient reculé, c'est une augmentation. Il faudrait en savoir plus sur ce chiffre qui a été donné [par le gouvernement] de 74% [de hausse des actes antisémites en 2018] pour pouvoir porter une analyse sérieuse. La seule chose que je voudrais signaler, parce qu'elle me paraît très importante, c'est que depuis plusieurs années, on fait porter aux jeunes issus de l'immigration le poids d'un antisémitisme nouveau qui serait le leur. De toute évidence quand on tague "Juden", juif en allemand, sur la vitrine d'un magasin de bagels, ou bien qu'on dessine une croix gammée sur le visage de Simone Veil, on est vraiment dans le vieil antisémitisme bien français.
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