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Trois questions sur la paréidolie, cette capacité de notre cerveau à voir une tête d'ours sur la planète Mars

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Photo d'une formation géologique sur la planète Mars dont la forme rappelle la tête d'un ours. Cliché pris par la Nasa, l'agence spatiale américaine, le 12 décembre 2022. (UARIZONA / JPL-CALTECH / NASA)
Ces illusions d'optique sont fréquentes lorsque l'on regarde des corps célestes ou des objets du quotidien. Elles s'expliquent par la tendance naturelle de notre cerveau à donner du sens à des formes aléatoires.

L'image, plutôt mignonne, interpelle au premier coup d'œil. La Nasa a publié, le 25 janvier, une photo de la surface de la planète Mars qui montre une formation géologique rappelant une tête d'ours. Il ne s'agit ni d'une gravure, ni d'une sculpture, ni d'un géoglyphe, ces motifs tracés sur Terre, visibles d'une très grande hauteur, comme les célèbres lignes de Nazca, au Pérou. Selon les scientifiques de l'agence spatiale américaine, ce qui ressemble à un museau provient d'une "colline effondrée" ou éventrée après un "événement volcanique" qui aurait provoqué des "coulées de boue ou de lave". Là où beaucoup distinguent des yeux, il faut en réalité voir "deux cratères". Quant au cercle, qui dessine le contour de la tête, il s'agit d'une "fracture circulaire" délimitée, là aussi, par un dépôt de lave ou de boue. Eurêka, mais c'est bien sûr !

Ce phénomène porte un nom, aussi poétique que technique : une paréidolie. Franceinfo revient sur ce mécanisme naturel.

1 Qu'est-ce qu'une paréidolie ?

C'est la capacité de notre cerveau à identifier des formes familières dans des éléments naturels ou aléatoires, selon le CNRS ou encore l'Inserm, comme lorsque l'on voit une silhouette d'animal en regardant les nuages. Bien souvent, il s'agit de faciès humains. "Pour le cerveau, les visages sont des objets particuliers. Il a un talent particulier pour les détecter, les analyser, les reconnaître : c'est nettement plus développé que pour d'autres objets", expliquait au quotidien suisse Le Temps, en 2015, Patrik Vuilleumier, neuroscientifique à l'université de Genève. "Une bonne partie du cerveau visuel est consacrée en effet à la reconnaissance des personnes, et des visages en particulier. Il y a une grande quantité de neurones dont c'est le job."

Pour distinguer un visage, notre cerveau n'a besoin que de deux yeux et une bouche, même pas de nez, rappelait en 2020 le chercheur australien Colin Palmer dans un article publié par la revue Psychological Science (en anglais). Il relève sur le site de l'université de Sydney (en anglais) que cette faculté est liée au fait que l'homme est un animal particulièrement social et que ses interactions sont grandement fondées sur la reconnaissance des visages et de ses expressions. Cette capacité lui aurait aussi permis de survivre en repérant de potentiels dangers.

"Il y a un avantage évolutionniste à être vraiment bon ou vraiment efficace dans la détection des visages. C'est important socialement pour nous. Ça l'est aussi pour la détection des prédateurs."

Colin Palmer, chercheur en psychologie

dans un communiqué de l'université de Sydney

De façon générale, l'association d'images et d'idées avec des formes aléatoires est utilisée dans certaines évaluations, rappelait France Inter en 2013, faisant référence au test de Rorschach, un test de personnalité fondé sur la perception visuelle du patient, qui doit dire ce que lui évoquent des taches d'encre.

2 Ce phénomène est-il courant ?

Tout à fait naturel, il est très fréquent. Pour en revenir à Mars et la tête d'ours, voici un visage souriant que l'on trouve aussi sur la planète rouge : c'est le cratère Galle, aussi connu sous le surnom de "Happy face crater" ("le cratère au visage joyeux" en français), dont le diamètre atteint 230 km.

