Pourquoi des chercheurs hawaïens ont-ils pris l'initiative de nommer le trou noir Powehi ?
Les noms des objets célestes doivent faire l'objet d'un consensus et être certifiés par l'Union astronomique internationale, qui fait autorité en la matière. L'initiative hawaïenne est sans doute liée à des contestations locales, explique le chercheur Guy Perrin à franceinfo.
L'affaire n'est pas encore entérinée, mais des chercheurs hawaïens ont décidé de baptiser Powehi le trou noir de la galaxie M87, dont l'image, révélée mercredi 10 avril, a fait le tour du monde.
C'est une figure renommée de la culture hawaïenne, Larry Kimura, professeur d'études hawaïennes à l'université de Hilo, qui l'a baptisé ainsi, à la demande de plusieurs scientifiques qui ont travaillé sur le projet. Ce nom signifie "création sombre insondable ornée" et vient du Kumulipo, un chant du XVIIIe siècle en langue hawaïenne qui conte l'histoire de la création du monde. "Avoir le privilège de donner un nom hawaïen à la toute première confirmation scientifique d'un trou noir est très important pour moi et pour ma lignée hawaïenne qui vient de pō [la nuit primordiale]", explique Larry Kimura sur le site du James Clerk Maxwell Telescope (JCMT), basé à Hawaï.
J'espère que nous pourrons continuer à nommer les futurs trous noirs selon l'astronomie hawaïenne et le Kumulipo.
Larry KimuraProfesseur d'études hawaïennes à l'université de Hilo
Mais pour l'heure, rien n'indique que ce nom ait fait l'objet d'un consensus au sein du projet Event Horizon Telescope (EHT), qui regroupe plus de 200 chercheurs originaires de tous les continents. Les noms des objets célestes, en effet, doivent être validés par l'Union astronomique internationale (UAI). Pourquoi donc des scientifiques hawaïens ont-ils pris l'initiative de nommer ce trou noir Powehi, alors que l'île abrite simplement deux (JCMT et SMA) des huit télescopes ayant pris part au projet EHT ? Franceinfo a contacté la direction du projet, sans obtenir de réponse.
Des observatoires situés sur des terres sacrées
Pour comprendre la portée de ce communiqué hawaïen, il faut sans doute se pencher sur la situation locale. "Je pense que c'est un mouvement enclenché pour préserver l'astronomie à Hawaï, répond à franceinfo Guy Perrin, astronome à l'Observatoire de Paris-PSL et membre du projet Gravity. Au niveau local, il existe une contestation assez forte de la part d'une partie de la population. Les observatoires sont en effet situés sur des volcans, territoires sacrés dans la culture locale."
"L'idée des scientifiques est de monter que l'astronomie peut être un vecteur de la culture hawaïenne dans le monde entier, et qu'il ne s'agit pas simplement d'une discipline qui empiète sur des territoires sacrés et traditionnels", résume Guy Perrin.
Il y a plusieurs années, un mouvement de contestation est né pour dénoncer la construction du Thirty Meter Telescope (TMT) sur le sommet du Mauna Kea, un territoire sacré qui abrite déjà treize autres télescopes. Aucun site archéologique n'a été découvert sur le site retenu mais l'ampleur du projet a heurté certains habitants – une pétition (en anglais) lancée en 2015 a notamment recueilli près de 70 000 signatures.
Respecter la culture de ce pays signifie respecter les lieux sacrés vénérés depuis des millénaires.
Pétition contre la construction du Thirty Meter Telescopeen avril 2015
"Nous ne sommes pas opposés à la science, déclarait en 2017 un manifestant, Lanakila Mangauil, interrogé par l'agence AP. Ce n'est pas contre le télescope mais contre le choix du site." Au-delà de l'aspect symbolique, les opposants au projet évoquaient des questions environnementales. Des militants avaient notamment bloqué les accès au site lors du début des travaux, en avril 2015, et 30 personnes avaient été interpellées. L'affaire avait pris un tour médiatique avec la mobilisation de plusieurs vedettes, dont l'acteur hawaïen de la série Game of Thrones Jason Momoa.
Un astéroïde baptisé Oumuamua
Ce n'est pas la première fois que les chercheurs d'Hawaï tentent d'envoyer un message symbolique aux défenseurs du Mauna Kea. Il y a deux ans, déjà, un astéroïde a été baptisé Oumuamua ("éclaireur") par les équipes du télescope Pan-STARRS 1 de l'observatoire du Haleakala.
Concernant le trou noir Powehi, "il va quand même falloir se poser la question de l'acceptation de ce nom par la communauté internationale, poursuit Guy Perrin. Un télescope chilien a également participé au projet EHT et, là aussi, il existe une forte culture locale." Sur ce point, difficile de savoir combien de temps pourrait prendre la procédure au sein de l'UAI.
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