L'astéroïde Apophis menace-t-il réellement de frapper la Terre en 2029 ?
Dans dix ans, le vendredi 13 avril 2029, cet objet céleste d'environ 370 mètres de diamètre va passer à moins de 36 000 kilomètres de notre planète. Il sera visible à l'œil nu. Et les scientifiques sont formels : il n'y a aucun risque d'impact.
Dans l'Egypte antique, Apophis était un serpent gigantesque et maléfique. Dieu de la nuit, faisant surgir le chaos dans l'obscurité et cherchant à anéantir le monde, il était vaincu chaque matin par le dieu Rê (ou Râ) au lever du soleil.
Aujourd'hui, Apophis est un astéroïde qui suscite beaucoup de fantasmes. Dans le live de franceinfo, vous avez été nombreux à nous interroger à son sujet, après une série d'articles estivaux évoquant un risque de collision avec la Terre dans dix ans. Alors, vrai ou "fake" ?
A quoi ressemble Apophis ?
"Apophis a été découvert en 2004", raconte Daniel Hestroffer, astronome à l'Observatoire de Paris. Pour autant, "on ne sait pas à quoi il ressemble, reconnaît Patrick Michel, astrophysicien à l'Observatoire de la Côte d'Azur. Nous n’avons qu'une estimation de sa dimension : de l’ordre de 370 mètres de diamètre."
Apophis "vient très probablement de la ceinture principale d'astéroïdes", poursuit Daniel Hestroffer. Cette région du système solaire entre Mars et Jupiter contient un grand nombre d'astéroïdes qui se percutent et se fragmentent. "Apophis est né d’une telle collision, comme bien d’autres", relate Patrick Michel. Ces chocs entre astéroïdes provoquent aussi parfois des changements de leur trajectoire. Sur leur nouvelle orbite, certains de ces objets célestes croisent la Terre. On parle alors d'astéroïdes géocroiseurs. C'est le cas d'Apophis, qui "croise la Terre tous les sept à huit ans", précise Daniel Hestroffer.
"Ces astéroïdes ont une durée de vie de quelques millions d'années", poursuit l'astronome. Mais "la plupart d’entre eux finissent dans le Soleil et pas sur une planète", ajoute Patrick Michel, rassurant.
Apophis représente-t-il une menace ?
Les premières observations d'Apophis, lors de sa découverte en 2004, avaient permis de calculer son orbite. Les scientifiques avaient alors évalué à 2,7% la probabilité d'un impact avec la Terre en 2029, rappelle la Nasa (en anglais). Un risque faible donc, mais non négligeable.
"Ce risque a été levé en 2013, lors d’un autre passage, poursuit Patrick Michel. Des observations ont pu être menées avec des radars qui ont permis une mesure plus précise de sa trajectoire. Grâce à ces observations, et en recalculant son évolution, nous savions que tout danger était écarté pour 2029. Et même pour 2036."
Les fréquences d’impact d’objets de la taille d’Apophis sont de tous les 100 000 ans en moyenne ! Si on craint un tel impact, il vaut mieux ne plus jamais prendre sa voiture !
Patrick Michel, astrophysicienà franceinfo
"L'observation spatiale, c'est un peu comme la météo, glisse l'astronome. Les prévisions à court terme sont fiables. Mais à long terme, elles le sont beaucoup moins." "Les premières observations ne permettent pas une bonne estimation de la trajectoire d’un astéroïde, et parmi toutes les solutions, il y en a souvent une qui conduit à une collision avec la Terre, confirme Patrick Michel. Puis, les observations se poursuivent et permettent d’affiner la trajectoire. Et jusqu’à présent en tout cas, cela a toujours abouti à éliminer la solution aboutissant à l’impact."
Notre entrevue avec Apophis est donc prévue pour le vendredi 13 avril 2029, selon Daniel Hestroffer. "Il passera à moins de 36 000 km de la Terre", indique Patrick Michel, assurant qu'"on verra sa lumière à l’œil nu." "On battra même un record de proximité : on aura jamais eu un objet céleste de cette taille aussi proche de la Terre, se réjouit Daniel Hestroffer. On pourra faire de nouvelles mesures plus précises, affiner nos prévisions et recalculer son orbite."
Quels dégâts pourraient faire un tel astéroïde ?
"Hypothétiquement, l’impact d’un objet comme Apophis ferait des dégâts à l’échelle d’un gros continent au moins", tranche Patrick Michel. "L’énergie d’impact serait équivalente à 5 000 mégatonnes de TNT", chiffre l'astrophysicien. A titre de comparaison, "la bombe d’Hiroshima, c’était 12 kilotonnes de TNT".
