"C'est comme si je sortais de mon corps" : à 15 ans, elle raconte sa bataille contre les crises d'angoisse depuis la pandémie de Covid-19
La santé mentale des adolescents s'est dégradée avec la pandémie de Covid-19. Justine* raconte comment elle a réussi à surmonter sa violente anxiété liée au retour à la vie en groupe, aprÚs le premier confinement.
Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hÎpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.
"J'entends des bourdonnements, je ne vois pas comme d'habitude, j'ai des fourmis dans les mainsâŠ" Assise sur son lit en ce milieu du mois de mars, Justine*, 15 ans dĂ©crit avec pudeur les "troubles" qui l'assaillent depuis la fin du premier confinement dĂ» Ă l'Ă©pidĂ©mie de Covid-19. "C'est comme si je sortais de mon corps. J'ai l'impression d'ĂȘtre seule au monde, que les autres sont des robots et que je suis dans une simulation, comme si ça n'Ă©tait pas rĂ©el", ajoute-t-elle, les yeux baissĂ©s vers ses mains qu'elle tripote nerveusement.
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Au printemps 2021, un psychologue a posé des mots sur le sentiment d'angoisse qui saisit parfois Justine : le syndrome de dépersonnalisation-déréalisation. Ce trouble psychique peut survenir en cas de stress intense. Pour l'adolescente, c'est le retour de la vie sociale à la fin du premier confinement, vécue comme une contrainte, qui a déclenché les premiÚres crises.
Le Covid-19 a affectĂ© la santĂ© mentale d'une large partie de la population, y compris les plus jeunes, comme Justine. AprĂšs deux annĂ©es de pandĂ©mie, SantĂ© publique France alertait encore dĂ©but mars sur "les niveaux Ă©levĂ©s" des passages aux urgences "pour gestes, idĂ©es suicidaires et troubles de l'humeur" chez les 15-17 ans. De l'anxiĂ©tĂ© lĂ©gĂšre Ă la tentative de suicide, les atteintes Ă la santĂ© mentale ont pris chez les plus jeunes, comme chez les adultes, des formes multiples, ne nĂ©cessitant pas toujours un suivi en psychiatrie ou un traitement mĂ©dicamenteux. Mais pour eux, plus que pour leurs aĂźnĂ©s, elles restent peut-ĂȘtre plus difficiles Ă assumer.
Une "batterie sociale" vite déchargée
En mars 2020, avant que la pandĂ©mie de Covid-19 ne s'installe, Justine a 13 ans et est scolarisĂ©e en cinquiĂšme. Elle vit avec sa mĂšre dans une commune rurale, Ă une trentaine de kilomĂštres de Toulouse (Haute-Garonne). Fan du groupe corĂ©en de K-pop BTS, de mangas et d'animĂ©s, elle n'a pas encore colorĂ© en bleu les mĂšches brunes qui encadrent son visage diaphane. Elle lit beaucoup, apprend le japonais en autodidacte, rĂ©pond dĂ©jĂ Ă sa mĂšre avec la rĂ©partie propre Ă son Ăąge et peut se targuer de bons rĂ©sultats scolaires. Si elle s'est liĂ©e d'amitiĂ© avec quelques Ă©lĂšves de quatriĂšme, plus "matures", elle ne se sent pas "Ă [s]a place Ă l'Ă©cole". La collĂ©gienne pense ĂȘtre perçue par ses camarades de classe comme "la fille bizarre, gothique". Dans quelques semaines, elle doit s'envoler pour le Japon. Elle n'a pas vraiment entendu parler du Covid-19 quand tombe l'ordre de se confiner, mi-mars.
Justine se désole de voir son voyage tomber à l'eau, mais elle vit l'isolement forcé comme une "bonne nouvelle". Elle passe ses journées à travailler, regarder des films et jouer aux jeux vidéo. Surtout, elle se réjouit de ne plus voir personne, elle qui confesse avoir toujours eu une "batterie sociale" qui se décharge rapidement. Petit à petit, la jeune fille s'enferme dans le cocon sécurisant de sa chambre, jusqu'à trouver difficile d'en sortir.
