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Pourquoi la bataille de Sarkozy contre le halal est "une stratégie inefficace"

Le président candidat a affirmé que la viande halal était le premier sujet de discussion des Français. Une intervention dans le débat qui pourrait ne pas porter ses fruits, selon sondeurs et analystes.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Nicolas Sarkozy en visite pour la campagne présidentielle à Saint-Quentin (Aisne), le 5 mars 2012. (ERIC FEFERBERG / AFP)

"Un sondage, il y a dix jours, disait : le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français, je parle sous votre contrôle, c’est cette question de la viande halal." Une affirmation lancée aux journalistes lundi 5 mars par Nicolas Sarkozy lors d'une visite à Saint-Quentin (Aisne) et qui renforce une thématique de campagne. 

Samedi, en meeting à Bordeaux, le président candidat a ainsi indiqué qu'il souhaitait que les viandes soient systématiquement étiquetées en fonction de leur méthode d'abattage, rebondissant sur la polémique sur la viande halal lancée deux semaines plus tôt par Marine Le Pen. La veille, c'était Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, qui avait suscité de vives réactions en établissant un lien entre le vote des étrangers aux élections locales et la présence dans les cantines scolaires de viande abattue selon le rite musulman. 

Si le débat sur l'abattage rituel alimente le discours des politiques en campagne ces derniers jours, sera-t-il pour autant profitable au président candidat ? Pas sûr parce que...

Parce que le halal n'est pas la préoccupation numéro un des Français

C'est en effet ce que révèle le baromètre mensuel sur les préoccupations des Français réalisé par l’institut TNS Sofres. En février, le chômage et l'emploi restent en tête de leurs sujets d'intérêt (79% des sondés citent cette problématique). La santé et la qualité des soins arrivent en second, inquiétant 54% des personnes interrogées. Troisième préoccupation : l'évolution du pouvoir d'achat, pour 52%. Viennent ensuite les retraites, l'école, les inégalités sociales, le logement... 

 

"Ce baromètre est d'une très grande stabilité. Le chômage a été presque tout le temps en tête depuis 2004. Il a juste été dépassé par le pouvoir d'achat pendant une courte période au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy", explique à FTVi Carine Marcé, directrice associée du département Stratégies d'opinion de TNS Sofres, en charge de ce baromètre.

Des préoccupations qui se retrouvent dans les thèmes prioritaires des Français pour les prochains mois. Selon une enquête Ifop réalisée en févriertrois Français sur quatre (76%) affirment que la lutte contre le chômage constitue un sujet tout à fait prioritaire pour les mois à venir, devant la lutte contre la précarité (56%) et le relèvement des salaires et du pouvoir d’achat (58%). 

Parce qu'il n'est même pas un sujet de conversation prioritaire

Contactée par FTVi, l'équipe de campagne du président candidat affirme qu'il s'est basé sur une enquête qui interroge les Français sur leurs sujets de discussion. Il existe en effet des études qui se penchent non pas sur les préoccupations des Français mais sur leurs thèmes de conversation. "Dans une liste construite autour des sujets d'actualité, que les médias relatent, on demande aux Français ce dont ils ont parlé, ce qui a retenu leur attention. Cela peut aller du mariage de Kate et William à la question des OGM par exemple", indique Carine Marcé. 

Le halal apparaît bien dans le baromètre mensuel des sujets de discussion des Français (les Français en parlent) effectué par l'institut Ifop pour Paris-Match et publié mardi. Mais sur treize thèmes testés, il n'est cité qu'en neuvième position. En février, les Français ont d'abord parlé de l'Oscar de Jean Dujardin, de la campagne présidentielle, du Salon de l'agriculture, du naufrage du paquebot Costa Concordia ou encore... du chômage.

Parce que Nicolas Sarkozy poursuit un objectif électoraliste

Le but de Nicolas Sarkozy, en imposant le thème de la viande halal dans la campagne : siphonner les voix de Marine Le Pen. Car pour Gaël Sliman, directeur du pôle Opinions de l'institut BVA, "au second tour, les électeurs du MoDem et surtout les électeurs du Front national se reportent très mal sur Nicolas Sarkozy".

Une difficulté qui n'aurait pas échappé à Nicolas Sarkozy : "Il a fait ce constat depuis longtemps et il se dit que pour séduire l'électorat le plus à droite, il faut qu'il aille sur des thématiques qui touchent davantage les électeurs FN", poursuit Gaël Sliman. A savoir : l'islam, l'immigration, l'insécurité...

Parce que les électeurs ne semblent pas dupes

Ce n'est pas la première fois que Nicolas Sarkozy chasse sur les terres du FN mais pour Gaël Sliman, il s'agit d'une "stratégie mauvaise et inefficace". "Cela ne lui profite pas car l'électeur décrypte cela comme une stratégie visant à le courtiser. Au lieu de reporter leur vote, les électeurs sont agacés. Et en plus, les électeurs UMP les plus à droite partent parfois directement vers Marine Le Pen en se disant : 'On préfère l'original à la copie', analyse Gaël Sliman. Même pour les électeurs plus sensibles à ces thématiques [privilégiées par les politiques très à droite], ce ne sont pas des priorités. L'emploi et le pouvoir d'achat, eux, demeurent des priorités."

Les instituts de sondages ont déjà mesuré l'efficacité de cette tactique au moment du discours de Grenoble sur les Roms, à l'été 2010 : "Cela n'a eu aucun effet positif" pour Nicolas SarkozyDe plus, ce dernier semble ne pas prendre en compte la nouvelle donne de la campagne 2012 : "Lors de la campagne de 2007, les gens n'avaient pas le sentiment qu'il imitait le FN mais qu'il proposait des solutions lui-même, affirme Gaël Sliman, de BVA. Il était dans la rupture, extérieur au système. Aujourd'hui, il est [président] sortant. Cela paraît d'autant plus étrange d'avoir un candidat majeur, président sortant, parler de sujets qui restent anecdotiques au lieu de parler économie, emploi, pouvoir d'achat, santé."

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