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A quoi (et à qui) sert le Salon de la femme ?

Francetv info a envoyé une journaliste à la recherche de "La femme" dans les allées du premier "Salon de la femme" qui se tient à Paris ce week-end.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Capture d'écran du site du salon de la femme. (SALON DE LA FEMME)

Sur l'affiche placardée dans ma station de métro, quelqu'un a rajouté au marqueur noir "maquillée et souriante" sous l'inscription "Salon de la femme". Effectivement, les cinq Spice Girls anonymes choisies pour illustrer la première édition de cet événement narguent les usagers : l'une est athlétique, l'autre est blonde comme les blés, une autre s'est apparemment peint le bras au rouleau sans faire exprès, bref, "la femme", même multiple, y apparaît franchement caricaturale. L'affiche "ne reflète pas forcément le salon", s'est défendue l'organisatrice Nawel Rimi, interrogée par L'Express.

N'ayant pas mis les pieds dans un salon depuis celui du goût en 1994 (pour l'anecdote, j'y ai développé une phobie des kiwis et des bananes), et étant moi aussi "une fââââââme", je suis allée vérifier samedi 14 mars... en attendant l'ouverture du salon de la femme "dotée d'une beauté naturelle mais qui fait un peu la tronche".

"Promouvoir un produit qui s'adresse aux femmes"

Il n'y a pas foule quand j'arrive à 11 heures dans ce hall du parc Floral, dans le sud-est de Paris. Le fleuriste du stand Interflora a déjà commencé à donner quelques conseils de "composition florale" et les maquilleuses et coiffeuses du stand "Conseil en image" préparent les mannequins qui défileront en milieu d'après-midi pour les créatrices présentes. Sophie, qui travaille pour cette agence, ne considère pas que son activité soit un vecteur de clichés.

Au contraire. "On n'en fait pas des femmes objets. On les aide à devenir ce qu'elles ont envie d'être, explique-t-elle. Certaines femmes ne peuvent pas se permettre de s'habiller comme elles le souhaitent au travail (elle me lance un petit regard en coin), mais veulent pouvoir rester elles-mêmes." Quand elle installe son stand au Printemps ou au BHV, personne ne vient lui causer sexisme, alors sa présence ici "est pertinente, oui".

L'affiche du salon de la femme, sur la vitre du hall du Parc Floral où se tient le rendez-vous, samedi 14 mars 2015, à Paris. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCETV INFO)

Dans les allées, les exposants discutent feng-shui, lingerie, vernis, mode, mais aussi bricolage, sport. Il y a des cookies, mais aussi des photographes et des produits bio. Tous estiment s'adresser à un public féminin et, à ce titre, espèrent profiter du salon pour nouer quelques contacts. "Je suis une femme, je veux promouvoir un produit qui s'adresse aux femmes", explique sobrement Anne, sommelière et créatrice d'une marque de rhum arrangé marketée pour ces dames. "Beaucoup de femmes aiment le rhum, mais la plupart du temps il est fabriqué par des hommes. Or, beaucoup de filles me disaient qu'elles voulaient des goûts plus sucrés, équilibrés, moins amers que ce que l'on trouve dans le commerce".

Dans le monde du vin aussi, les professionnels n'hésitent pas à qualifier certains crus de "plus féminins", lorsqu'ils sont fruités (quand bien même certaines femmes sont phobiques des kiwis et des bananes, ON L'OUBLIE TROP SOUVENT). C'est étrange, mais pas nouveau. Je teste un ananas-mangue-passion. C'est vrai qu'il est bon, mais difficile de savoir si c'est ma féminité qui parle (ou mon amour non-sexué du rhum à toute heure du jour et de la nuit).

"Venir dans un salon comme celui-là, c'est avant tout une façon de créer des opportunités, de faire du business", abondent les trois entrepreneuses à l'origine du projet "tête, cœur, corps", un stand de conseil aux entreprises. Spécialiste du "coaching" au sein du trio, Laëtitia affirme pour sa part qu'entreprendre relève de son "côté masculin". Elle revient sur son questionnement marketing : "Fallait-il utiliser un logo rose ?" Apparemment, oui. Leur couleur (le fuchsia) domine le salon.

