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Une solution au stockage des données numériques : des documents encodés sur ADN font leur entrée aux Archives nationales

Cette nouvelle technologie annonce une véritable révolution dans le domaine du stockage de données. 

Article rédigé par franceinfo - Boris Hallier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Les deux capsules de stockage de données ADN contenant la Déclaration des Droits de l'Homme (1789) et de la Déclaration des Droits de la Femme. (BORIS HALLIER / FRANCE-INFO)

C'est une première mondiale ! Les Archives nationales vont devenir la première institution publique à abriter des documents numériques stockés sur de l'ADN. Cette nouvelle technologie annonce une véritable révolution dans le domaine du stockage de données. Deux chercheurs de la Sorbonne sont en effet parvenus à encoder sur de l'ADN deux textes fondateurs : la Déclaration des Droits de l'homme de 1789 et la Déclaration des Droits de la femme de 1791. Ces scientifiques vont donc officiellement remettre cet ADN aux Archives nationales mardi 23 novembre.

À l'intérieur d'une capsule métallique de la taille d'une gélule, une petite bille, l'équivalent d'un grain de sable, renferme l'ADN artificiel de la Déclaration des Droits de l'homme. Stéphane Lemaire, chercheur au CNRS, est parvenu à transformer son code informatique en code génétique. "Pour encoder de l'information numérique sur de l'ADN, il faut convertir le système binaire avec des 0 et des 1 en un système quaternaire puisque l'ADN est composé de nucléotides symbolisés par les lettre A, T, C et G. Nous l'avons fait avec l'algorithme que nous avons développé au sein du laboratoire", explique-t-il.

Pour lire ces fichiers, il suffit ensuite d'ouvrir la capsule et de déposer les molécules d'ADN sur un séquenceur, objet bien connu des biologistes. "On utilise des séquenceurs pour identifier par exemple des variants du coronavirus. C'est donc la même technologie que l'on utilise pour relire l'information numérique encodée sur l'ADN", indique Stéphane Lemaire. "Il existe des séquenceurs de poche, de la taille d'une grosse clé USB, qui se branchent sur l'ordinateur, pour analyser cet ADN et relire l'information numérique encodée", poursuit le chercheur. 

"L'intérêt de l'ADN est principalement écologique"

Avec ses collègues, il en est convaincu, c'est l'avenir du stockage de données. "L'intérêt de l'ADN est principalement écologique", dit-il. Car l'impact environnemental du numérique est indéniable. Le secteur génère désormais plus de gaz à effet de serre que l'aviation et les data centers se multiplient à travers le monde. "L'ADN est la meilleure technologie dont on dispose pour résoudre ces problèmes, car il peut être conservé à température ambiante sans apport d'énergie. Pour le rendre stable, il suffit de le stocker à l'abri de l'air, de l'eau et de la lumière. Dans ces conditions, on estime que l'ADN est stable pendant plus de 50 000 ans", note Stéphane Lemaire.

C'est dans l'armoire de fer des Archives nationales, coffre conservé au cœur des "grands dépôts", que seront conservés les ADN artificiels de la Déclaration des Droits de l'homme de 1789 et la Déclaration des Droits de la femme de 1791. (BORIS HALLIER / RADIO FRANCE)

L'intégralité des données mondiales pourrait tenir dans 100 grammes d'ADN, soit le volume d'une tablette de chocolat ! De quoi séduire les Archives nationales qui préservent dans leurs serveurs plus de 70 000 gigaoctets de documents, photos, vidéos, mails ministériels... "Chaque année, nous avons toujours plus de teraoctets. Ce sont des milliards de fichiers. Nous estimons que dans les 2-3 prochaines années nous atteindrons les 200 teraoctets (200 000 gigaoctets)", indique Béatrice Herold, directrice du numérique et de la conservation. 

"Les serveurs ont une empreinte carbone importante, alors quand on voit une petite capsule, cela fait rêver sur la capacité de stockage de grosse quantité d'informations."

Béatrice Herold, directrice du numérique et de la conservation des Archives nationales

à franceinfo

"Être archiviste c'est penser à l'avenir beaucoup plus qu'au passé, donc toutes les recherches qui portent sur ces sujets, nous y sommes très attachés", souligne encore la directrice du numérique et de la conservation des Archives nationales, où les déclarations des Droits de l'homme et de la femme version ADN seront mises à l'abri dans une armoire de fer, à côté du testament de Napoléon, du journal de Louis XVI ou des différentes Constitutions.

Une technologie qui coûte encore très cher

Les Archives nationales ne sont pas les seules à espérer de cette nouvelle technologie. Certains géants du numérique y croient aussi. Microsoft, par exemple, a mis au point une machine qui écrit et lit automatiquement des informations numériques dans l'ADN. Pour cela, les chercheurs se sont appuyés sur la société de biotechnologie Twist, l'un des leaders de l'ADN de synthèse. "Le problème, ce n'est pas de prouver que ça marche, c'est de diminuer les coûts, explique sa fondatrice, la Française Emily Leproust. Aujourd'hui, le coût de stockage dans l'ADN s'élève à 1 000 euros par megaoctet, contre 100 euros par teraoctet pour un disque dur. Il y a donc vraiment des ordres de grandeur différents pour les coûts."

Pour réduire ces coûts, il y a donc encore beaucoup de travail à fournir avant de développer un système fiable et abordable. Mais selon Emily Leproust, l'ADN va bien révolutionner le secteur des data-centers : "L'ADN est toujours très lent à relire. Son but, c'est le stockage à long terme, l'archivage. Or, 60% des data-centers font de l'archivage. Ceux-là, à terme, seront remplacés par de l'ADN. Mais les autres 40% où l'information doit sortir à n'importe quel moment, cela restera sur des mémoires flash et des disques durs."

La scientifique a lancé une alliance de laboratoires et d'entreprises pour promouvoir cette technologie du stockage sur ADN. On y retrouve une trentaine d'adhérents, dont des laboratoires d'université, des entreprises de biotechnologie et le géant Microsoft...

ADN numérique aux Archives nationales : reportage de Boris Hallier

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