Que vient faire la Lune dans les cycles menstruels ? Une étude pointe une "association occasionnelle" mais "significative"

Ces travaux, toutefois, ne permettent pas d'attribuer au satellite naturel de la Terre un éventuel rôle dans le rythme des règles.
Article rédigé par franceinfo
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La Lune observée depuis la ville turque de Kars, le 28 mars 2024. (OMER TARSUSLU / ANADOLU / AFP)

La Lune influence-t-elle les menstruations ? Cette question fait l'objet d'une abondante littérature pseudo-scientifique, qui prête à cet astre une influence supposée sur le cours de nos vies. Dans le cas des règles, c'est la durée voisine des deux cycles qui est souvent mise en avant. Une équipe de recherche internationale associant l'Inserm, le CNRS et l'université Claude Bernard Lyon 1 s'est penchée sur la régularité des cycles menstruels afin de comprendre leur mécanisme. Leurs travaux publiés dans la revue Science Advances, mercredi 10 avril, ont permis de montrer que les règles étaient régulées par une horloge interne et d'identifier une "association" ponctuelle avec le cycle lunaire.

La chronobiologie, une discipline en plein essor, étudie les rythmes biologiques dans l'organisme. La plupart des fonctions biologiques sont en effet soumises à un rythme "circadien", qui désigne un cycle d'une durée d'environ 24 heures (sommeil, production d'hormones, vigilance, circulation sanguine...). Le rythme circadien est dit "endogène", car il est géré par l'organisme lui-même, à partir d'une horloge interne située dans l'hypothalamus, avec une activité électrique qui oscille entre 23h30 et 24h30 selon les individus (24h10 en moyenne), explique l'Inserm sur son site.

Une horloge interne régule les cycles menstruels

En toute logique, nous devrions donc tous vivre en décalé. Mais la vie en société est toutefois possible, fort heureusement, car ce cycle est constamment lissé sur 24 heures sous l'effet de plusieurs éléments extérieurs. Parmi ces facteurs exogènes, la lumière est le "synchroniseur" le plus puissant, ce qui explique le débat récurrent sur les conséquences éventuelles du passage à l'heure d'hiver. Mais les cycles menstruels, eux, ont un rythme supérieur à 24 heures (dit "infradien"). Un cycle ovulatoire classique dure en moyenne 29,3 jours, avec des variations de durée d'une personne à une autre et d'un cycle à l'autre chez une même personne.

Seraient-ils donc privés de mécanisme pour assurer leur régularité ? Pour le savoir, les auteurs de l'étude ont épluché des données portant sur 32 000 cycles mensuels chez 3 000 femmes européennes et nord-américaines. Et leurs résultats sont formels : les cycles peuvent durer plus ou moins longtemps, mais la durée cumulée de plusieurs cycles successifs est globalement stable. "Les cycles ont tendance à osciller autour de leur moyenne, explique à franceinfo René Ecochard, médecin aux Hospices civils de Lyon (HCL). S'il y a des cycles plus longs, il y aura également des cycles plus courts, comme si le corps se souvenait qu'il avait pris du retard."

"On trouve une corrélation entre un cycle et celui qui le précède de trois ou quatre mois, ce qui est impressionnant. Les cycles ne sont pas indépendants. Il existe une horloge, une mémoire."

René Ecochard, premier auteur de l'étude et médecin aux Hospices civils de Lyon

à franceinfo

"Cette rythmicité est très précisément contrôlée avec des corrections à long terme", poursuit Claude Gronfier, co-auteur de l'étude et chronobiologiste à l'Inserm. A ce stade, toutefois, personne ne sait si l'horloge concernée est la même que celle guidant le rythme circadien depuis l'hypothalamus. L'hypothèse est toutefois plausible. "Certains animaux ne peuvent être fécondés qu'à une période de l'année et mettre bas à une autre, observe toutefois le chercheur. Et nous savons que leur cycle saisonnier est contrôlé par l'horloge biologique circadienne". Seconde hypothèse : il s'agit d'un autre cycle hérité d'espèces anciennes, pourquoi pas maritimes, et soumises aux marées.

Un lien statistique entre la Lune et les règles

Les auteurs ont ensuite voulu vérifier si la Lune pouvait jouer un rôle de "synchroniseur" des cycles menstruels, comme peut le faire la lumière dans les rythmes circadiens. L'existence d'un lien entre le satellite naturel de la Terre et l'intimité des femmes, jusqu'ici, n'a jamais été réellement tranché. "Il n'y a pas de consensus sur la question, souligne Claude Gronfier. Un tiers des études ont montré un lien, un autre tiers n'en ont pas montré, et un dernier tiers des études étaient trop mal faites. La plupart du temps, les études ont porté sur de toutes petites populations, avec un nombre de cycles insuffisant et sans suivi à long terme."

Cette fois-ci, les auteurs ont pu appliquer leurs méthodes statistiques à un important jeu de données, avec la collaboration de collègues américains. Et surprise : sont alors apparues des associations "occasionnelles" mais "significatives" entre les cycles menstruels et le cycle de la Lune.

"Le cycle menstruel dérive à sa propre vitesse. Le cycle lunaire dérive à sa propre vitesse. Et, à un moment donné, les deux vont se croiser. Cette association va durer entre un et trois jours, selon les femmes."

Claude Gronfier, chronobiologiste à l'Inserm

à franceinfo

Principal enseignement de l'étude : cette brève corrélation temporelle existe chez toutes les femmes. "Il y a un lien avec la Lune. Il est modeste, mais il existe. Il n'y a pas de doute", résume René Ecochard. A ce stade, pour autant, cette observation ne permet pas de dire que la Lune "synchronise" les cycles menstruels régulés par une horloge interne. "Nous ne savons pas à quoi cette association peut servir et nous n'arrivons pas à l'expliquer pour l'instant", explique Claude Gronfier. Pour ajouter au mystère, les cycles débutent plus souvent à la Lune croissante chez les femmes européennes, et à la pleine Lune chez les femmes américaines.

"Nous découvrons qu'il existe une horloge interne pour les cycles menstruels. Et qu'elle est sensible à l'extérieur, comme le nycthémère [cycle biologique de 24 heures]."

René Ecochard, médecin des Hospices civils de Lyon

à franceinfo

Il faudra des études plus poussées pour savoir si la Lune joue réellement un rôle dans la régularité des cycles menstruels. Et même si cela est avéré, il faudra encore un modèle statistique complexe, avec un ensemble de données bien plus vaste, pour évaluer l'importance de cet élément dans l'harmonisation des cycles. Celle-ci sera sans doute modeste, avertissent les auteurs.

"L'effet hebdomadaire est bien plus fort qu'un effet éventuel de la Lune, avertit René Ecochard. Les gens ne le voient pas trop, mais les règles viennent le plus souvent les jeudis et vendredis. Je travaille sur le pourquoi, et notamment sur les données de sommeil. Quand il fait nuit, en effet, nous sécrétons de la mélatonine, qui agit sur le follicule de l'ovaire." Tous ces travaux pourront peut-être permettre, un jour, de mettre en place des traitements innovants contre les troubles de l'ovulation et de la fertilité.

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