Une visite "par curiosité"

En petits groupes, copines ou duos mère-fille, les visiteuses flânent. Comme moi, elles ont vu l'affiche dans le métro. Au lieu de jouer avec leurs nerfs (comme ces internautes cités par Metro), celle-ci a piqué leur curiosité. "Salon de la femme, c'est très vague, on ne savait pas trop à quoi s'attendre", concèdent Marina et Sandrine, 23 et 22 ans. Verdict : "C'est tout petit encore, mais on a reçu quelques bons conseils maquillage et sport", glisse Marina.

 

Derrière elles, des stands font la promotion du Boxe and dance (ne cherchez pas de piège, c'est bien un mélange de boxe et de danse) et de l'"Elgo", une forme de "fitness sexy" qui se pratique (de préférence) en hauts talons. Et les jeunes femmes se laisseraient bien tenter par une initiation. Elles qui se destinent au métier d'ingénieur n'ont rien contre ces initiatives estampillées "girly".

 

"On est venues par curiosité", confirme aussi Véronique. Accompagnée de deux copines, elle explique que cette petite sortie permet de décompresser après une semaine de boulot. A un stand de maquillage bio, elle sourit : "Ça fait un moment qu'on est là, non ? On découvre la... comment on dit ? Colorimétrie ? (Elle se tourne vers une amie, le visage entre les mains d'une exposante, qui confirme.) La colorimétrie, donc", l'art de ne pas se maquiller comme une voiture volée.

Plus loin, trois jeunes femmes m'assurent encore que le programme "beauté et soin" du salon les a incitées à en pousser la porte. Si décrié soit-il sur les réseaux sociaux, il répond à l'attente de ces dames. "J'aime la mode, la beauté, pourquoi ça ferait une polémique ?" s'étonne Olivia, 28 ans, en haussant les épaules.

"La femme", cette cible marketing

Leïla reconnaît que "parler de LA femme est réducteur", mais cela ne l'a "pas dérangée". Parce qu'elle est là pour promouvoir la mode grandes tailles, elle sait que des femmes, il y en a bien des modèles"On est là pour représenter un certain pourcentage de la population que la société, la mode et le marché considèrent encore, à tort, comme une minorité", explique-t-elle.

Dans le salon, cette diversité s'exprime aussi à travers les associations FashionHandi et l'Association pour la reconnaissance et l'épanouissement de la femme en situation de handicap (Arefh). Pour Géraldine, à la tête de l'antenne parisienne de cette dernière, "c'est important pour nous d'avoir notre place dans ce salon".  Aux curieux, elle présente l'expo photo préparée par l'association et défend le droit des femmes handicapées à ces petits soins qui en font soupirer d'autres.

Le salon de la femme, au Parc Floral, à Paris, samedi 14 mars 2015. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCETV INFO)
 

Ces quelques stands permettent de survoler les questions de discrimination auxquelles peut se heurter "la femme" quelle qu'elle soit. Mais alors, ne manque-t-il pas un stand de recrutement des pompiers ? Une conférence d'Anita Sarkeesian, la journaliste féministe qui a, entre autres, dénoncé le sexisme dans le jeu vidéo ? Un débat sur la transidentité ? Interrogée par L'Express, Nawel Rimi explique que les associations féministes sollicitées n'ont pas souhaité prendre au part au salon, refusant en substance de mêler combat pour l'égalité et promotion de vernis à ongles.

"Ni féministe ni anti-féministe", selon les termes de l'organisatrice, le salon présente bien "une femme" : la consommatrice. Une femme fictive, mélange de goûts et de qualités supposés, identifiée non pas comme personne mais comme cible marketing. Inévitablement, il arrive (souvent) que les marques, comme les salons, tapent à côté.

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