Diagnostic différent selon le genre ou la couleur de peau : "Un fond de racisme et de sexisme inconscient lié à notre culture", estime l'auteur d'une étude

"Dans l'inconscient, une femme qui se présente pour une douleur thoracique laisse une idée de gravité moins importante qu'un homme", explique Xavier Bobbia, professeur de médecine d'urgence et auteur d'une étude sur la prise en charge de patients.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un médecin du Samu en poste la nuit, le 31 décembre 2022 à Mulhouse (Alsace). (VINCENT VOEGTLIN / MAXPPP)

Il y a "un fond de racisme et de sexisme inconscient lié à notre histoire et à notre culture" chez nos soignants, a expliqué vendredi 12 janvier sur franceinfo Xavier Bobbia, professeur de médecine d'urgence à la faculté de médecine Montpellier-Nîmes. Il est l’auteur d’une étude (lien en anglais) qui montre que les cas des femmes et des personnes noires sont jugés moins graves, pour des douleurs thoraciques, que ceux des hommes ou des personnes blanches. Les chercheurs ont mené cette vaste étude publiée dans la revue internationale European journal of emergency medicine. 1 500 soignants, issus de 159 villes en France, Belgique, Suisse et à Monaco y ont participé. "La différence est beaucoup plus importante que ce qu'on pensait", a affirmé Xavier Bobbia.

franceinfo : Quelle est l’idée au départ de votre étude ?

Xavier Bobba : Les soignants font des diagnostics qu'on dit intuitifs, qui sont basés sur leur expérience. Le fait d’avoir vu 1 000 patients qui présentent des douleurs thoraciques dans leur vie fait qu'on a des diagnostics rapides quand on voit les gens. L’idée de l'étude, c'était d'essayer de savoir si ce diagnostic intuitif n'était pas entaché de nos prérequis et de nos préjugés.

Comment avez-vous mesuré cela ?

On a réalisé des photos par un logiciel d'intelligence artificielle pour qu’elles soient standardisées. Quelqu'un debout qui grimaçait parce qu'il avait mal, qui avait la main sur la poitrine. C’était soit un homme, soit une femme avec les quatre apparences ethniques que l’on trouve le plus chez nous : blanc, nord-africain, noir ou asiatique. Ça faisait huit photos et le cas clinique était le même pour tout le monde. Ce qu'on cherchait à savoir, c'est s'il y avait une différence d'évaluation de la gravité du même cas clinique en fonction de la photo qui était associée.

Vous êtes surpris par les résultats ?

La différence est beaucoup plus importante que ce qu'on pensait. On a eu l'aide de la Société française de médecine d'urgence parce qu'on voulait beaucoup de réponses. On avait l'impression qu'il nous faudrait beaucoup de répondeurs. On a eu plus de 1 500 réponses pour montrer une différence. En fait, on aurait pu montrer une différence avec quatre fois moins de répondeurs, car la différence était très marquée. Dans l'inconscient, une femme qui se présente pour une douleur thoracique laisse une idée de gravité moins importante qu'un homme. Et pareil pour une personne d'apparence noire.

Selon vous, ce n'est pas un racisme ou un sexisme conscient de la part du personnel soignant ?

J’en suis complètement convaincu. En fait, l'idée de l'étude à la base, c'était de dire que ce diagnostic intuitif qu'est le diagnostic basé sur notre expérience, sans en comprendre les paramètres, est quelque chose qu'on utilise tous les jours et qui est très puissant. Il nous permet vraiment de faire des diagnostics rapidement, mais il est entaché de quelque chose, c’est que nous avons un fond de racisme et de sexisme inconscient lié à notre histoire et à notre culture. À mon avis, on peut reproduire cette étude dans tous les corps de métiers. 

"Les soignants sont des humains comme les autres. Ils ont une culture et ils sont à l'intérieur d'une société."

Xavier Bobbia, professeur de médecin d'urgence

sur franceinfo

Comment y remédier ?

Il y a trois solutions à ce problème. Il faut diffuser l'information et dire que nous avons des a priori inconscients dans notre quotidien comme soignants et on doit travailler là-dessus. On y travaille dans les études de médecine. On le fait dès le début. Je le fais également en médecine d'urgence pour éveiller les consciences. La deuxième étape, c'est de rendre l'évaluation à l'accueil aux urgences plus objective grâce à la mise en place d'échelles de triage qui sont recommandées par la Société française de médecine d'urgence. Elles permettent d'avoir une évaluation beaucoup plus objective. La troisième à long terme à laquelle je crois beaucoup, c'est le développement de l'intelligence artificielle. Nous développons une étude multicentrique dans laquelle nous analysons l'ensemble des données des patients qui arrivent aux urgences pour douleurs thoraciques. On va essayer de voir si avec le "machine learning" (apprentissage automatique), on permet de prédire la gravité moins entachée de nos problèmes culturels.

Le diagnostic humain pourrait disparaître ?

Non ! Le gros avantage l'intelligence artificielle, c'est juste que c'est plus poussé que les grilles d'échelle de triage. C’est quelque chose d'objectif qui va nous orienter. Il y aura toujours derrière un contrôle humain et aussi une rectification humaine si jamais les choses ne paraissent pas adaptées. Si jamais vous avez un outil automatique qui vous dit que le patient qui est en face de vous est grave, vous allez avoir du mal vous-même à dire "je ne le crois pas". C'est plutôt dans l'autre sens où ça marche bien ».

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.