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Pourquoi la généralisation du tiers payant rend malades les médecins

Le gouvernement souhaite étendre ce dispositif, déjà appliqué en pharmacie, pour permettre aux Français de ne plus payer lors d'une consultation. Mais les généralistes affichent leurs réticences. Explications.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Pour faciliter l'accès aux soins, le gouvernement souhaite qu'à partir de 2017, les Français n'aient plus à avancer d'argent lors d'une consultation chez le médecin. (GARO / PHANIE / AFP)

Et si vous n'aviez plus rien à payer chez le médecin lors d'une consultation ? Cette hypothèse pourrait devenir une réalité à partir de 2017. C'est une des mesures phares de la future loi de santé publique, dévoilée dans ses grandes lignes jeudi 19 juin par la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine.

Il faudra attendre la rentrée pour la présentation formelle de la loi, et début 2015 pour son examen au Parlement. D'ores et déjà, les médecins généralistes font entendre leur voix. S'ils ne sont pas contre le tiers payant pour les plus défavorisés, ils refusent toutefois sa généralisation. Pourquoi s'opposent-ils à cette mesure pourtant plébiscitée par les Français ?

Parce que c'est une charge de travail supplémentaire

Pour une consultation à 23 euros chez le médecin, 15,10 euros sont remboursés par l'assurance maladie (5,90 euros si ce n'est pas le médecin traitant) et 6,90 euros par la complémentaire. Un euro reste à la charge du patient. Lorsque vous bénéficiez du tiers payant, vous êtes dispensé de payer immédiatement le professionnel de santé. Mais celui-ci doit faire parvenir des documents à la sécurité sociale et à la mutuelle, si vous en avez une, pour se faire rembourser. Cette procédure sera valable pour chaque patient si le tiers payant est généralisé. 

"Gérer l'ensemble des remboursements des patients, avec les différents régimes d'assurance maladie et les différentes complémentaires deviendra un véritable casse-tête", estime le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), contacté par francetv info. Cela représente, selon lui, un surcroît de travail de trois ou quatre heures, "dans une semaine qui compte déjà 55 heures".

"On ne peut pas y passer des heures. Si les médecins généralistes sont ceux qui pratiquent le moins le tiers payant, c'est parce qu'ils n'ont pas le personnel pour le faire", renchérit Gilles Urbejtel, du syndicat MG France. Interrogé par francetv info, il se dit inquiet sur les modalités techniques du dispositif. "Il faut une seule facture, un seul paiement, comme c'est le cas actuellement dans le tiers payant appliqué pour les patients bénéficiant de la CMU [couverture maladie universelle, pour les personnes aux faibles revenus]."

Mais... La lourdeur administrative ne concerne pas tous les médecins. "Moi, ça simplifie ma comptabilité, je n'ai pas de chèque à remettre à la banque. Je n'ai pas non plus à trimballer des espèces, c'est mieux pour ma sécurité, explique au Parisien (article pour abonnés) le docteur Mady Denantes. Et, avec le logiciel mis en place, je suis réglée par l'assurance maladie seulement trois ou quatre jours plus tard." C'est aussi le point de vue d'une jeune médecin généraliste de Seine-Saint-Denis, comme il l'expliquait sur son blog en juillet 2013.

Parce que cela coûte plus cher

Si les droits au tiers payant du patient ne sont pas ouverts, le médecin ne sera pas remboursé. "On perd très souvent des pénalités de parcours", estime Gilles Urbejtel. L'acte en lui-même coûte plus cher, ajoute Jean-Paul Hamon. Pour appuyer son propos, il cite la Fédération nationale des centres de santé, tenus de pratiquer le tiers payant, qui chiffre le coût de cette procédure à 3,50 euros par acte.

Mais... Au centre de santé Jack Senet, situé près de la gare Montparnasse à Paris, contacté par francetv info, ni les médecins, ni le service administratif dédié au tiers payant ne s'en plaignent. Plus de 150 mutuelles ont un accord de tiers payant avec le centre médical, créé en 1979. Le patient présente sa carte vitale lors de la consultation, puis le médecin l'insère dans un boîtier. Un service dédié à la partie administrative s'occupe de la télétransmission. "C'est vrai qu'il y a beaucoup de manipulations. Mais dans un centre de santé, c'est faisable."

Parce que cela peut entraîner des abus

"Que l'argent vienne du patient ou de la sécurité sociale, peu importe, ce n'est pas le problème", indique à francetv info Nathalie Anjou-Simon. Cette médecin généraliste dans le 15e arrondissement de Paris s'inquiète davantage des "dérapages" que la généralisation du tiers payant peut entraîner.

"Les patients n'auront plus la notion du coût de la santé, car ils ne paieront pas, avance Nathalie Anjou-Simon. Je le vois déjà au quotidien, avec ceux qui bénéficient de la CMU. Certains sont raisonnables, d'autres moins : ils n'hésitent pas à venir me consulter pour un bobo. Ils me demandent aussi de leur prescrire sur ordonnance des médicaments coûteux. Mais ils n'ont pas conscience du prix, car ils ne paient rien à la pharmacie [où le tiers payant est généralisé depuis une vingtaine d'années]."

"Transformer la carte vitale en carte de paiement, c'est déresponsabiliser le patient et c'est banaliser l'acte médical", résume Jean-Paul Ortiz, président de la confédération syndicale des médecins de France, interrogé dans Le Parisien.

Mais... Claude Rambaud, présidente du collectif interassociatif sur la santé, une association qui défend les patients, balaie ces accusations dans Le Parisien (article pour abonnés). "Les gens ne vont pas chez le médecin pour le plaisir, sous prétexte qu'ils n'ont pas à avancer les frais. Ce n'est pas un passe-temps !" Selon elle, la généralisation du tiers payant est nécessaire. "De plus en plus de personnes renoncent aux soins, notamment parce qu'elles ne peuvent pas avancer les frais", constate-t-elle.

"Bravo à Marisol Touraine", ajoute Claude Rambaud. Toutefois, rien n'est encore acté : la ministre doit ouvrir une concertation jeudi. Les modalités d'application du système, elles, seront précisées plus tard.

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