Cet article date de plus de trois ans.

Vrai ou faux Oumuamua est-il "le premier signe d'une vie intelligente extraterrestre", comme l'affirme un célèbre astrophysicien de Harvard ?

Il défend l'hypothèse que l'objet interstellaire passé près de la Terre en 2017 était un véhicule extraterrestre propulsé par une voile solaire. Cette théorie va à l'encontre du consensus scientifique.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Vue d'artiste d'Oumuamua. (VICTOR HABBICK VISIONS / SCIENCE PHOTO LIBRARY / AFP)

A la télévision, à la radio, dans les magazines… Avi Loeb est partout, ces derniers jours. Partout, le professeur d'astronomie à la prestigieuse université de Harvard expose une théorie controversée, au grand dam de la communauté des astrophysiciens. Rembobinons. En octobre 2017, un étrange objet traverse à toute vitesse notre système solaire, passant relativement près de la Terre. Pas de doute : il provient d'un autre système stellaire. C'est le premier de ce type à être observé. Les astronomes, qui l'ont repéré grâce au télescope Pan-STARRS1 d'Hawaï, le baptisent Oumuamua : "éclaireur" ou "messager" en hawaïen.

Pour le scientifique israélo-américain Avi Loeb, cet objet interstellaire pourrait ne pas être une comète ou un astéroïde, mais une sonde ou un vaisseau, propulsé par une voile solaire et construit par une civilisation extraterrestre. Cette thèse, d'abord exposée dans des articles scientifiques (PDF en anglais), est désormais au centre d'un livre qui bénéficie d'une sortie mondiale. Son essai est intitulé Le premier signe d'une vie intelligente extraterrestre. Sur sa couverture, le bandeau publicitaire avertit : "Si j'ai raison, c'est la plus grande découverte de l'histoire de l'humanité." Mais s'il a tort ?

Forme, trajectoire, luminosité… Avi Loeb s'appuie sur plusieurs éléments pour nourrir sa thèse. Ses confrères et consœurs ont bien tenté d'"imaginer que c'était un vaisseau extraterrestre, il faut savoir être raisonnable, ça ne marche pas", explique à franceinfo Aurélie Guilbert-Lepoutre, chercheuse au CNRS au sein du laboratoire de géologie de Lyon et membre de l'équipe scientifique internationale qui a étudié Oumuamua. "Ça nous a amenés à prendre ses arguments et à les démonter les uns après les autres", poursuit-elle. Verdict : "Plusieurs éléments font fortement pencher la balance vers l'objet naturel plutôt que vers l'objet extraterrestre." Franceinfo revient sur les arguments avancés par Avi Loeb.

Il y a peu d'objets d'origine naturelle dans l'espace interstellaire : faux

Franck Selsis, chercheur au CNRS au laboratoire d'astrophysique de Bordeaux, dénonce un argument "aberrant" et pointe "un biais" lié à nos capacités d'observation. "Par définition, les seuls objets interstellaires qu'on peut voir sont ceux qui passent près de la Terre. S'ils passent près de Neptune, on va avoir un peu de mal à les détecter."

"Qu'est-ce qui nous dit que dans le système solaire, il n'y a pas d'autres objets comme Oumuamua ? Rien, parce qu'on ne les voit pas d'habitude. Ils sont trop petits. On n'arrive pas à les observer. Ça touche aux limites de nos instruments."

Aurélie Guilbert-Lepoutre

à franceinfo.fr

Il est en outre faux de dire qu'il y a peu d'objets interstellaires d'origine naturelle, relève la chercheuse, rappelant que ces comètes ou ces astéroïdes naissent lors de la création des planètes. "Au cours de l'évolution des systèmes planétaires, la plupart de ces objets sont éjectés. Le système solaire lui-même a perdu la plus grande partie de ses astéroïdes et de ses comètes. Il y a des milliards d'objets qui se promènent dans le milieu interstellaire."

L'orbite d'Oumuamua est inhabituelle : faux

Pour un objet qui entre dans le système solaire, Oumuamua aurait suivi une orbite inhabituelle, selon Avi Loeb. Il serait ainsi passé trop près de la Terre pour ne pas l'avoir visée. "Ça non plus, ce n'est pas vrai", rétorque Aurélie Guilbert-Lepoutre, qui dénonce encore "des biais observationnels". "Quand on est sur la Terre et qu'on observe le ciel, il y a un tas de choses qu'on ne peut pas voir. On n'a pas accès à certaines longueurs d'ondes, parce qu'on a une atmosphère", fait valoir la chercheuse. "Si on s'intéresse aux orbites d'objets interstellaires qu'on peut détecter et pas à toutes les orbites d'objets qui existent, on se rend compte qu'Oumuamua a une orbite tout à fait quelconque."

Sa forme est trop étrange : discutable

"La caractéristique la plus intrigante" d'Oumuamua est sa forme "très particulière, très allongée", reconnaît Aurélie Guilbert-Lepoutre. Pour autant, il n'existe pas de photo d'Oumuamua. Les astronomes n'ont vu qu'un petit point lumineux, qui réfléchissait la lumière du Soleil. En constatant, au cours de différentes observations, que la rotation de l'objet entraînait une grande variation de sa luminosité, ils en ont déduit sa forme probable. Un cigare, ou plutôt une crêpe, environ six fois plus large qu'épaisse, d'après les dernières modélisations, détaille sur son blog (en anglais) Sean Raymond, astronome au laboratoire d'astrophysique de Bordeaux et spécialiste reconnu d'Oumuamua.

