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Révélations sur la mort de Lucy : "Une scène policière stimulante"

Le paléoanthropologue, Pascal Picq, livre ses réflexions sur les conclusions autour de la mort de Lucy, la plus célèbre des australopithèques. Le scientifique salue une étude "sérieuse" menée par plusieurs disciplines menant l'enquête, comme dans une série policière.

Article rédigé par Grégoire Lecalot, franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Pascal Picq, paléoanthropologue, commente les causes de la mort de Lucy, qui vivait en Afrique il y a 3,18 millions d'années (DANIEL FOURAY / MAXPPP)

L'australopithèque Lucy, longtemps considérée comme l'ancêtre de l'humanité, serait morte après être tombée d'un arbre. C'est la thèse publiée lundi sur le fossile découvert en 1974 en Ethiopie par une équipe texane dans la revue Nature. L'enquête est qualifiée de "sérieuse" par le paléoanthropologue, Pascal Picq, interrogé mardi sur franceinfo. Le scientifique salue aussi l'interaction avec d'autres disciplines qui enrichissent la recherche. Dans le cas de l'étude sur Lucy, un chirurgien orthopédique est intervenu.

Franceinfo : L'hypothèse de la mort de Lucy est-elle crédible ?

Pascal Picq : L'enquête est sérieuse, mais comme toujours il y a toujours des discussions sur les conclusions. On avait dit que Lucy était morte noyée, ce qui est une possibilité. Quant à la chute d'un arbre, on n'y avait pas pensé jusqu'à présent car je crois qu'on n'imagine pas de voir les espèces les plus proches de nous, comme les chimpanzés et des bonobos, louper une branche et tomber, tellement ils sont habiles, rapides et forts. Et pourtant des études montrent qu’un quart des chimpanzés que l’on connait ont sur le squelette des marques indéniables de fractures qui ont été réduites.

Lucy était-elle aussi habile que les chimpanzés et les bonobos ?

Absolument. Lucy a un haut du corps qui est tout à fait proche des chimpanzés et des bonobos, des marques d'une grande habilité et d'une grande habitude de se déplacer dans les arbres. Quand on regarde les causes des chutes, il y a ‘la faute à pas de chance’ à cause d'une branche pourrie par exemple. Mais ce n'est pas l'essentiel des explications. Les chutes, ce sont souvent des interactions violentes, parce que les mâles chez les chimpanzés sont plutôt violents. L’étaient-ils chez Lucy ? On ne le sait pas, mais c'est possible.

Lucy aurait donc pu être poursuivie ou effrayée par un prédateur. L'hypothèse de la chute est donc plausible ?

Tout à fait, l’étude est très précise. On a de multiples fractures qui sont liées à des fractures dites de compression, celles relevant d’une chute.

Les causes de la mort des australopithèques relèvent-elles de l'intérêt scientifique ?

Tout ce qui nous donne des informations précieuses sur la reconstitution de leur vie est important. Cela pose de vraies questions sur l'état de conscience autour de la vie et de la mort de ces premiers hommes. Vous voyez par exemple, on sait que l’époque de Lucy correspond à l’invention de la pierre taillée. C’est très récent, on ne le sait que depuis quelques mois. C’est un puzzle, mais qui permet d’esquisser des éléments sur ce qui était la vie de nos ancêtres. Les hypothèses nous amènent à ouvrir d’autres pistes.

Quelles sont les équipes impliquées ?

Les recherches sont éclairées par les connaissances sur les australopithèques, celles aussi de l’archéologie qui nous amènent des éléments sur les activités et les usages d’outils. Ne nions pas non plus les connaissances qui progressent très vite sur les chimpanzés. Je ne suis pas en train de dire que les australopithèques étaient des chimpanzés mais tout cela nous donne des éclairages qui viennent de l’interdisciplinarité. Là, nous avons une étude qui est faite par des personnes d’autres disciplines avec lesquelles nous ne sommes pas habitués à travailler. Et pas assez d’ailleurs. Ce sont les orthopédistes ou ceux qui sont spécialisés dans la police criminelle ou scientifique. L’interdisciplinarité permet de donner des points d’éclairage dans des zones encore obscures.

L'interdisciplinarité est-elle nouvelle ?

Ce qui est amusant, c’est que nous sommes souvent passionnés par l’excellence des séries policières américaines comme "Les Experts". Il faut savoir que la police scientifique est venue au départ se former chez nous, les paléoanthropologues, avant de développer ses propres méthodes. Il est intéressant de souligner ces allers-retours entre nos disciplines. Avec un squelette comme celui de Lucy, une partie de l’enquête consiste à savoir quel a été le devenir de ce corps après la mort, mais on ne s’était posé la question de la cause de la mort. Nous sommes donc là, sur une première scène policière d’enquête qui est stimulante et qui nous oblige à nous questionner différemment. Ce sera forcément fructueux pour les recherches futures.  

La mort de l'australopithèque Lucy due à une chute ? "On n'y avait pas pensé jusqu'à présent" : Pascal Picq, paléoanthropologue

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