A la levée du confinement, les interactions épuisent davantage Justine. Alors que la rentrée en quatriÚme approche, elle fait de nouveau l'expérience "au moins une fois par semaine" de "crises de déréalisation" qu'elle avait briÚvement connues, jeune enfant, aprÚs une prise de sang traumatisante. Lorsqu'elle est "fatiguée", "stressée", en présence de "trop de gens" comme en classe, ou lorsqu'elle est confrontée à "une situation qui [la] dépasse", l'angoisse la saisit au point qu'elle a l'impression de quitter son corps et le monde réel pendant plusieurs minutes.
Redoutant ces crises, l'adolescente refuse de plus en plus souvent d'aller en cours, de voir ses amis. Elle arrĂȘte progressivement le volley, qu'elle venait de commencer. Une situation difficile Ă apprĂ©hender pour sa mĂšre, jeune quadra Ă©nergique, engagĂ©e dans le mouvement des "gilets jaunes" et les marches pour le climat, qui la voit se couper du monde et craint sa "dĂ©scolarisation". Pour l'encourager Ă sortir, elle s'installe avec elle en centre-ville, dans une petite maison Ă deux pas du cinĂ©ma et de la mĂ©diathĂšque.
"J'avais l'impression de lui faire violence, de la contraindre Ă voir du monde. Et je me demandais : 'Jusqu'oĂč ça va aller ?'"
la mĂšre de JustineĂ franceinfo
En avril 2021, Justine se laisse enfin convaincre par sa mĂšre, travailleuse sociale, de consulter un psychologue. Un soulagement pour cette derniĂšre, mĂȘme si financer le coĂ»t des sĂ©ances bimensuelles avec son salaire de 1 300 euros net relĂšve du dĂ©fi. GrĂące Ă la thĂ©rapie, mais aussi aux conseils de sa grand-mĂšre, qui a connu les mĂȘmes angoisses, Justine parvient au fil des mois Ă identifier les situations dĂ©clenchant ses "troubles", et apprend Ă les laisser passer sans ajouter Ă sa panique.
"Voir les gens qui respirent le mĂȘme air, ça me dĂ©goĂ»te"
Avec le temps, la fréquence et la durée de ses crises réduisent et Justine retrouve une vie d'adolescente. Le week-end, elle fréquente de nouveau ses amis, prÚs de la mairie. Parfois, ils grimpent dans un bus pour "aller faire les boutiques" à Toulouse et se perdent sur le chemin du retour. De ses angoisses, Justine leur a dit peu de choses : seule une "amie virtuelle", rencontrée sur Instagram, est au courant de ses difficultés passées.
Si la jeune fille va mieux et a dĂ©sormais hĂąte de reprogrammer son voyage au Japon, elle poursuit sa thĂ©rapie et sait qu'elle n'est pas tirĂ©e d'affaire. "Tout peut recommencer avec un autre Ă©lĂ©ment dĂ©clencheur que le Covid." Depuis le 14 mars, le retour au collĂšge sans porter de masque la stresse beaucoup. "Voir les gens qui respirent le mĂȘme air, ça me dĂ©goĂ»te, ça me donne envie de ne pas respirer, lĂąche-t-elle, un peu gĂȘnĂ©e. Avec le Covid, j'ai pris conscience qu'il y avait plein de microbes autour de moi. Je dĂ©testerais tenir la main de quelqu'un par exemple."
"Je pense que je vais garder le masque, c'Ă©tait plus simple d'ĂȘtre renfermĂ©e sur moi quand je le portais. C'Ă©tait comme une sĂ©curitĂ©."
JustineĂ franceinfo
AprĂšs le lycĂ©e, Justine veut quitter sa petite commune, oĂč "il n'y a pas grand chose Ă faire". Si elle ne sait pas encore oĂč elle veut Ă©tudier, elle rĂȘve dĂ©jĂ de rejoindre la police scientifique ou de devenir psychiatre. "C'est trop intĂ©ressant ce qu'il y a dans la tĂȘte des gens. Le mieux, c'est quand tu as des rĂ©sultats et que tu aides les autres Ă aller mieux." Un moyen, pour elle aussi, de mettre Ă distance dĂ©finitivement les idĂ©es noires ?
* Le prénom a été modifié.
Si vous avez besoin d'aide, vous pouvez appeler le 3114, le numéro national de prévention du suicide. La ligne Suicide écoute, pour les personnes confrontées au suicide d'un proche, est joignable au 01 45 39 40 00. Pour les plus jeunes, le Fil santé jeunes est accessible au 0800 235 236 ou par tchat sur filsantejeunes.com.
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