"On n'a que des indices indirects, qui sont interprétés via des modèles dans lesquels beaucoup de paramètres entrent en jeu", relève Aurélie Guilbert-Lepoutre. Ces modèles ne sont pas infaillibles. Pour préparer la mission d'exploration de la sonde Rosetta vers la comète Tchouri, les astrophysiciens avaient tenté de déterminer la forme de sa cible. Et ils s'étaient trompés. "Ça montre bien qu'il y a des limites à ce qu'on peut faire avec des modèles pour interpréter des données observées." Finalement, Tchouri avait une "forme de canard en plastique".

"Quand des systèmes planétaires se forment, ils éjectent une partie de leur matière, poursuit Franck Selsis. Ce processus est lié à un passage proche d'une planète géante ou d'une étoile. On l'a déjà vu avec la comète Shoemaker-Levy 9 qui est passée près de Jupiter dans les années 1990 et qui a été étirée et fragmentée en plusieurs morceaux." Pour lui, ce processus "peut favoriser ces formes aplaties ou oblongues".

Sean Raymond liste plusieurs autres hypothèses qui pourraient expliquer la forme particulière de l'objet. Peut-être est-ce un débris d'un objet plus gros encore ? Peut-être a-t-il été façonné par des collisions avec d'autres objets au cours de son voyage interstellaire ? Il est peut-être même né d'un phénomène naturel que les scientifiques n'ont pas encore découvert.

Vue d'artiste d'Oumuamua. (M. KORNMESSER / EUROPEAN SOUTHERN OBSERVATORY / AFP)

Oumuamua est trop brillant pour être naturel : discutable

Oumuamua aurait un albédo (un pouvoir réfléchissant) beaucoup plus élevé que la plupart des objets du système solaire, avance encore Avi Loeb. "Ce n'est pas tout à fait vrai", rétorque Aurélie Guilbert-Lepoutre. Le télescope spatial Spitzer de la Nasa a tenté de le mesurer, un mois environ après la découverte de l'objet, relate Sean Raymond, mais la lumière émise par Oumuamua, déjà partie au loin, était trop faible.

L'étude a conclu qu'Oumuamua renvoyait entre 1% et 50% de la lumière qu'il recevait, mais plus probablement 10%. Cette valeur, qui fait consensus, selon Aurélie Guilbert-Lepoutre, place Oumuamua dans la fourchette des objets célestes d'origine naturelle. "Pour les comètes, c'est plutôt de l'ordre de 2 à 7%. Pour les astéroïdes, c'est plutôt 5 à 20%."

Oumuamua a accéléré de manière non-naturelle : discutable

Le télescope spatial Hubble est parvenu à suivre Oumuamua pendant plus de deux mois, au moment de son passage près de la Terre. "Il semble que l'objet n'avait pas une trajectoire purement gravitationnelle. Il n'était pas juste en chute libre autour du Soleil. On a l'impression qu'il a été repoussé par le Soleil par une accélération non-gravitationnelle lors de son passage", raconte Franck Selsis.

Cette accélération non-gravitationnelle pose question. Les astrophysiciens en connaissent deux types. La première est provoquée par la pression de la radiation : le rayonnement solaire peut pousser des objets. "Avec Oumuamua, ça ne tient pas la route, objecte Franck Selsis. Il faudrait supposer que ce soit une sorte de nuage de poussières peu dense."

L'autre option serait un dégazage. "On sait que les comètes dégazent quand elles se rapprochent du Soleil. Le rayonnement du Soleil fait fondre la glace qui est sur ces comètes et cela les fait accélérer", expose Eric Lagadec, astrophysicien à l'Observatoire de la Côte d'Azur et président de la Société française d'astronomie et d'astrophysique. "Ça fait comme des petits propulseurs", illustre Franck Selsis. Sauf que ce dégazage n'a pas été observé et s'il a bien eu lieu, il n'a pas entraîné une rotation plus rapide de l'objet, comme attendu par la modélisation (en anglais). A moins, bien sûr, que le modèle basé sur un jet unique de dégazage ne se trompe…

Animation de la trajectoire d'Oumuamua, fournie par la Nasa, en octobre 2017. (NASA)

Oumuamua est une voile solaire : peu probable

Cette bizarre accélération joue en faveur de l'hypothèse de la voile solaire défendue par Avi Loeb. "Si l'objet en était une, alors cela expliquerait tout, reconnaît Franck Selsis. L'objet, très mince, serait conçu pour être accéléré par le Soleil et aurait été repoussé." Sauf que la théorie se heurte à la réalité des observations. "La voile solaire, pour être efficace, devrait être tournée vers le Soleil. On ne verrait donc pas d'amplitude de variation de la courbe de lumière. C'est incompatible avec une voile solaire efficace", réplique Aurélie Guilbert-Lepoutre. Sans compter que le pouvoir réfléchissant de 10% de cette voile solaire serait bien faible.

"Les extraterrestres auraient quand même pris un matériau qui n'est pas efficace du tout pour réfléchir la lumière des étoiles. C'est très curieux comme choix technologique."

Aurélie Guilbert-Lepoutre

à franceinfo.fr

Avi Loeb émet donc l'hypothèse qu'il s'agirait d'un vaisseau avec une voile solaire défectueuse. La suggestion est d'autant plus suspecte que depuis quelques années, l'astrophysicien soutient un projet de la fondation Breakthrough du milliardaire Yuri Milner. Lancé début 2016, il a pour objectif d'envoyer des milliers de sondes spatiales d'environ un gramme, équipées de voiles solaires, vers Alpha du Centaure, le système stellaire le plus proche du système solaire. Le projet cherche toujours des partenaires pour son financement. "C'est le coup classique. Donnez un marteau à quelqu'un et il verra des clous partout", ironise Eric Lagadec.

Vue d'artiste de voiles solaires. (D.DUCROS / NOVAPIX / LEEMAGE / AFP)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.