Mais "tout dépend de la masse de l'astéroïde, de sa composition, de sa vitesse, énumère Daniel Hestroffer. On sait qu'il faut multiplier par 20 la taille de l'objet céleste pour connaître celle de son cratère. S'il tombe sur un continent, un astéroïde de 300 mètres creuserait donc théoriquement un cratère de 6 km." Et "s'il tombait en mer, un tel astéroïde pourrait générer une vague qui provoquerait un tsunami", assure l'astronome.
"On estime le seuil de catastrophe global, à l’échelle du globe, à 1 km de diamètre, indique Patrick Michel. Cela provoquerait des extinctions d'espèces massives à cause des effets combinés : les nuages de poussières, les incendies", renchérit Daniel Hestroffer.
D'autres astéroïdes menacent-ils la Terre ?
"Des efforts ont été faits pour détecter tous les géocroiseurs de plus d'un kilomètre", rassure Daniel Hestroffer. Grâce à ce travail, "on connaît 90% des objets de cette taille ou plus qui croisent la Terre", assure Patrick Michel. Et "on sait qu'il n'y a pas de risque d'impact dans les cent ans à venir", renchérit Daniel Hestroffer.
"Un deuxième seuil est en train d'être franchi avec la détection des objets célestes de plus de 140 mètres, parce qu'on considère que leurs effets seraient dévastateurs à l'échelle régionale", indique l'astronome. "Leur fréquence d’impact est de l’ordre de 10 000 à 15 000 ans, mais même si la probabilité reste faible, les dégâts seraient conséquents", affirme Patrick Michel. Et "on n’en connaît que 20%", évalue l'astrophysicien.
Pour tous les astéroïdes que l’on connaît, nous n’avons aucune menace dans les prochaines décennies.
Patrick Michel, astrophysicienà franceinfo
"En dessous de 140 mètres, on estime que les effets sont plus locaux", continue Daniel Hestroffer. "La Terre étant protégée par son atmosphère, les objets célestes de quelques mètres sont freinés, voire morcelés." Des collisions impressionnantes restent possibles. En 2013, une météorite d'une quinzaine de mètres de diamètre est tombée sur Tcheliabinsk, en Russie. Sa chute a provoqué une onde de souffle importante qui a brisé de très nombreuses vitres et fait des blessés. "Ce bolide très brillant est tombé de bon matin, et comme il était bien visible, beaucoup d'habitants sont allés regarder sa chute à leur fenêtre. L'onde de choc est arrivée avec quelques secondes de décalage et a brisé de très nombreuses vitres, ce qui explique le nombre important de blessés", expose l'astronome.
Peut-on éviter une éventuelle collision ?
"Le risque d’impact d’astéroïde est le risque naturel le moins probable parmi tous les risques auxquels nous avons à faire face [tsunamis, tremblements de terre, ouragans, etc.], insiste l'astrophysicien Patrick Michel. Mais c’est le seul que l’on peut prédire et éviter avec des moyens raisonnables et réalisables qu’il suffit simplement de mettre en œuvre."
Le scientifique croit beaucoup au développement d'une technique de déviation, détaillée par l'ESA, l'agence spatiale européenne. "L'idée est d'envoyer un projectile haute vitesse pour faire un impact sur la Lune d’un petit astéroïde et d'envoyer un satellite qui ira mesurer l’effet de l’impact et la déviation produite", expose-t-il.
Ce projectile, baptisé Dart, doit être financé par la Nasa. Son lancement est prévu pour 2021. L'ESA doit encore se prononcer sur le financement d'Hera, le satellite de mesures, précise le chercheur. Le lancement est programmé pour juillet 2021. Et il devrait atteindre la cible, la lune de l'astéroïde Didymos en octobre 2022, espère l'astrophysicien.
Que nous apprennent les astéroïdes ?
Les astéroïdes "sont les pierres de nos origines", répond Patrick Michel. "Elles sont les briques restantes de la formation des planètes". Mais "contrairement aux planètes", ces astéroïdes sont "suffisamment petits pour que leur composition ne se soit pas transformée chimiquement par le chauffage interne subi par les planètes". Les astéroïdes – comme les comètes – contiennent donc des informations précieuses pour la compréhension de la formation du système solaire et des planètes, et l’émergence de la vie sur Terre. Deux missions spatiales – Osiris-Rex pour la Nasa et Hayabusa 2 pour la Java, l'agence spatiale japonaise – doivent ramener sur Terre des échantillons de deux astéroïdes géocroiseurs, Bénou (Bennu selon la désignation internaitonale) et Ryugu. Le retour d'Hayabusa 2 est programmé pour 2020. Celui d'Osiris-Rex pour 2023. En attendant, suspense.
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