Le cratère Galle, sur Mars, aussi surnommé "Happy face crater". (NASA / JPL / MALIN SPACE SCIENCE SYSTEMS)

Mais les éléments aperçus sur la planète rouge ne se limitent pas aux visages. En 2015, certains avaient cru y voir une cuillère volante. En réalité, il s'agissait d'un ventifact, une roche formée, polie et façonnée par l'érosion.

Une photo de la surface de la planète Mars prise par le robot Curiosity le 30 août 2015. (JPL-CALTECH / NASA)

Sur d'autres clichés plus anciens, certains voyaient un lézard ou une sandale. Une image prise par le rover Curiosity, en 2022, montrait un paysage dans lequel on devinait une intrigante "porte". Mais il s'agit très vraisemblablement d'un trou creusé par des fractures dans la roche.

Photo prise par le rover Curiosity, sur Mars, le 7 mai 2022. (NASA / JPL-CALTECH / MSSS)

Au-delà du cas de Mars, l'observation de l'univers est une source infinie de paréidolies. La Nasa a posté, par exemple, une photo du Soleil avec ce qui peut être perçu comme un smiley.

En dehors de notre système solaire, les possibilités de paréidolies ne manquent pas non plus. La Nasa a dévoilé en 2015 une photo d'un groupe de galaxies, baptisé "chat du Cheshire" pour sa ressemblance avec l'animal imaginé par Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles.

Le "chat du Cheshire" dévoilé par la Nasa, l'agence spatiale américaine, le 23 novembre 2015. (CHANDRA X-RAY OBSERVATORY CENTER / NASA)

Les exemples sont si nombreux que l'astrophysicien français Eric Lagadec y a consacré une série de messages sur Twitter, il y a un peu plus d'un an.

Bien entendu, cette tendance à voir des visages et des formes familières un peu partout ne se limite pas à l'observation du cosmos. Elle concerne aussi les objets de la vie de tous les jours. Sur la plateforme de photos Flickr, un groupe comptant quelque 7 000 membres rassemble 27 000 photos de visages aperçus dans des façades, des troncs d'arbres, des rochers ou encore des serrures. On en trouve aussi sur Pinterest, sur Imgur et sur les réseaux sociaux où certains comptes sont spécialisés dans le partage de contenus similaires. "Ce kayak va vous manger", écrit le compte Faces in Things.

Une pomme de terre peut évoquer un phoque et un visage plaintif peut aussi se cacher dans une tasse de café.

La photo d'un carton dépassant d'un bac de déchets recyclables, à Paris, avait fait le tour du monde lorsque Donald Trump avait accédé à la Maison Blanche, en janvier 2017. Pourtant, l'image avait été capturée en 2014. "La poubelle pouvait faire penser à un personnage, mais, sur le coup, il n'y avait aucun lien avec Donald Trump. En plus, il n'était même pas dans l'actu", avait expliqué à TF1 le graphiste Thomas Regembal.

3 Cela peut-il concerner un autre sens que la vue ?

Oui, il existe également des paréidolies auditives ou sonores. Les multiples exemples amusants repris par de nombreux youtubeurs ou animateurs radio concernent des chansons (souvent en anglais) qui pourraient sembler être chantées en français avec des paroles inattendues. Cela va du groupe de rock Scorpions qui lancerait : "Ce soir, j'ai les pieds qui puent", au lieu de "So strong that I can't get through" ("Si solide que je ne peux pas passer", en français), des Gipsy Kings qui diraient : "Elle avertit donc qu'elle descend par en haut" au lieu de "Pero el destino te ha desamparado" ("Mais le destin t'a abandonné", en français) ou encore du rappeur KRS One qui scanderait "Assassins de la police" au lieu de "That's the sound of the police" ("C'est le bruit de la police", en français).

Pour le son comme pour l'image, il s'agit d'une déformation de notre cerveau qui cherche à interpréter, de façon compréhensible, ce qu'il capte. Tout ceci, rappelle France Culture, renvoie à la notion d'apophénie, "qui est plus généralement le fait d'interpréter et de donner un sens à un assemblage chaotique d'informations".

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